Largement inspiré par le cinéma de Polanski, L’alliance invisible – Toutes les couleurs du vice est un giallo à l’atmosphère angoissante et envoutante. Dommage que l’intrigue ne soit pas mieux fagotée.
Synopsis : Traumatisée par le meurtre de sa mère, sauvagement assassinée sous ses yeux lorsqu’elle avait 5 ans, et sa fausse couche à la suite d’un accident de voiture, Jane Harrison, jeune Londonienne, se sent seule, déprimée et pense qu’elle est folle. Elle est hantée par de terrifiants cauchemars où elle se fait persécuter par un homme au yeux bleus perçants.
Sergio Martino fait son Rosemary’s Baby
Critique : Après avoir triomphé avec L’étrange vice de Madame Wardh (1971) où il réunissait pour la première fois le couple de cinéma Edwige Fenech – George Hilton, le réalisateur Sergio Martino a dû se passer de l’actrice enceinte pour La queue du scorpion (1971) qui a confirmé le talent du cinéaste dans le genre du giallo. Il était donc logique de retrouver Edwige Fenech au centre de ce troisième opus qui est désormais considéré comme le deuxième volet de l’informelle Trilogie du Vice.
Tandis que les deux précédents longs métrages faisaient appel à des mécaniques narratives brillantes mises en place par Ernesto Gastaldi pour imiter Les diaboliques (Henri-Georges Clouzot, 1955) et tous les thrillers à machination italiens des années 60 signés Umberto Lenzi et consorts, L’alliance invisible – Toutes les couleurs du vice (1972) est clairement un démarquage de Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968). Non seulement le scénario semble s’abreuver à cette source, mais le réalisateur cite à l’envi l’œuvre du réalisateur polonais qui était alors une référence incontournable. Certains passages s’apparentent notamment à Répulsion (1965) lorsque l’héroïne s’enferme dans son appartement afin de ne pas être assaillie par un agresseur venu de l’extérieur.
Les années 70 où l’obsession des sectes sataniques
Toutefois, c’est bien vers le fantastique de Rosemary’s Baby que les auteurs lorgnent en situant tout d’abord le long métrage à Londres dans des grands ensembles d’immeubles inquiétants. Le cinéaste suit les pas d’une femme déstabilisée à la fois par le décès récent de son bébé à la suite d’un accident de voiture, mais aussi par des visions échappées de son enfance. A moins que cela soit un don de divination lui permettant de prévoir un avenir morbide ? Afin de plonger le spectateur dans le même état d’incertitude que son héroïne, le réalisateur multiplie les scènes cauchemardesques à grand coup de montage psychédélique et s’affranchissant souvent de toute logique narrative.
Ici, l’on retrouve une caractéristique typique du giallo à la façon de Dario Argento où l’atmosphère prime sur la logique. Dans ce déferlement de séquences plus ou moins oniriques, on peut aussi citer comme référence Le venin de la peur (Lucio Fulci, 1971). Tout est fait pour que le spectateur doute de la santé mentale de l’héroïne, tandis que le long métrage développe une intrigue liée à une secte satanique. Ici encore on retrouve une référence à Roman Polanski, mais cette fois-ci dans son versant privé, puisque la secte évoque inévitablement celle de Charles Manson, assassin de Sharon Tate, alors enceinte du réalisateur polonais. D’ailleurs, on peut aisément penser que l’acteur espagnol Julián Ugarte a été choisi pour sa ressemblance avec le célèbre serial killer.
Un script rafistolé à la dernière minute
Pourtant, à force de multiplier les séquences absurdes, Sergio Martino prend ici le risque de perdre totalement son spectateur. Certes, son talent formel lui permet de maintenir un intérêt pour son film, notamment grâce à son usage du grand angle qui donne un aspect majestueux à sa réalisation, mais l’ensemble paraît parfois en roue libre. Avec L’alliance invisible – Toutes les couleurs du vice, on a tout de même la forte impression que le scénario a été finalisé lors du montage et que certaines béances ont été comblées au dernier moment.
De même, on peut trouver faiblardes les séquences mettant en scène les fameuses messes noires, avec un usage très kitsch de tout un décorum satanique de bazar. Cela ne sert pas forcément le film, d’autant que la résolution très terre-à-terre de l’intrigue vient contredire bon nombre d’incertitudes. L’explication finale semble plaquée de manière totalement artificielle pour tenter de donner une vague cohérence à tout ce qui précède. Cela fait donc de Toutes les couleurs du vice le segment le plus faible de la trilogie en matière de giallo pur.
Quand Sergio Martino devient un expérimentateur de formes
Toutefois, cela n’en fait pas pour autant un mauvais film, loin de là. Tout d’abord parce que l’interprétation d’Edwige Fenech est tout à fait à la hauteur des enjeux et qu’elle irradie de sa présence magnétique l’ensemble des scènes. Ensuite, Sergio Martino confirme qu’il est aussi un habile créateur d’atmosphères, capable d’outrances maîtrisées lors des séquences de rêves, mais aussi de trouvailles ingénieuses comme ce formidable générique de début en plan fixe dépourvu de musique.
Ce premier plan peut ainsi être vu comme programmatique puisqu’il annonce déjà le fait que le spectateur ne trouvera pas nécessairement dans le film ce qu’il est venu chercher. Martino envisage donc son long métrage comme un formidable laboratoire où il pourrait mener à bien ses propres expériences formelles. Il est soutenu par l’excellente partition musicale de Bruno Nicolai et par la photographie parfois très colorée de Giancarlo Ferrando qui évoque dans certains plans les expérimentations de Mario Bava.
En France, deux titres cinéma alternatifs
Ces différents éléments font donc de Toutes les couleurs du vice un giallo de bonne facture, mais qui souffre assurément d’un script à la ramasse. Le film sort à Paris lors d’une petite semaine unique, celle du 3 janvier 1974, dans une seule salle, à savoir Le Styx, cinéma de quartier du Ve arrondissement, où il grapille1 567 tickets, sous le titre assez étrange de L’alliance invisible. Le distributeur Marbeuf, grand pourvoyeur de films improbables (Les Minettes en folie, V’là que les nonnes dansent le tango, Plaisirs et dangers du sexe rien que pour ce début d’année 1974), a également exploité ce giallo sous le titre Toutes les couleurs du vice comme l’attestent les affiches de l’époque. Ce second titre se rapprochant davantage de l’italien, il a été privilégié lors de la sortie DVD chez le défunt éditeur Neo Publishing. Désormais, le métrage a été publié au sein du magnifique coffret Artus Films contenant les trois films de la Trilogie du vice.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 2 janvier 1974
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Biographies +
Sergio Martino, Nieves Navarro, George Hilton, Luciano Pigozzi, Dominique Boschero, Ivan Rassimov, Georges Rigaud, Marina Malfatti, Edwige Fenech, Sara Sperati, Julián Ugarte
Mots clés
Cinéma bis italien, Giallo, Psycho-killer, Les sectes au cinéma, La psychanalyse au cinéma, La folie au cinéma