Sous ses dehors de série B réactionnaire, Société anonyme anti-crime propose une vision sans concession et nihiliste des années de plomb en Italie et se hisse parmi les grandes réussites du cinéma politique des années 70.
Synopsis : Rome, la corruption a gangréné toutes les institutions. Le commissaire Bertone tente malgré tout de faire son travail correctement. Alors qu’il recherche deux voyous ayant assassiné un joailler après un braquage, il retrouve l’un d’eux, mort, au bord du canal. Il va peu à peu découvrir qu’un groupe armé a entrepris de faire justice sur les malfrats libérés par une administration trop laxiste.
Un polar réactionnaire, en apparence seulement…
Critique : Au début des années 70, le cinéaste Steno a déjà derrière lui une impressionnante carrière entièrement dédiée à la comédie populaire. Pourtant, sous son vrai nom de Stefano Vanzina, il se met en tête d’écrire et de réaliser un polar urbain extrêmement sérieux qui prendrait pour appui les constatations de L’inspecteur Harry (Siegel, 1971), tout en délivrant un message politique bien plus nuancé que prévu. Autant dire que la prise de risque est totale pour le réalisateur qui n’a jusque-là jamais démontré d’appétence pour le constat social et politique.
Lorsque débute Société anonyme anti-crime (1972), le spectateur semble initialement en terrain connu. Il s’agit pour l’auteur de décrire une Italie rongée par le crime organisé et qui ne parvient pas à en venir à bout à cause d’une trop grande complaisance de la magistrature envers les truands, le tout soutenu par une presse de gauche vue comme laxiste. Le discours, franchement réactionnaire, reprend en gros les arguments défendus par Don Siegel dans Dirty Harry et le policier interprété avec beaucoup de sensibilité par Enrico Maria Salerno semble coulé dans le même moule.
Magnum Force avant l’heure
Le point de vue est poussé jusqu’à son paroxysme dans une séquence hallucinante qui voit l’inspecteur de police offrir aux journalistes un tour de Rome by night où celui-ci liste toutes les déviances présentes dans la capitale. Parmi les rebus de la société, on compte les prostituées, leurs macs, mais aussi des gays et autres travestis. La séquence, assez choquante de nos jours, pourrait clairement faire basculer le long-métrage dans le fascisme pur et dur si elle n’était pas pleine d’humour.
En réalité, celle-ci opère un point de bascule important à l’intérieur du film. Effectivement, l’auteur, après avoir épousé le point de vue réactionnaire de son personnage principal, va s’évertuer à en dénoncer les dangers. Il met alors en avant une milice de policiers qui décident de faire justice par leurs propres moyens. Steno anticipe ainsi de quelques mois l’idée directrice de Magnum Force (Post, 1973), suite directe des aventures de l’inspecteur Harry. On a souvent accusé les Italiens de copier le cinéma américain, mais cette fois-ci, il semblerait que ce soit l’inverse.
Un discours pertinent sur l’Italie des années de plomb
Dès lors, le discours devient bien plus nuancé puisque le policier doit donc lutter contre des forces qui souhaitent rétablir l’ordre au cœur d’une société italienne gangrenée par la criminalité. La méthode des exécutions sommaires ramène les Italiens aux grandes heures du fascisme. Peu à peu, le long-métrage se dote donc d’un arrière-plan politique passionnant qui se confirme par le retournement de situation final impliquant carrément les autorités. A ce moment précis, Société anonyme anti-crime quitte son statut de simple série B pour celui d’un vrai film d’auteur dénonçant la situation ubuesque connue en Italie durant les années de plomb. La fin, parfaitement nihiliste, s’envisage comme une mise en garde d’un auteur désireux de dénoncer les dangers inhérents à des prises de position extrêmes.
Grand film politique, Société anonyme anti-crime bénéficie d’un rythme alerte malgré l’absence de grande séquence d’action. On notera toutefois une excellente course-poursuite entre une voiture de police et une moto qui se termine de manière très spectaculaire et étonnante. Mais l’important est clairement ailleurs, notamment dans cette description sans fard d’une société italienne en pleine crise politique. Pour cela, Steno s’est entouré d’acteurs solides qui donnent une réelle épaisseur à leurs personnages, même lorsque ceux-ci sont brossés à gros traits.
Société anonyme anti-crime, unique incursion de Steno dans le cinéma politique !
Malgré la belle pertinence de cette œuvre, de loin le meilleur film de son auteur, Steno n’a jamais creusé ce sillon, revenant ensuite à des comédies sympathiques, mais plutôt anodines. En France, le long-métrage serait sorti uniquement en province en 1975, mais demeure grandement méconnu des cinéphiles qui doivent donc se pencher sur cette perle du catalogue d’Artus Films.
Le test DVD :
Une édition de très bonne tenue d’un polar politique majeur largement méconnu en France. Le test a été effectué à partir du produit définitif.
Compléments & packaging : 3,5 / 5
Le titre est édité uniquement en DVD dans la collection « polar » de l’éditeur. Le tout est présenté en format digipack slim élégant qui propose une affiche et des photos d’exploitation lorsqu’on l’ouvre. En matière de bonus vidéo, on apprécie une fois de plus l’intervention d’Emmanuel Le Gagne (22min) qui revient en détail sur cette œuvre extraordinaire dans la carrière de Steno, qui signe ici Stefano Vanzina. Il décrit la carrière du réalisateur, mais insiste aussi sur les influences du film et propose une véritable analyse du polar. On souscrit pleinement à ses arguments qui apportent une vraie plus-value à la projection.
Le reste est constitué d’une bande-annonce et d’un diaporama.
L’image : 4 / 5
Le long-métrage a bien fait l’objet d’une restauration 2K. Ainsi, la plupart des scories et autres impuretés ont été gommées pour un résultat très propre et respectueux. Les couleurs froides demeurent assez délavées (mais cela correspond aux volontés du directeur de la photographie), la copie est bien définie et offre une réelle stabilité (hormis sur quelques plans). On est donc bien ici en présence d’un très bon travail.
Le son : 4 / 5
Là encore, le travail effectué est tout à fait convaincant avec une version originale très équilibrée et qui ne présente guère de problème. Elle met suffisamment en avant la musique sympathique de Stelvio Cipriani. Pour ce qui est de la piste française, le doublage est encore correct. On notera que le début du film est quand même en italien sous-titré car la séquence a été supprimée du montage français lors de la sortie provinciale du long-métrage.
Critique de Virgile Dumez