Au croisement du giallo et du cinéma gothique, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé adapte Le Chat noir de Poe en lui ajoutant une bonne dose de psychanalyse et de perversité en tous genre. Intrigant.
Synopsis : Oliviero est un ancien grand écrivain qui a perdu son inspiration et vit dans une ferme avec sa femme, tandis que sa mère décédée domine son existence et son imagination. Parallèlement, il a des liaisons avec une ancienne écolière et la servante de leur maison. Lorsque son ancienne élève est retrouvée assassinée, la police le considère comme le suspect numéro un. Les choses se compliquent encore lorsque sa jeune, belle et confiante nièce, Floriana, vient vivre avec eux. Au milieu de tout cela, le chat noir d’Oliviero, qui fait horreur à sa femme Irène, joue un rôle curieux.
Une énième version du Chat noir d’Edgar Allan Poe
Critique : En 1972, le producteur Luciano Martino et son frère, le réalisateur Sergio Martino, ont enchaîné trois gialli à succès qui ont pour titre L’étrange vice de Madame Wardh (1971), La queue du scorpion (1971) et L’alliance invisible – Toutes les couleurs du vice (1972). Il n’en fallait pas davantage pour que les compères récidivent dans un domaine qui leur rapporte de l’argent. Ils s’associent à nouveau au scénariste Ernesto Gastaldi afin d’adapter la nouvelle d’Edgar Allan Poe intitulée Le chat noir.
Jaquette du blu-ray britannique de Ton Vice est une chambre close… © Arrow Vidéo. All Rights Reserved © 1972 Lea Film. Tous droits réservés.
Bien trop courte pour être portée à l’écran de manière fidèle, cette nouvelle a largement inspiré les cinéastes dans le monde, et particulièrement les réalisateurs du bis italien. Parmi les versions les plus célèbres, on peut citer Le chat noir (Edgar G. Ulmer, 1934), L’empire de la terreur (Roger Corman, 1962), Deux yeux maléfiques (George A. Romero et Dario Argento, 1990), ainsi que deux films de Lucio Fulci (L’emmurée vivante en 1977 et Le chat noir en 1981).
Bienvenue dans un giallo aux ambiances gothiques
Pas plus fidèle que les autres versions, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé (1972) tente de concilier deux sous-genres du cinéma horrifique, avec un certain talent. Ainsi, le long métrage prend bien la suite des précédents en s’inscrivant dans la pure tradition du giallo avec des meurtres à l’arme blanche visant des femmes. Pourtant, l’ambiance s’éloigne fortement des autres œuvres du corpus en y intégrant la tradition du cinéma gothique, bien plus proche de l’univers de l’écrivain américain.
D’ailleurs, le script reprend une formule testée dans L’étrange vice de Madame Wardh (1971) en dénonçant l’identité du meurtrier à mi-parcours. Il est alors clair pour le spectateur que la piste du giallo traditionnel est définitivement écartée par un réalisateur qui se moque comme d’une guigne de satisfaire aux attentes d’un whodunit. Dès lors, on comprend mieux pourquoi Sergio Martino insiste tant sur les nombreuses scènes de sexe et d’humiliation. Encore plus psychanalytique que ses précédents efforts, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé s’insinue dans la vie tortueuse d’un couple en bout de course.
De la psychanalyse et beaucoup de sadomasochisme
L’écrivain incarné avec conviction par l’excellent Luigi Pistilli est un parfait modèle de l’homme impuissant, à la fois incapable d’écrire la moindre ligne et de satisfaire sa femme au lit. Face à lui, la belle Anita Strindberg interprète une femme sous emprise tout à fait crédible. Sa souffrance perpétuelle ne peut laisser indifférent d’autant que le cinéaste multiplie les scènes d’humiliation qui provoquent forcément l’empathie. A moins que tout ceci ne relève du pur jeu sexuel, teinté comme souvent de sadomasochisme.
Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé, affiche italienne © 1972 Lea Film. Tous droits réservés.
Afin de noyer le poisson, le réalisateur ajoute à ce couple une nièce jouée agréablement par une Edwige Fenech qui a troqué sa panoplie de femme traquée pour celle d’une allumeuse aux arrière-pensées forcément malhonnêtes. Autour d’elle gravite une fois de plus l’étrange figure d’Ivan Rassimov dont on se demande longtemps ce qu’il vient faire là. Peu à peu, l’intrigue se resserre autour des personnages, tandis que la fameux chat noir du titre scrute tout ceci de son œil perçant.
Une bande originale qui emporte l’adhésion
Réalisé avec un talent évident, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé manque sans aucun doute de subtilité, notamment dans son montage qui insiste un peu trop sur des images récurrentes trop obsessionnelles et finalement lassantes. Cependant, le giallo bénéficie d’une photographie agréable, d’un cadre campagnard séduisant qui tranche avec ses prédécesseurs plus urbains et surtout d’une composition musicale de Bruno Nicolai tout à fait satisfaisante et enveloppante.
La plus-value réelle vient de l’ambiance plus proche de celle du film d’horreur que du thriller, avec même quelques dérives fantastiques lors du final – très connu des amoureux de l’œuvre de Poe. A cela, il faut ajouter une perversité de chaque instant, avec des scènes généralement puissantes où les sentiments contradictoires s’entrechoquent. Comme son titre l’indique, le film propose donc une plongée en apnée au cœur des désirs les plus inavouables faits de vénalité, de plaisir et de souffrance mêlés, le tout avec un goût prononcé pour le mensonge et la manipulation.
Un giallo rare en France
Malgré son caractère très différent de ses prédécesseurs, il est courant aujourd’hui d’intégrer le thriller dans une informelle Trilogie du vice. Finalement, elle est passionnante à redécouvrir de nos jours car elle prouve qu’il était possible de décliner une formule à succès avec des variations importantes faisant de chaque œuvre une entité parfaitement autonome.
Mais cette fois, Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé ne semble pas avoir fonctionné à sa sortie en Italie, à tel point que cet opus est resté inédit sur le territoire français. Selon le site Encyclociné, il serait sorti dans le sud-est de la France sous le titre L’escalade de l’horreur, sans que l’on puisse vérifier cette affirmation, d’autant qu’elle n’est pas datée. Par la suite, le métrage n’est jamais sorti en vidéo en France jusqu’à son exhumation en DVD et blu-ray en 2024 par l’éditeur Artus au sein de son superbe coffret consacré à la Trilogie du vice.
Critique de Virgile Dumez
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Sergio Martino, Luigi Pistilli, Dalila Di Lazzaro, Ivan Rassimov, Daniela Giordano, Edwige Fenech, Marco Mariani, Anita Strindberg, Riccardo Salvino
Mots clés
Cinéma bis italien, Giallo, Psycho-killer, Le sadomasochisme au cinéma