Le Chat noir de Lucio Fulci est un hommage vénéneux à Edgar Allan Poe de par son style gothique rutilant et son ambiance macabre. Méconnu, ce bijou sombre avait essuyé un échec en salle, à sa sortie française en 1983.
Synopsis : Une petite ville anglaise est le théâtre de crimes aussi horribles qu’inexplicables. Un chat noir est soupçonné d’en être l’auteur.
Critique : Mal-aimé, méconnu, Le Chat noir de Lucio Fulci est l’un des bijoux du maestro Lucio Fulci que l’on redécouvre en HD, avec une admiration étonnée, puisque l’on était un peu passé à côté en DVD et surtout en VHS. Au moins avons-nous eu la détermination de lui offrir une troisième chance sur un support plus adapté.
Lucio Fulci a eu la reconnaissance tardive. Quand il aborde Le Chat noir en 1980, il démarre les années 80 avec une série de futurs classiques, qui comptent parmi ses plus vus, ses plus reconnus et exportés de sa filmographie.
Le Chat noir de Fulci, en HD et rien d’autre
Le Chat noir est réalisé en 1980, dans la foulée du napolitain La guerre des gangs et de Frayeurs. Cette production de budget dit réduit, précède L’au-delà et La maison près du cimetière, deux autres jalons de l’artiste dans un genre qu’il exploite avec ferveur, l’épouvante.
Dans un contexte de violence extrême, Le Chat noir apparaît comme une production soft au sein des propositions meurtrières de l’auteur de l’époque qui est acclamé pour la trilogie de la mort. Sans aucun doute, cela a nui à la réputation de cette œuvre à rebrousse-poil qui s’est bâtie de surcroit une notoriété en raison de la copie VHS recadrée très sombre, qui a sévi pendant plus d’une décennie.
La vidéocassette de l’éditeur britannique Redemption, dans les années 90, allait redonner du cadre au film. Puis les DVD, et surtout une série d’édition blu-ray anglophones redonneront à cette œuvre une vraie place au sein de la filmographie d’un auteur au sommet de son art.
Un film de commande vite réalisé
Film de commande – comme La guerre des gangs par ailleurs -, Le Chat noir est, selon les dires de Fulci, une envie de producteur. Celle de Giulio Sbarigia (Salon kitty de Tinto Brass), producteur alors en fin de carrière. Il lui aurait dicté quelques petites idées farfelues pour mieux vendre son produit. Exit le gore, mais bienvenu au surnaturel, celui d’un lit possédé par exemple. Fulci n’aime pas l’idée, mais ne cherche pas d’histoire. Cette fois-ci, il accepte de tourner ce qui, 7 ans plus tôt, aurait été perçu comme une référence à L’Exorciste.
Une réussite visuelle de chaque instant
Contrairement à ce que nous avons longtemps pensé en raison de la vidéocassette déplorable, Le chat noir de Lucio Fulci est une étonnante surprise en haute définition, puisque toute la virtuosité de son auteur est en place. Cadrages élaborés, travelings épatants, regards perçants en gros plan comme pour communiquer avec ceux insistant du satané chat noir… Lucio Fulci se crève à la tache. Il évalue l’espace des décors, intérieurs, souterrains, bucoliques ou pas, et se refuse au cadrage de téléfilm en vogue dans les slashers américains du moment qui ont pour beaucoup abandonné tout effort de mise en scène. Le travail de Fulci est impressionnant pour une œuvre réalisée aussi vite, faisant de chaque plan, une aubaine visuelle. Le Chat noir est un régal que seul un artiste visionnaire est capable d’extirper de ses cauchemars.
Le roi du macabre rencontre le poète du morbide, Edgar Allan Poe
Macabre malgré son absence de macchabées errants, d’une atmosphère damnée qui oppresse, étouffe et emmure, l’œuvre délicieusement sophistiquée s’éprend de la vieille pierre et du bois ancien pour célébrer un genre auquel Lucio Fulci tient beaucoup, le gothique. De par sa thématique et son décor, c’est évidemment de gothique britannique auquel on pense, entre deux films d’horreur – Frayeurs et L’Au-delà -, qui relèvent pour leur part du gothique américain, celui de Louisiane. Néanmoins, c’est bel et bien l’univers d’un auteur américain qu’il transpose en Europe, Edgar Allan Poe, même s’il est vrai que le récit ne sème la démence de Poe qu’à intervalles irréguliers dans le film, notamment dans la séquence finale d’emmurement, que Lucio Fulci avait déjà mise en scène avec brio dans L’emmurée vivante .
