La voie lactée : la critique du film (1969)

Comédie dramatique | 1h41min
Note de la rédaction :
8,5/10
8,5
La voie lactée, l'affiche

  • Réalisateur : Luis Buñuel
  • Acteurs : Edith Scob, Michel Piccoli, Paul Frankeur, Georges Marchal, Delphine Seyrig, Claude Cerval, Julien Guiomar, Michel Creton, François Maistre, Pierre Clémenti, Jean-Claude Carrière, Claudine Berg, Jacques Rispal, Claudio Brook, Laurent Terzieff, Luis Buñuel, Bernard Verley
  • Date de sortie: 14 Mar 1969
  • Nationalité : Français, Italien, Allemand
  • Titre original : La voie lactée
  • Titres alternatifs : The Milky Way (titre international) / Die Milchstraße (Allemagne) / Vintergatan (Suède) / La Vía Láctea (Espagne) / A Via Láctea (Portugal) / Mleczna droga (Pologne) / Melkeveien (Norvège) / La via lattea (Italie) / Tejút (Hongrie) / Linnunrata (Finlande) / Via Láctea (Brésil)
  • Année de production : 1969
  • Autres acteurs : Denis Manuel, Daniel Pilon, Julien Bertheau, Alain Cuny, Jean Piat, Pierre Maguelon
  • Scénaristes : Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière
  • Monteuse : Louisette Hautecoeur
  • Directeur de la photographie : Christian Matras
  • Concepteur de la bande sonore : Luis Buñuel
  • Cheffe maquilleuse : Jacqueline Pipard
  • Chef décorateur : Pierre Guffroy
  • Directeur artistique : -
  • Producteur : Serge Silberman
  • Producteur exécutif : Ully Pickardt
  • Sociétés de production : Greenwich Film Productions (Paris), Fraia Film (Rome)
  • Distributeur : C.C.F.C. - Compagnie Commerciale Française Cinématographique
  • Distributeur reprise : Carlotta Films
  • Date de sortie reprise : 2 août 2017
  • Editeurs vidéo : Fil à Film (VHS) / Studiocanal (DVD en coffret uniquement, 2005) / Studiocanal (blu-ray, 2021)
  • Dates de sortie vidéo : 14 novembre 2005 (coffret DVD) / 1er janvier 2021 (blu-ray)
  • Budget : -
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 529 538 entrées / 250 549 entrées
  • Box-office nord-américain / monde : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleur / Son : Mono
  • Festivals : Festival de Berlin 1969 : Hors compétition
  • Nominations : -
  • Récompenses : -
  • Illustrateur/Création graphique : © Jacques Vaissier Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Studiocanal. All Rights Reserved. Tous droits réservés.
  • Attachés de presse : -
Note des spectateurs :

Attaque virulente contre toutes les formes de dogmatisme, La voie lactée est une comédie grinçante qui prend pour cible les intégristes religieux à l’aide d’une forme libre qui étonne encore de nos jours par son audace. Indispensable.

Synopsis : Le voyage de deux clochards goguenards qui, sur la route de Saint-Jacques de Compostelle font toutes sortes de rencontres insolites dont la succession échappe au temps et à l’espace…

La voie lactée, un scénario très ambitieux

Critique : Alors qu’ils sont invités au Festival de Venise en 1967 pour la projection de Belle de jour (1967), le cinéaste Luis Buñuel et son scénariste Jean-Claude Carrière estiment qu’ils peuvent enfin mettre en chantier un vieux projet commun qui consistait en un film consacré aux hérésies du christianisme. Effectivement, Belle de jour est un succès sans précédent, obtenant à la fois des récompenses auprès des critiques – Le Lion d’or par exemple – mais aussi des scores impressionnants au box-office avec plus de 2 millions de spectateurs dans les salles françaises. De quoi mettre en confiance l’audacieux producteur Serge Silberman qui avait déjà travaillé avec Luis Buñuel sur Le journal d’une femme de chambre (1964).

Fondé sur une œuvre espagnole du 19ème siècle intitulée La Historia de los heterodoxos españoles de l’érudit Marcelino Menéndez y Pelayo qui compilait en trois volumes imposants toutes les hérésies connues et dérivées du christianisme, le scénario de Jean-Claude Carrière et Luis Buñuel entend confronter les catholiques aux contradictions internes à leur dogme. Pour faire passer la pilule d’un script très complexe, les deux hommes trouvent une colonne vertébrale ferme à leur travail en inventant le voyage de deux vagabonds (Paul Frankeur et Laurent Terzieff) vers Saint-Jacques de Compostelle. Au cours de leurs pérégrinations, ils ne cessent de faire des rencontres étonnantes, d’autant que les barrières du temps et de l’espace sont bousculées afin de mieux confronter le christianisme aux dérives qui furent les siennes au cours des siècles.

Luis Buñuel se définissait comme “un athée, Dieu merci”

Le brio de ce scénario vient non seulement de sa capacité à bousculer les règles classiques de la narration, tout en conservant un fort intérêt pour le spectateur grâce à un humour sarcastique puissant. Effectivement, si Luis Buñuel est un anticlérical notoire, sa formation chez les jésuites a laissé des traces et ses interrogations religieuses sont l’œuvre d’un homme inquiet et réellement passionné par le sujet. Au long du parcours de ces deux pieds nickelés, La voie lactée trace les contours d’une religion complexe à travers les nombreux mystères qu’elle contient. Ainsi, les auteurs s’interrogent sur la validité du dogme de la Sainte Trinité, mais aussi sur l’eucharistie et la transsubstantiation, l’iconoclasme ou encore le culte marial.

