En hésitant sur le style à adopter, Gérard Jugnot a condamné Sans peur et sans reproche à naviguer entre notations intéressantes et gags potaches sans trouver vraiment sa voie. Inégal, mais pas inintéressant dans sa vision déglinguée de l’Histoire.
Synopsis : Bellabre, un des capitaines du roi de France Charles VIII, est ridiculisé au cours d’un tournoi par un jeune inconnu, Pierre Terrail de Bayard, amoureux de la duchesse de Savoie. Les deux hommes partent combattre l’ennemi, Bellabre prenant Bayard sous sa coupe…
Aborder la grande histoire sous un angle décalé
Critique : Issu du Splendid, Gérard Jugnot a décidé comme la plupart de ses petits camarades de développer une carrière personnelle qui est passée notamment par la réalisation de comédies populaires. En 1984, Jugnot remporte un gros succès avec Pinot simple flic qui totalise 2 418 756 entrées et confirme ainsi sa place importante au cœur de la comédie française. Si sa deuxième réalisation (Scout toujours, 1985) ne convainc pas totalement, elle glane encore 1 510 930 spectateurs dans les salles obscures.
Jugnot décide donc de remettre le couvert une troisième fois et collabore une fois de plus avec son coscénariste Christian Biegalski. Ils s’attaquent cette fois-ci à l’Histoire de France et notamment à une grande figure chevaleresque : celle du chevalier Bayard qui s’est illustré à la fin du 15ème et au début du 16ème siècle dans les guerres d’Italie. Il s’agit entre autres du véritable symbole des valeurs chevaleresques françaises, avec leur sens de l’honneur et du courage. Toutefois, Jugnot et Biegalski n’ont aucunement l’envie de tourner un biopic académique et s’attachent donc à détourner le traditionnel film historique pour livrer une vision peu orthodoxe de la fin du Moyen Age.
Une vision ironique servant à démythifier la chevalerie
Si l’on pense forcément au travail effectué par les Monty Python sur Sacré Graal ! (Gilliam, Jones, 1975), on peut également évoquer à la case paternité le délirant diptyque de Mario Monicelli sur L’armée Brancaleone (1966 et 1970). Pourtant, Jugnot a choisi de ne pas se situer tout à fait sur le même terrain. Ainsi, il ne s’aventure jamais vraiment sur les terres de la parodie pure et dure. De même, il n’essaye pas de détourner tous les codes stylistiques du film historique, mais préfère outrer les situations pour déclencher le rire.
Par le biais d’un narrateur qui est le rédacteur officiel d’une chronique médiévale, Jugnot nous indique l’essentiel de son procédé : établir un décalage flagrant entre les mots et les actes qui sont montrés à l’écran. Alors que les héros ne cessent d’évoquer des valeurs chevaleresques, ils se livrent à des pillages et à des viols collectifs dans un esprit bon enfant qui renforce un peu plus le décalage. Au passage, Jugnot en profite pour égratigner les valeurs attachées à la guerre (ce qu’il confirmera dans Casque bleu en 1994), mais aussi à un temps où la violence et la cruauté étaient quotidiens. Il met notamment en boite l’hypocrisie religieuse, ainsi que les pratiques de torture encore courantes développées par l’Inquisition.
Jugnot, pas toujours à l’aise dans l’humour noir
En ce sens, sa version démythifiée de l’Histoire n’est pas inintéressante et pourra amuser ceux qui sont férus de cette période, d’autant que les clins d’œil sont assez nombreux. Malheureusement, Gérard Jugnot n’est pas parvenu à équilibrer parfaitement son film qui navigue sans cesse entre gros délire potache à base de blagues salaces et paillardes (on songe parfois au Roi Dagobert avec Coluche) et notations plus fines. L’auteur-réalisateur a du mal à se tenir sur cette ligne de crête et chute à de nombreuses reprises, soit dans la vulgarité facile, soit dans le gag trop sophistiqué pour faire mouche.
En multipliant les scènes violentes et allant même jusqu’au gore, il parvient à livrer des moments de pur humour noir, au risque de s’aliéner une partie du public. Cette prise de risque n’a d’ailleurs pas été validée par un succès populaire et Jugnot ne reviendra pas à ce type d’humour qu’il ne manie pas forcément très bien.
Un défilé de stars du rire pour pas grand-chose
Sans peur et sans reproche n’est pas non plus exempt de défauts en ce qui concerne son script. Au bout d’une heure, les aventures de son chevalier Bayard commencent à lasser et jouent parfois la montre. Il faut dire que le héros est incarné par un Rémi Martin pas suffisamment charismatique pour le rôle. Heureusement que Gérard Jugnot est là pour animer l’écran et qu’il a appelé à la rescousse tous ses copains. Timsit est plutôt drôle en Charles VIII libidineux, Anémone est amusante en jeune princesse dont personne ne veut, Ticky Holgado fait sourire en scientifique raté et Gérard Darmon est excellent en mode grande folle, personnage pourtant fortement stéréotypé.
Tout ceci donne donc un résultat finalement mitigé. Ni franchement raté, ni tout à fait abouti, Sans peur et sans reproche est une comédie qui n’apporte pas grand-chose, ni au spectateur, ni à ses créateurs. Le métrage s’est d’ailleurs fracassé au box-office national avec un résultat final de 416 004 entrées sur tout le territoire. Un vrai désastre si l’on prend en compte un budget que l’on imagine conséquent. De tels résultats allaient faire fortement réfléchir Jugnot qui a repensé totalement son style avec son œuvre suivante, à savoir Une époque formidable (1991). Aujourd’hui totalement oublié, Sans peur et sans reproche a tout de même le mérite d’avoir tenté une voie différente au sein de la comédie française, sans y parvenir.
Critique de Virgile Dumez