Polar de fin de cycle, Ne réveillez pas un flic qui dort succombe sous le poids de ses propres excès de caricature et sa violence gratuite. Souvent ridicule.
Synopsis : Voyant des criminels remis en liberté, le commissaire Scatti fonde une organisation secrète de policiers extrémistes qui font leur propre justice : “Fidélité Police”. Un autre commissaire, Eugène Grindel, met sa vie en danger en enquêtant sur les crimes commis par ces policiers en colère…
Retour de l’équipe de Parole de flic
Critique : De plus en plus rare sur les écrans en cette fin des années 80, Alain Delon souhaite rebondir dans un genre qui lui assure généralement le succès, après des tentatives de diversification (Notre histoire, Le passage) qui ont moyennement convaincu. Persuadé que le mot flic dans le titre lui assurera automatiquement l’adhésion du public, Delon reconstitue l’équipe de Parole de flic (Pinheiro, 1985) qui lui avait permis de cumuler encore 2,5 millions d’entrées sur le sol français. Pourtant, le film était loin d’être une réussite, avec sa surenchère de violence gratuite et ses nombreux dérapages bis qui en font un nanar fort drôle à visionner de nos jours.
Pour ce nouveau polar, Delon s’empare donc d’un roman de Frédéric Fajardie, avec qui il avait déjà travaillé sur Parole de flic. Largement inspiré par plusieurs organisations clandestines policières des années 70 (on pense notamment à Honneur de la Police en France, mais aussi à l’escadron de la mort anticommuniste d’Argentine Triple A qui est d’ailleurs nommément cité dans le film), Ne réveillez pas un flic qui dort (1988) reprend donc l’idée centrale au cœur du précédent film de José Pinheiro, à savoir la constitution de milices d’extrême droite au sein de la police française.
Delon lutte contre l’extrême droite infiltrée dans la police
Le thème n’est pas neuf et il est d’ailleurs toujours d’actualité puisque les policiers ont souvent eu par le passé le sentiment d’être impuissants face au crime organisé. De là à songer à devenir à la fois policier, juge et bourreau, il n’y a qu’un pas que les romanciers et cinéastes ont souvent franchi, agitant ainsi le chiffon rouge qui sépare la légalité du fascisme pur et dur. Alain Delon se présente donc dans le long-métrage comme un garant de la stabilité républicaine face à un Michel Serrault délibérément fasciste – on songe d’ailleurs à sa prestation hallucinée dans A mort l’arbitre (Mocky, 1984) tant l’acteur en fait des tonnes dans l’abjection.
Pour cette première confrontation entre deux acteurs de poids, Ne réveillez pas un flic qui dort s’avère assez frustrant puisqu’ils n’ont quasiment pas de scène commune. D’après Serrault dans son autobiographie …vous avez dit Serrault ? (2001) :
Alain Delon demanda à ce moment-là à me voir. Nous n’avions jamais eu de contact auparavant, et je trouvai devant moi un homme très aimable, avant tout chef d’entreprise. […] Sur le tournage, j’ai eu avec Delon des rapports très amicaux. Il ne cachait pas une sorte de respect et me parlait avec beaucoup de gentillesse.
Une dénonciation poids lourd
Toutefois, si le tournage fut agréable, le résultat final laisse franchement à désirer à cause d’une volonté encore évidente de tout exagérer. Afin de capter un public plus jeune, Delon met une fois de plus le paquet en matière de violence, au point que cela confine souvent au ridicule. Dès les premières séquences où la milice policière exécute des truands, on a le droit à une mort par lance-flamme – pratiquée par un Bernard Farcy en roue libre – puis à une émasculation à coup de tenaille géante. Durant ces scènes, tous les acteurs cabotinent un maximum, que ce soit le jeune espoir Xavier Deluc – dont l’arrestation est également un grand moment de cinéma bis – ou le vétéran Serrault.
Par la suite, le discours qui vise à dénoncer l’extrême droite est asséné de façon pachydermique par des dialogues signifiants d’une incroyable lourdeur démonstrative. Afin de faire passer la pilule, les auteurs ont cru bon adopter un langage qui voudrait imiter la verve populaire de Michel Audiard. Mais le talent fait ici clairement défaut et la plupart des punchlines tombent à l’eau.
Ne réveillez pas un spectateur qui dort
Pire, malgré plusieurs scènes d’action efficaces, Ne réveillez pas un flic qui dort est un polar désespérément mou, plombé par un script affreusement linéaire et prévisible. Au milieu de ce naufrage artistique, renforcé par la musique Bontempi de Pino Marchese, Alain Delon fait ce qu’il peut pour rester digne. Un peu meilleur que dans Parole de flic, l’acteur parvient à s’imposer, tout en faisant de son personnage un cliché d’un autre temps. Alors que dans le roman son personnage était un flic en bout de course, Delon ne se voit plus que comme un super-héros invincible. Il y séduit encore une jeune mannequin, de vingt ans plus jeune que lui et par ailleurs fort mauvaise actrice, dans un refus complet d’assumer son âge.
Tout ceci rend donc la projection assez douloureuse, voire comique au second degré. Le long-métrage apparaît donc comme une preuve supplémentaire de l’effondrement d’un type de divertissement à la fin des années 80, par ailleurs ravagée par la crise du cinéma. Mauvais de bout en bout, accablant par la multitude de choix de mise en scène incompréhensibles, et ceci jusque dans les arrière-plans, Ne réveillez pas un flic qui dort est une vaste blague qui ne suscitera que l’indulgence des bisseux les plus endurcis.
La fin de la domination de Delon sur le box-office français
Sorti début décembre 1988, le film ne parvient pas à attirer le grand public en se positionnant seulement troisième lors de sa semaine d’investiture parisienne (avec 78 509 spectateurs dans une vaste combinaison de salles). Sur la France, le polar n’arrive qu’en cinquième position derrière des poids lourds comme Camille Claudel, Itinéraire d’un enfant gâté (avec son grand rival Belmondo), L’ours et Willow.
Si Ne réveillez pas un flic qui dort s’est maintenu pendant les vacances de Noël, le bouche-à-oreille plutôt mauvais l’a poussé assez rapidement vers la sortie au cours du mois de janvier 1989. Le film a tout juste réussi à franchir le seuil des 800 000 entrées sur la France, score qui fut une sacrée douche froide pour Alain Delon dont le règne était terminé. Comme le dit très bien Michel Serrault dans son autobiographie :
Le film ne fut pas à la hauteur des espérances d’Alain Delon, des miennes non plus.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 décembre 1988
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