Premier volet séduisant d’une saga à succès, Angélique, marquise des anges ne peut pas se réduire à son image de film à l’eau de rose. Son discours est en fait bien plus moderne et intéressant que ce que l’on a bien voulu dire.
Synopsis : La jeune Angélique assiste à la fomentation d’un complot entre plusieurs grands du royaume, visant à empoisonner le futur Louis XIV. Afin de la protéger de cette dangereuse découverte, elle est envoyée dans un couvent pour y faire ses études. Les années passent, et quand son père l’en fait sortir prématurément, c’est pour lui apprendre qu’elle est promise au richissime comte de Peyrac qu’on dit boiteux et défiguré par une cicatrice…
Angélique, un phénomène d’édition
Critique : Au cours des années 50, la romancière Anne Golon consacre plusieurs années à rédiger un livre romanesque situé au XVIIème siècle, aidée en cela par les recherches historiques de son mari Serge Golon. Finalement, Angélique, marquise des anges va connaître un gros retentissement en Allemagne, avant de commencer à se vendre en France en 1957. Le succès populaire est tel que la romancière développe son personnage sur plusieurs romans dont la popularité ne cesse de grandir à la fin des années 50 et au début des années 60.
De quoi motiver des producteurs désireux de capitaliser sur ce phénomène d’édition, et notamment Raymond Borderie qui y voit une occasion de surfer sur la vague du film de cape et d’épée, tout en attirant en même temps le public féminin. Le projet tombe immédiatement dans l’escarcelle de son fils, le réalisateur Bernard Borderie. Après avoir proposé le rôle à Brigitte Bardot, mais aussi à plusieurs blondes célèbres du cinéma français d’alors, les producteurs approchent Michèle Mercier qui correspond parfaitement au personnage et a l’avantage d’être populaire en Italie, pays coproducteur du film.
Un casting de premier ordre
Outre Michèle Mercier, les auteurs engagent Robert Hossein pour incarner le comte de Peyrac. L’acteur est alors connu pour son physique avantageux, mais aussi son goût pour les personnages sombres. En lui ajoutant une balafre, les maquilleurs parviennent à lui donner une allure inquiétante sans être totalement repoussante. Le charme naturel de l’acteur fait le reste et Hossein compose un personnage à la fois intrigant et finalement séduisant. On notera enfin la présence au casting du jeune Giuliano Gemma qui devenait alors une vraie star du cinéma italien et incarne ici l’amour de jeunesse d’Angélique, avec une forte dose d’érotisme et de sensualité. Enfin, signalons également le rôle majeur joué par Jean Rochefort, impeccable en jeune avocat déterminé.
Porté par ce casting impérial – largement complété par un nombre conséquent de comédiens de théâtre – Angélique, marquise des anges (1964) parvient à séduire dès les premières minutes grâce à une ambiance teintée d’érotisme. Particulièrement séduisante, Angélique n’est pas qu’une potiche qui servirait à mettre en avant les personnages masculins secondaires. Volontaire et déterminée, la jeune fille naïve et romantique au début du film se transforme peu à peu en femme de tête. Certes soumise aux diktats de son époque (le 17ème siècle), elle apparaît par bien des points d’une grande modernité par sa volonté de décider par elle-même de son destin, ce qui est souligné par le caractère bien trempé de Michèle Mercier.
Un personnage féminin fort, à l’image de son interprète
Si elle s’attache bel et bien à son époux – et ceci malgré un mariage non désiré – c’est parce que celui-ci la respecte en tant que femme et ne la force jamais à faire ce qu’elle n’entend pas accepter. En cela, le couple que Michèle Mercier forme avec Robert Hossein est parfaitement complémentaire et fonctionne merveilleusement à l’écran. Outre ce discours finalement très moderne sur le rôle des femmes dans la société, le film suit le roman dans sa dénonciation de l’intolérance religieuse et des abus de pouvoir exercés par un absolutisme liberticide. On adore notamment la parodie de procès qui envoie Geoffrey de Peyrac sur le bûcher.
Bien évidemment, les esprits chagrins signaleront que tout ceci tient du roman à l’eau de rose et que ce romantisme de pacotille brosse le public dans le sens du poil. Les accusations n’ont cessé de pleuvoir sur le long-métrage depuis l’époque de sa sortie par une critique qui n’envisage le cinéma que sous l’angle de la Nouvelle Vague. Effectivement, Angélique marquise des anges ne bouleverse en rien la grammaire cinématographique et Bernard Borderie n’est clairement pas le plus grand metteur en scène qui soit. Il parvient toutefois à créer une œuvre valeureuse, d’une bonne tenue sur le plan technique, rythmée et jamais ennuyeuse. Soignant les décors et profitant d’un superbe thème musical emphatique signé Michel Magne, Borderie parvient à donner vie aux personnages et à créer une réelle empathie pour eux.
Un triomphe européen qui permet d’initier une série lucrative
Au passage, il en profite tout de même pour asséner quelques vérités sur les dérives autoritaires des monarchies, les dangers de la théocratie, tout en donnant le beau rôle à un personnage de femme forte et déterminée. Pour cela, il ne brandit aucun drapeau et ne se fait le porte-étendard d’aucune cause, mais préfère divertir le grand public dans une œuvre puissamment romanesque. Oui, son long-métrage vante les vertus de l’amour et de l’amitié, oui l’esthétique est assez kitsch, mais cela correspond aux critères commerciaux de l’époque.
Tandis que les critiques ont étrillé le film, le grand public a répondu présent avec près de 3 millions de spectateurs rien qu’en France. Le long-métrage a ainsi pu se hisser à la 11ème marche du podium annuel français de 1964. Toutefois, Angélique a aussi été une excellente affaire à l’exportation puisqu’elle a attiré plus de 5,5 millions de spectateurs allemands dans les salles de RFA et 5,4 millions d’Italiens. Un triomphe européen qui appelait nécessairement une suite aux aventures de la belle marquise, qui fut tournée en réalité en même temps que le premier opus, afin de profiter des décors et donc d’économiser à la fois sur les frais de tournage, mais aussi le salaire des acteurs. Merveilleuse Angélique (1965) allait ainsi pouvoir débouler sur les grands écrans tout juste six mois après la première époque pour le plus grand plaisir de ses fans.
Critique de Virgile Dumez