Malgré un scénario inégal, Pour une poignée de dollars parvient par la seule puissance de la mise en scène de Sergio Leone à dynamiter le western traditionnel et à créer un sous-genre à lui tout seul. Du grand cinéma populaire.
Synopsis : Deux bandes rivales, les Baxter, trafiquants d’armes, et les Rojo, qui font de la contrebande d’alcool, se disputent la suprématie et la domination de la ville de San Miguel, au sud de la frontière américano-mexicaine. Un étranger, vêtu d’un poncho, arrive à dos de mulet dans cette petite ville et s’immisce entre les deux
bandes. Proposant d’abord ses services aux Rojo, l’étranger va très vite tirer
profit des deux camps à la fois, à la grande joie du fabricant de cercueils
Piripero.
Pour une poignée de dollars, un remake d’Akira Kurosawa aux pseudonymes nombreux
Critique : Jusqu’alors plutôt spécialisé dans la réalisation de péplums, Sergio Leone décide en 1964 de transposer le film japonais Yojimbo – le garde du corps (1961) de Kurosawa dans l’Ouest américain. Afin de réduire les coûts de production, le réalisateur engage un jeune acteur de télévision américain nommé Clint Eastwood (il s’est fait repéré dans la série télévisée Rawhide) et localise son tournage en Espagne, dans la région d’Almeria. Véritable contrefaçon destinée à envahir le marché européen en se faisant passer pour un produit américain, Pour une poignée de dollars sort à l’époque en dissimulant au maximum au public son origine européenne. Ainsi, le film est signé Bob Robertson (pseudonyme de Sergio Leone), joué par Johnny Wels (en réalité le grand Gian Maria Volonté) et mis en musique par Dan Savio (à savoir Ennio Morricone). Ces différents noms d’emprunt montrent bien la modestie d’artisans italiens encore considérés comme de simples exécutants. Le triomphe du long-métrage sur le marché européen, puis l’exceptionnelle carrière du film aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1967 ont bouleversé la donne et créé un sous-genre à part entière, souvent désigné de manière dédaigneuse par le terme western-spaghetti.
Le style de Sergio Leone flingue les références américaines
Alors que stylistiquement le début du film peut sembler s’inscrire dans une certaine tradition américaine, avec mise en place d’une intrigue classique voyant deux clans s’affronter pour la possession d’un village, Sergio Leone affirme son style baroque en cours de métrage. Dans la dernière demi-heure, il multiplie les décadrages, les gros plans sur les yeux des protagonistes et commence à allonger la temporalité des scènes (toutes figures qui deviendront sa marque de fabrique). De même, là où les grands classiques américains respectent toujours un certain code moral, Leone bouleverse la donne en décrivant un Ouest sauvage, gangrené par l’appât du gain. Même le personnage mythique de l’Homme sans nom agit à la fois par altruisme et par intérêt (il tire profit de la lutte entre les deux familles).
Un scénario fragile compensé par le sadisme inhérent au genre spaghetti
Si Pour une poignée de dollars bénéficie de l’interprétation charismatique d’Eastwood et de Gian Maria Volonté, d’une somptueuse musique d’Ennio Morricone et d’une excellente réalisation, il pâtit toutefois d’un scénario un peu léger, ayant légèrement tendance à tourner en rond. Heureusement, sa dernière demi-heure, dynamitée par un sadisme bienvenu et des fulgurances baroques typiquement européennes, est tout bonnement exemplaire, annonçant avec brio les futurs chefs d’œuvre du metteur en scène. Créateur d’un sous-genre à part entière, Sergio Leone n’a certes pas signé avec ce premier opus un film irréprochable, mais le personnage principal créé par Clint Eastwood a suffisamment marqué les esprits pour susciter un nombre incalculable d’imitateurs. Assurément la marque des grands films.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 mars 1966
Promotion René Chateau pour la toute première sortie VHS de Pour une poignée de dollars de Sergio Leone (1985). © René Chateau