La travestie : la critique du film (1988)

Drame | 1h47min
Note de la rédaction :
4,5/10
4,5
La travestie, l'affiche

Note des spectateurs :

Coincée entre étude psychologique sérieuse et film d’exploitation, La travestie est une œuvre bancale qui ne convainc sur aucun des tableaux.

Synopsis : Nicole Armingault fait croire à ses trois amants qu’elle est enceinte. Après leur avoir soutiré l’argent nécessaire pour se faire avorter, elle dévalise son avocat puis devient travestie à Paris.

Zabou et Boisset se fourvoient

Critique : En 1987, le philosophe et essayiste Alain Roger publie La travestie, un roman inspiré d’une véritable affaire qui tiendrait plutôt d’un cas clinique. Visiblement sous le charme de cette étude psychologique, Yves Boisset décide d’en faire son prochain long-métrage de cinéma, alors qu’il vient de connaître un premier revers de fortune au box-office avec le semi-échec de Bleu comme l’enfer (1986). Il faut dire que son exploration du polar à l’américaine était passablement ratée.

Pourtant, en revenant au film « sérieux », Boisset se prend les pieds dans le tapis et livre une œuvre très inégale, partagée entre quelques moments poignants et un nombre conséquent de dérapages bis involontaires. Tout d’abord, il est important de signaler que le choix de Zabou Breitman (encore appelée Zabou à cette époque) pose légitimement question. Non que l’actrice soit mauvaise, mais elle n’a pas vraiment la carrure d’un tel rôle. Si elle peut physiquement donner le change en passant pour un jeune giton imberbe, il est impossible de croire à son travestissement masculin dès qu’elle ouvre la bouche. Son filet de voix très féminin ne donne donc pas le change et rend ridicule toutes les séquences où elle est censée être un mec.

Une femme insaisissable pour elle-même… et le spectateur!

Ce n’est malheureusement pas le seul problème du film puisque les nombreux revirements du personnage laissent parfois pantois. Comment peut-elle se retrouver aussi facilement souteneur, elle qui était avocate ? Comment passe-t-elle d’hétérosexuelle très active à lesbienne ? Certes, le but des auteurs est bien de décrire une personnalité multiple et schizophrène comme a pu le faire récemment M. Night Shyamalan dans Split (2016), mais dans ce cas, il fallait plonger plus profondément dans la folie de cette femme en recherche de son moi intérieur.

Comme il reste en surface de son sujet, Yves Boisset nous convie à suivre les errances sentimentales d’une femme désaxée et le spectateur de passer d’un amant à l’autre au gré des hasards et rencontres. Un certain sentiment d’ennui et de lassitude nous gagne peu à peu. Toutefois, il faut reconnaître à Yves Boisset le mérite d’avoir su créer un certain malaise quant à ce personnage trouble, à la fois victime de la méchanceté des autres, et en même temps manipulatrice jusqu’à la folie.

Un bide retentissant en pleine crise du cinéma

Dynamitée par des dialogues outranciers qui font parfois rire, La travestie est donc une œuvre bancale et intrinsèquement ratée, plus proche d’un certain cinéma d’exploitation que du film d’auteur. Sa sortie fut d’ailleurs un véritable désastre puisque le distributeur a opté pour une sortie estivale peu favorable à ce type de production.

Avec un total de 50 297 entrées sur tout le territoire français, La travestie est l’un des plus gros échecs d’Yves Boisset. Pas de quoi pousser le réalisateur vers la télévision, mais cela sera fait après le revers de La tribu (1991) qui a réussi l’exploit de cumuler encore moins d’entrées.

Box-office :

Sorti le 3 août 1986, Zabou devait affronter de la concurrence en salle : Anémone et Richard Anconina dans Envoyez les violons (30 écrans), le thriller Warner Randonnée pour un tueur (33 salles), la production Cannon Pour une nuit d’amour (21 salles) et Une Bringue d’enfer de Kevin Reynolds, avec son acolyte Kevin Costner, présent dans 18 salles.

Distribué dans 23 salles par AAA, le polar de Boisset bénéficiait de 23 cinémas. Malgré une solide campagne d’affichage sur la capitale, il marque la fin d’une époque et réalisera un démarrage désastreux de 12 206 entrées salles, en 7e place.

“naufrage et du jamais vu en valeur relative dans toute l’histoire de l’exploitation cinématographique” (Le Film Français)

Les cinémas intra-muros diffusant ce polar étaient : l’UGC Elysées/Maillot/Odéon/Lyon Bastille, le Forum Cinémas, le Pathé Montparnasse, le Pathé Impérial, le Mistral, le Fauvette, le 14 Juillet Beaugrenelle, l’Images et le Gambetta. Le film réalisera 80% de sa fréquentation sur la capitale cette semaine-là, puisque dans les 11 cinémas de banlieue La Travestie est déjà placé en mort cérébrale, avec 2 597 spectateurs.

Sa deuxième semaine correspond à la semaine du 10 août 1988, que le Film Français de l’époque qualifiait de “naufrage et du jamais vu en valeur relative dans toute l’histoire de l’exploitation cinématographique”. La crise frappait très fort et le numéro 1 parisien, Le Grand Bleu ne réalisait que 38 706 entrées en 14e semaine ! La Travestie bute dans un contexte estival de météo magnifique : 6 472 spectateurs… Aucun des 12 cinémas le diffusant à Paris ne dépasse les 1 000 spectateurs par écran. Alain Sarde producteur n’a plus que ses yeux pour pleurer….

Forcément, en 3e semaine, Zabou ne peut plus jouer au mec que dans 4 cinémas sur Paris-Périphérie : l’UGC Elysées, le Pathé Montparnasse et le Pathé Impérial pour l’enceinte même de la capitale. Avec ses 2 265 spectateurs, la production française dépasse péniblement les 20 000 tickets. Il ne lui restera plus qu’une ultime semaine pour agoniser, avec le Pathé Montparnasse qui le programme une dernière fois pour 696 spectateurs.

La Travestie est abattu à 21 735 spectateurs. Un passage éclair en VHS chez Scherzo (pas le plus solide des éditeurs indépendants) et Canal donneront une ultime chance à cette oeuvre méconnue, resté très rare pendant plus de 25 ans, que l’on peut aujourd’hui retrouver sur des plateformes de SVOD, ce qui relève du miracle puisque le marché du DVD lui sera totalement inaccessible.

Pendant longtemps, La travestie est resté l’un de ces films obscurs d’un cinéma français pas forcément fier de cette époque. Ses actrices les premières…

La fiche film sur le site Unifrance

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 3 août 1988

La travestie, l'affiche

© 1988 Sara Films – Tamasa Distribution / Affiche : Nathalie Heneauts (photographe) – Philippe (affichiste). Tous droits réservés.

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