Caricatural jusqu’à l’excès, A mort l’arbitre dénonce l’abrutissement de masse porte la marque de son auteur, l’inénarrable Jean-Pierre Mocky qui livre une œuvre audacieuse, mal polie et assez jubilatoire dans sa prescience des tensions à l’œuvre dans la société française.
Synopsis : L’arbitre de football Maurice Bruno siffle un penalty faisant perdre l’équipe locale. Consternation des supporters du cru. De chantages en traque effrénée, l’embrasement collectif, aveugle et meurtrier déferle sur la ville.
Critique : Au début des années 80, le cinéaste Jean-Pierre Mocky continue à radiographier la société française à travers des œuvres satiriques plus ou moins inspirées. Il développe également un goût pour le cinéma de genre qu’il exprime avec son film fantastique Litan (1982), métrage incompris car en décalage complet avec la production française de l’époque. Il retrouve pourtant le chemin du succès populaire avec sa satire politique Y-a-t-il un Français dans la salle ? (1982), ce qui lui permet de réunir un budget correct pour son métrage suivant adapté d’un roman britannique The Death Penalty d’Alfred Draper. Ce dernier était un journaliste qui s’est inspiré d’un fait divers réel survenu en Angleterre où l’hooliganisme faisait déjà des ravages en ce début des années 80.
Ce roman offre l’opportunité à Jean-Pierre Mocky de fustiger les phénomènes de foule, et notamment l’abrutissement des masses que cet anarchiste bon teint n’a eu de cesse de dénoncer. Il peut ici s’en donner à cœur-joie contre une certaine France, celle des beaufs racistes qui trouvent dans le football un dérivatif à leur misère intellectuelle et sociale. Bizarrement, Mocky semble se placer dans le film du côté de l’ordre, s’octroyant même le rôle de l’inspecteur de police blasé. Toutefois, ne pas se méprendre sur les intentions de l’auteur : la police est ici totalement inefficace et se révèle incapable de maintenir l’ordre face aux débordements de violence de la populace. Pour preuve une fin assez crépusculaire où personne ne sort gagnant d’un conflit tout bonnement absurde, ce qui est souligné par la dernière phrase prononcée par le flic.
Comme à son habitude, Mocky ne dénonce pas cet état de fait avec finesse, mais au contraire avec un excès de caricature qui est devenu sa marque de fabrique. Tous les supporters ont des « gueules » incroyables, parmi lesquelles on repère des fidèles du réalisateur comme Dominique Zardi, Jean Abeillé, Antoine Mayor et bien d’autres encore.
Ils sont menés par un Michel Serrault en total freestyle, lui qui venait de s’acheter une respectabilité en tournant dans des œuvres sérieuses où il était tout en intériorité (Garde à vue). Ici, il pète complètement les plombs et livre une prestation over the top dont il avait le secret en tant que roi des cabotins. Face à lui, Eddy Mitchell et Carole Laure semblent quelque peu effacés, mais toujours justes en couple traqué.
Si la violence qui se dégage du métrage a pu paraître excessive lors de la sortie du film, lui donnant une allure de nanar, il faut bien avouer que l’analyse des auteurs est devenue bien plus pertinente avec le temps. S’inscrivant dans tout un courant du cinéma français d’alors, au même titre que Les chiens d’Alain Jessua, Le prix du danger d’Yves Boisset ou encore Rue barbare d’Yves Béhat, A mort l’arbitre saisit avec près d’une vingtaine d’années d’avance les lignes de fracture de la société française.
Il n’est pas anodin d’avoir situé l’ensemble de l’intrigue dans des villes nouvelles comme celle de Noisy-le-Grand et en Seine-Saint-Denis. Non seulement cette architecture moderne donne un cachet futuriste – et presque fantastique – au film, mais elle souligne encore un peu plus la déshumanisation à l’œuvre dans la société française, ainsi que l’opposition entre les différentes couches sociales. Annonciateur des violences à venir, A mort l’arbitre paraît donc bien plus intéressant aujourd’hui qu’à l’époque de sa sortie.
Toutefois, cette œuvre n’est pas exempte de défauts, comme l’usage systématique d’une musique synthétique composée par Alain Chamfort qui n’évite pas le kitsch en singeant la BO d’Orange mécanique. On se croirait parfois plongés dans du bis transalpin – ce qui n’est bien sûr pas pour nous déplaire en soi – tendance Mad Max et autres post-nuke.
L’interprétation est inégale et bien entendu, certains dialogues, par ailleurs drôles, paraissent déplacés et inutilement vulgaires. Mais c’est aussi la marque de fabrique de son auteur, un trublion nécessaire venant rompre la monotonie d’une production française trop souvent lisse et policée. Lors de sa sortie en salles, A mort l’arbitre est loin d’avoir cassé la baraque avec moins de 360 000 spectateurs sur toute la France. Il faudra attendre la sortie du Miraculé (1987) pour que Mocky renoue avec un franc succès.
Critique de Virgile Dumez
© 1984 R.T.Z. Production – TF1 Films Production / Illustrateur : Jouineau-Bourduge. Tous droits réservés.