Crimes dans des jardins anglais
Pure peinture fulcienne, dans les cryptes souterraines d’une campagne anglaise aux réminiscences du Massacre des morts vivants de Jorge Grau, avec ses animaux agressifs aux attaques diaboliques (chauves-souris et chats ravivent les souvenirs d’attaques d’escargots, d’asticots ou d’araignées dans d’autres délires du cinéaste), Le Chat noir a été tourné près de Londres, s’appuyant sur une mythologie charismatique de l’épouvante locale. Cette production n’en reste pas moins davantage le film de son auteur – un Italien -, qu’une production impersonnelle faite pour remplir les poches d’un commerçant de l’image.
Donaggio remplace Frizzi
La pellicule déploie le fruit terrifiant d’une rencontre d’un cinéma visuel et d’une bande son à la précision glaçante. La musique de Pino Donaggio, débarrassée de ses ambitions américaines (il composait pour Brian de Palma), colle au style pastoral d’une Angleterre champêtre. La musique n’a pas le goût fétide des formidables efforts de Fabio Frizzi sur L’Enfer des zombies, Frayeurs ou L’au-delà. Néanmoins, l’empreinte musicale de la composition de Donaggio est celle, romanesque, folklorique et puissamment morbide, d’un compositeur savant doser son talent sans l’exposer de façon ostentatoire.
Une histoire qui ne tient pas debout, mais délicieuse de mystères
D’aucuns reprocheront à Lucio Fulci le récit décousu du Chat noir. L’on ne cherchera nullement à défendre le scénario co-écrit par le cinéaste, qui ne facilite pas l’accès à une histoire pas toujours convaincante. Des pistes paranormales, surnaturelles, démoniaques et effectivement psychologiques, accouchent de morts en série dans un village perdu au sein du patrimoine campagnard britannique, autour d’un chat noir baladeur, qui nous sera présenté comme l’extension de la haine, de la fureur et de l’aigreur d’un homme meurtri. Certains critiques ont pointé à ce sujet une ressemblance diégétique avec la progéniture meurtrière de Chromosome 3 de David Cronenberg, dont le film est sorti un an avant le tournage de cette libre adaptation de Poe. On ne la reprend pas à notre compte, car l’analogie ne vient pas de nous, mais elle est effectivement crédible.
Un auteur revigoré par le triomphe de L’enfer des zombies
Dans ce récit aux personnages multiples que tout éloigne dans leurs destins funestes (les liens entre les victimes sont tirés par les cheveux), les frustrations de voir l’auteur abandonner certaines idées pour se concentrer sur d’autres peuvent s’enchaîner. Mais peu importe. Dans le macrocosme du cinéaste italien, les idées fusent et peuvent être écartées au détour d’un montage abrupt dont Le chat noir sait se faire le miroir, sans pour autant nuire à une véritable quête du mystère, omniscient et volontairement insondable. Le montage est solide, choyé par un auteur revigoré par le triomphe mondial de L’Enfer des zombies, comme si Fulci ne s’était jamais senti autant réalisateur que sur ce plateau. Aussi, s’il est indéniablement mineur dans la filmographie du maître de l’horreur (échec en salle, à peine distribué sur bien des territoires, voire exploité directement en vidéo sur de nombreux marchés importants), Le Chat noir déploie une réalité filmique autre.
Etonnamment, une oeuvre somme sans zombie
L’auteur ne fait pas que ressasser ses hyperboles (l’actrice Daniela Doria, maltraitée sur le tournage de Frayeurs, en devant vomir d’authentiques tripes bouchères, est ici condamnée à suffoquer dans la mort, en s’étouffant dans son écume). Fulci réalise une œuvre somme qui, habilement, rassemble toutes les terreurs inhérentes à son cinéma fantastique. Solitude de l’homme face à sa finitude, contemplation poétique et fascinée d’un au-delà qui nous bouffe de l’intérieur, attirance inéluctable pour les chemins souterrains à la destination unique… Le projet est une enquête policière doublée d’une quête de soi dans le regard infernal d’un animal surnaturel. Le microcosme anglais aussi charmant que cinégénique, lui offre un cadre mortifère éminemment fantastique. Esthétiquement, Le Chat noir finit même par transcender moult œuvres ad hoc de la Hammer dont on baigne dans les eaux troubles.
Un casting pour les amoureux du cinéma d’exploitation italien
Dans ce parangon du cinéma bis italien, le casting est habité par le folklore habituel : Mimsy Farmer que l’on ne présente plus mais qui fait face à la caméra forte de Fulci pour la toute première fois ; David Warbeck pour sa première collaboration avec Lucio Fulci juste avant L’au-delà ; le sévère David Lagee (Orange mécanique), peu aimable avec Fulci qui le lui rendait bien, il était alors dans l’un de ses derniers rôles, puisqu’il décède peu après la sortie italienne, en 1982 ; la diva Dagmar Lassander, aux portes de la quarantaine, dans un rôle moins sexy que ceux qu’elle embrassait volontiers dans les années 70 ; Al Cliver éternel visiteur du cinéma d’exploitation italien, et collaborateur régulier de Fulci.