Parallèlement, le cinéaste rejoue certaines scènes du Nouveau Testament afin de donner une image plus humaine à Jésus (excellent Bernard Verley). Ainsi, il le montre dans son quotidien le plus trivial et parodie avec un humour fin et délicieux certains moments clés de la Bible. Bien entendu, cette liberté de ton ne pouvait que scandaliser l’Eglise et les spectateurs catholiques les plus intolérants. Il s’agit bien ici d’un humour ravageur qui entend démontrer l’absurdité des dogmes chrétiens et la volonté d’éradiquer toute forme de contradiction au discours officiel. Toutefois, Luis Buñuel n’est pas nécessairement tendre avec les hérétiques puisque leurs certitudes les poussent également à défier les autorités et à mettre à mort certains de leurs compatriotes.

La voie lactée flingue toute forme de dogmatisme

En cela, on peut lire La voie lactée non pas comme une attaque envers la foi, mais bien contre la traduction humaine et institutionnelle que représente la religion. Buñuel déteste assurément toute forme de dogmatisme et son humour se déchaîne contre toute personne persuadée de posséder une seule Vérité transcendantale. On reconnaît là son goût immodéré pour la liberté.

Grâce à un casting impressionnant, La voie lactée est un véritable défilé de grands acteurs qui viennent nous amuser le temps d’une scène ou deux. A ce petit jeu, on citera volontiers les excellentes prestations de Georges Marchal en jésuite, de Julien Guiomar en prêtre moralisateur, de Michel Piccoli en marquis de Sade, de François Maistre en curé fou ou encore de Delphine Seyrig en prostituée. A chaque épisode, le cinéaste mélange de manière très adroite les époques et les lieux sans que le spectateur ne se perde. Il fallait bien toute la maîtrise d’un réalisateur aguerri pour livrer un tel exploit d’écriture et de fluidité.

Un art du blasphème qui a séduit les Parisiens

Malgré son sujet ardu pour qui n’est pas versé dans les Ecritures et l’histoire des hérésies, La voie lactée n’en demeure pas moins une comédie irrévérencieuse absolument jubilatoire. Jamais avare de moment blasphématoire, Luis Buñuel ose même fusiller le pape dans une scène mémorable où il incarne lui-même le Souverain Pontife. Décidément pénétré de l’esprit libertaire qui soufflait en France après mai 68, Luis Buñuel signe avec La voie lactée une grande œuvre surréaliste qu’il a ensuite complétée avec Le fantôme de la liberté (1974), autre grand film à la fois métaphysique et surréaliste.

Présenté hors compétition au Festival de Berlin en 1969, La voie lactée est sortie en France en mars 1969. Aidé par le triomphe récent de Belle de jour, le film plus difficile d’accès est arrivé à se hisser à la première place parisienne des nouveautés de la semaine du 14 mars avec 37 219 entrées. Il n’a pas réussi à détrôner de sa pole position la comédie Le cerveau (Gérard Oury) qui n’en était qu’à sa deuxième semaine d’exploitation. En deuxième septaine, La voie lactée se comporte magnifiquement bien en maintenant ses entrées à 30 605 curieux.

La baisse demeure minime la semaine 3 avec encore 24 795 athées supplémentaires. Au bout d’un mois, le film audacieux entend bien franchir la barre des 100 000 spectateurs. La voie lactée continue à se maintenir pendant plusieurs semaines autour de 15 000 curieux par septaine. En septième semaine, le métrage se hisse à 150 000 entrées, devenant donc un joli phénomène d’art et essai, d’autant que sa carrière va ainsi se poursuivre durant de longues semaines, allant jusqu’à cumuler 250 549 Franciliens.

Une moindre présence en province

Comme on pouvait s’y attendre avec une œuvre aussi exigeante, le ratio Paris-province n’est pas bon et la comédie très intellectuelle ne fait que doubler ses chiffres parisiens dans nos régions. Ce sont essentiellement les villes universitaires qui lui feront bon accueil. En réalité, le métrage est assez peu diffusé en province, ce qui explique également ce ratio. C’est surtout après avoir connu un bel accueil parisien que les copies sont parties en province au cours des mois d’avril et mai 1969. Ainsi, à la mi-mai, le long-métrage dépasse les 250 000 tickets vendus. A l’issue de sa longue exploitation, il doublera la mise avec 529 538 érudits. Un bien beau parcours pour une œuvre difficile à vendre.

Depuis cette époque, le long-métrage a toujours de nombreux admirateurs, lui permettant une diffusion en VHS, puis en DVD et blu-ray, ainsi qu’une reprise en salles en 2017 par les bons soins de Carlotta Films. Aujourd’hui, le discours de Luis Buñuel n’a jamais été aussi important à écouter à l’heure où tous les dogmatismes sont de retour dans le champ intellectuel. La voie lactée en est un parfait antidote, à consommer sans modération aucune.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 12 mars 1969

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La voie lactée, l'affiche

© 1969 Studiocanal / Affiche : Jacques Vaissier. Tous droits réservés.

Biographies +

Edith Scob, Michel Piccoli, Paul Frankeur, Georges Marchal, Delphine Seyrig, Claude Cerval, Julien Guiomar, Michel Creton, François Maistre, Pierre Clémenti, Jean-Claude Carrière, Claudine Berg, Jacques Rispal, Claudio Brook, Laurent Terzieff, Luis Buñuel, Bernard Verley

Mots clés

La religion au cinéma, Cinéma français

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