Audacieux sur le plan formel, Trop belle pour toi ! constitue l’un des sommets de la carrière de Bertrand Blier qui était alors plébiscité par les critiques et le public. Une belle description de la passion amoureuse et de ses contradictions.
Synopsis : Bernard, un garagiste fortuné, est marié avec Florence, une femme à la beauté parfaite. Il voit sa vie bouleversée par sa rencontre avec Colette, une secrétaire intérimaire au physique ingrat. Il en devient follement amoureux.
Bertrand Blier inverse une situation classique
Critique : En 1986, le cinéaste Bertrand Blier retrouve un succès phénoménal avec Tenue de soirée (1986) qui parvient à attirer dans les salles plus de 3 millions de spectateurs. Il s’agit d’ailleurs du deuxième plus gros succès de sa carrière après la déferlante des Valseuses (1974). Désormais au sommet de sa carrière, Blier peut envisager de radicaliser encore un peu plus son cinéma et de livrer une œuvre encore plus personnelle.
Avec Trop belle pour toi ! (1989), le cinéaste s’empare d’un thème très classique – le triangle amoureux – pour mieux l’inverser. Ainsi, le mari infidèle est un époux apparemment comblé qui possède la fortune, deux beaux enfants sages et surtout une femme à la beauté époustouflante (superbe Carole Bouquet). Malgré ce bonheur apparent, il succombe à un amour adultère avec une femme quelconque sur le plan physique (Josiane Balasko en mode dramatique, donc en contre-emploi total). Certes, le but de Bertrand Blier est bien de renverser les attentes du spectateur, mais il se livre surtout à la description d’un amour fou et passionnel entre deux êtres que rien ne prédestinait à se jeter dans les bras l’un de l’autre.
Un film audacieux qui épouse la conscience de ses personnages
Pour décrire cet état fluctuant que revêt la passion amoureuse, Bertrand Blier ose déconstruire la continuité narrative de son film en faisant s’entrechoquer les temporalités, mais aussi en mêlant réel et fantasme. Ainsi, le montage ne suit pas la logique de l’intrigue – par ailleurs réduite à l’essentiel – mais réagit bien plutôt à la logique des mots prononcés par les personnages. Organisé tel un stream of consciousness (ou courant de conscience en français) comme on peut le trouver dans la littérature d’une Virginia Woolf ou d’un James Joyce, Trop belle pour toi ! n’épouse aucune logique autre que cognitive.
D’ailleurs, Bertrand Blier souligne cet état fluctuant par une réalisation largement fondée sur le panoramique horizontal. On a ainsi le sentiment que la caméra danse avec les différents protagonistes. Parfois, le glissement d’une temporalité à l’autre intervient lors de ces mouvements, renforçant encore un peu plus ce sentiment d’assister à un rêve éveillé. Enfin, l’absurde est mis en avant par les nombreuses adresses des protagonistes à la caméra. Le cinéaste casse ainsi toute forme de réalisme et signe des moments de pure grâce, notamment lorsqu’il fait intervenir la musique de Schubert. On notera que celle-ci passe parfois de musique extradiégétique à diégétique au sein du même plan.
De l’art de briser les tabous
Comme à son habitude, Bertrand Blier brise également tous les tabous en faisant s’effondrer le surmoi social des personnages qui livrent devant une assistance nombreuse leurs pulsions intimes sans arrière-pensée. On adore notamment le dîner entre amis où chaque convive commence à dévoiler ses pensées réelles aux autres invités. Du coup, Trop belle pour toi ! navigue de manière assez aléatoire entre rires et émotions, au gré des scènes. Cet aspect éclaté tient par la magie d’un montage resserré qui fait du film une œuvre maîtrisée. Cela ne sera pas toujours le cas par la suite dans la longue carrière du réalisateur.
Il peut ici s’appuyer sur des acteurs de premier choix. Depardieu est bien évidemment dans son élément, tandis que Carole Bouquet se fait toujours aussi troublante (elle a d’ailleurs obtenu le César de la meilleure actrice pour cette prestation). Enfin, Josiane Balasko, jusque-là cantonnée dans les rôles comiques, prouve ici sa capacité à endosser d’autres types de personnages.
Trop beau pour être vrai : le long-métrage est un succès critique et public
Présenté avec succès au festival de Cannes 1989 où le film obtient le Grand Prix du jury, Trop belle pour toi ! sort dans la foulée dans les salles françaises. Alors que le long-métrage n’est pas le plus facile d’accès de son auteur, il fédère un large public et se hisse à la 11ème marche du box-office annuel avec 2 031 131 entrées. Décidément, plus rien ne semblait résister au réalisateur qui était bien au sommet de sa carrière.
Critique de Virgile Dumez