Le Chat noir de Fulci est une oeuvre puissamment visuelle
Le Chat noir est donc un chapitre précieux dans le grimoire de Lucio Fulci, malgré une réputation qui lui est défavorable qu’il faudra réviser. Contrairement aux nombreuses entreprises ratées qui pollueront la fin de carrière du cinéaste, ce Chat transpire le cinéma, de l’image au son, avec une préférence pour le pinceau à la plume qui diminue probablement la portée de l’histoire. C’est bien à un auteur au sommet de son art à qui l’on a affaire, dans toutes ses obsessions, notamment l’enfermement, que l’on retrouvera dans son pot-pourri, A Cat in the Brain (1990), avec un hommage appuyé au Chat noir via la découverte d’un cadavre enterré, grâce à un fin limier félin.
Black Cat offre donc la possibilité de revivre les années 80 à la sauce bolognaise, comme si c’était la première fois. Il en émane un puissant aphrodisiaque pour se réapproprier les plaisirs d’antan face aux délices d’une cinématographie singulière et unique dans son histoire. Lucio Fulci y démontre une fois de plus sa ferveur et sa formidable capacité à mettre en scène le macabre comme aucun autre auparavant.
Le Chat noir porte la signature de son maître.
Sorties de la semaine du 9 mars 1983
Box-office :
Sorti sur les écrans français le 9 mars 1983, Le Chat noir est passé totalement inaperçu. Il a pâti d’une absence d’articles dans la presse fantastique – rien dans le numéro 2 de Starfix, Mad Movies ou L’Ecran Fantastique lors de sa sortie, et n’a pas été diffusé au préalable dans les festivals spécialisés (celui du cinéma fantastique du Rex ou d’Avoriaz). Sa carrière en province sera très difficile.
Un petit distributeur pour une œuvre mal distribuée
Le Chat noir est distribué par P.M. Productions, micro distributeur débarqué sur le marché en 1981 avec Spectre, Mr. Patman et Femme, qui confirme difficilement en 1982 avec L’avion de l’apocalypse et quelques films érotiques. En 1983, P.M. Productions lance pas moins de 9 films, dont la reprise à succès d’Exhibition, Yor le chasseur du futur et Ténèbres. Dans le bas de leur catalogue, l’on retrouve un film avec Richard Bohringer à 598 entrées sur Paris, Ballade à blanc, et surtout Le chat noir à 4 601 Parisiens.
Le distributeur a pourtant récupéré le magnifique visuel vidéo présent sur la VHS Scherzo par Landi, mais rien n’y fait. Apparaissant une semaine où sortent plusieurs films de genre (Halloween III dans 22 cinémas parisiens, Horreur dans la ville /12 écrans, Sans retour/14), Le chat noir est inexistant. Il affronte également la deuxième semaine de Rambo I, celle du phénoménal Tootsie, de Cobra d’Enzo Girolami, avec Franco Nero, du pur bis…
Lucio Fulci soudainement en peine au box-office en France
Le Chat noir ne tient qu’une semaine, puisqu’il perdra ses 6 salles en intra-muros et ses 2 cinémas de banlieue en raison d’un score très insuffisant : sa moyenne de 575 est déraisonnable, d’autant plus qu’un seul cinéma parvient à dépasser les 1 000 fans du maestro italien, le Paramount Montparnasse. Pour le reste, les Paramount City, Marivaux, Montmartre et le Convention St-Charles donnent leur langue au chat. Ils ne savent pas où sont partis les spectateurs de L’enfer des zombies (76 000 sur Paris), Frayeurs (42 920), L’au-delà (68 000), et à un très moindre niveau ceux déjà plus rare de La maison près du cimetière (28 104).
L’éventreur de New York, réalisé après Le Chat noir sortira finalement deux mois après Le Chat noir, et trouvera 42 381 amateurs de thrillers hardcore (et en l’occurrence, interdit aux moins de 18 ans).
Oublié en France, Le Chat noir a surtout été vu en VHS chez Scherzo, dans la première moitié des années 80, puis, en DVD, dans une édition bon marché dans les années 2000. Les Français attendent toujours l’édition blu-ray qu’ils méritent.
Biographie +
Dagmar Lassander, Mimsy Farmer, David Warbeck, Al Cliver, Patrick Magee, Daniela Doria