Mutant de John “Bud” Cardos est une série B américaine des années 80, certes méconnue, mais à l’ambiance ouatée probante. Efficace comme la plupart des oeuvres fauchées de son cinéaste artisan, cette production de contamination lorgne sans relâche vers La nuit des morts vivants de George A. Romero, le gore en moins.
Synopsis : Deux frères, Josh et Mike, débarquent pour quelques jours dans une petite ville du Texas. Ils découvrent que de nombreux habitants sont morts récemment ou portés disparus. Lorsque Mike disparaît à son tour, Josh fait équipe avec le shérif local et une institutrice pour le retrouver.
L’une des dernières productions de Film Ventures International
Critique : Embarqué comme réalisateur sur la production de Mutant, John “Bud” Cardos remplace au pied levé Mark Rosman à la demande du producteur Edward L. Montoro, président de Film Ventures International, qui l’avait déjà embauché de la même façon, sur Les nuits de la violence (The Dark, 1978). Le cinéaste a à son actif un succès, L’horrible invasion (Kingdom of the Spiders), film culte des années 70 où il était question d’une invasion d’araignées, à un moment donné où Hollywood lâchait les insectes pour grignoter des parts de marché, dans le sillage de Jaws. Mais ses apparitions derrière la caméra, lui qui est cascadeur ou technicien, relèvent du hasard et du coup de main pour son pote producteur.
Le producteur Edward L. Montoro est de son côté un pur artisan du cinéma indépendant bis, spécialisé dans les productions de séries B qui, pour la plupart, connaissent des carrières au compte-gouttes, dans certains états américains ou dans les cinémas de quartiers des métropoles. Quand ils sortent en France, ces produits ne parviennent pas à trouver l’accès aux salles parisiennes et finissent directement en province via le travail de distributeurs spécialisés comme Métropolitan FilmExport.
L’apanage du cinéma bis alternatif
Ainsi, dans les années 70 et le début des années 80, Montoro a produit des films comme Le démon aux tripes avec Juliet Mills, Tué ou être tué ainsi que Tue et Tue encore, tous deux avec James Ryan, La revanche des animaux (alias Day of the Animals), La rage de la casse, L’exterminateur de William Fruet, avec Perry King et Tisa Farrow, le shocker Au seuil de la terreur / Don’t Go Into the House de Joseph Ellison, Les bourlingueurs de David Hemmings… La plupart de ces œuvres, difficilement visibles en France, le sont devenues grâce aux imports DVD et blu-ray. Toute une cinéphilie B rattrapée de façon miraculeuse pour beaucoup d’amoureux de cette époque.
Mutant est une œuvre importante pour Montoro de par son budget. Quand elle fait sa première à Cannes, le 15 mai 1984 au matin, au cinéma Les Arcades, il espère réaliser des bénéfices pour éponger les dettes de la société qu’il préside, Film Ventures International. Il a d’ailleurs dans le sac Torchlight, drame cocaïné, avec l’héroïne du soap Dynastie, Pamela Sue Martin, qui officie au scénario et en tête d’affiche, ainsi que Ian McShane, Steve Railsback et Al Corley, sur lequel il porte de gros espoirs.
Quand Mutant s’intitulait Mutants, à l’origine, en VHS en France
Ironiquement, le logo de la firme clame que rien ne pourra les arrêter :”There’s no stopping us“. Mais, rien ne se passera comme prévu. Mutant précipitera la société vers sa chute en raison d’un budget moyen de 2 500 000$, et d’un échec au box-office américain où son exploitation a été minime. Le film de zombies aura bien des difficultés pour trouver des marchés à l’étranger. Si le Royaume-Uni précèdera les Etats-Unis d’un mois, avec une sortie dans les cinémas, en juillet 1984, la France devra attendre de longues années avant une édition VHS chez Scherzo, dans la collection Avoriaz de l’éditeur, sous le titre Mutants, avec la marque du pluriel qui sera abandonnée lors des éditions DVD blu-ray postérieures. Cette édition somme toute anodine explique le manque de notoriété du film en France où il faudra finalement attendre le format DVD et blu-ray pour le redécouvrir. Une édition vidéo bon marché à la fin des années 2000 chez North Entertainment, vendue à prix bas dans les supermarchés, marque l’apparition d’un nouveau titre – Mutant, l’horrible invasion (référence à l’un des classiques de John “Bud” Carlos) – et surtout l’édition de qualité de Rimini, un combo DVD-Blu-ray en 2023, incorporé dans la collection Angoisses de l’éditeur culte.
Mutant de John Bud Cardos enfin canonisé en France ?
Redécouvrir Mutant en 2023, c’est rendre hommage au cinéma assez rare de John “Bud” Cardos, technicien polyvalent décédé en 2020, dans un certain anonymat. Cette incarnation du système D est trop souvent ignorée par les amateurs ; il a pourtant à peu près tout fait à Hollywood, de cascadeur à chauffeur d’acteurs de série B sur le tard : il n’était pas forcément prédestiné à devenir cinéaste, mais en artisan qui doit bosser pour vivre, il s’attache à mettre toutes ses compétences dans les projets farfelus qu’on lui confie. A savoir, ici, mettre en scène un remake eighties de La nuit des morts vivants de George A. Romero où les macchabées errants sont remplacés par des contaminés issus de l’esprit écolo anti pharmaceutique des années 70. Bref, finalement on pense davantage à La nuit des fous vivants du même Romero jusque dans l’ambiance rurale que n’aurait pas reniée une production Amblin de cette époque. Les images nocturnes léchées démontrent le vrai talent de John “Bud” Cardos qui n’a pas sa pareille pour combler le vide d’un script avec des plans soignés sur fond de photographie travaillée. Et du talent, il lui en faut pour ne pas faire sombrer cette production dans le Z quand les producteurs essaient de faire passer un conte écolo qui déraille, à la façon de L’incroyable alligator en un ersatz de terreur extra-terrestre, dans la promo.
Quand la mutation de greenwashing est maquillée en ersatz d’Alien par une promo malhonnête
En effet, Mutant est du genre science-fiction de greenwashing pour drive-ins qui, dans sa promotion, embrasse volontiers le fantasme d’un triomphe à la Alien de Ridley Scott. Aussi, l’infernale série B est passée du titre de tournage Pestilence à Mutant pour évoquer une menace monstrueuse venue de l’espace qui n’est pas du tout extra-terrestre en fin de compte. L’affiche originale, particulièrement esthétique, évoque de ce fait la créature de Giger dans un nœud de formes alambiquées et organiques qui remplissent le ciel d’une bourgade américaine, calme en surface mais déjà morte de l’intérieur. La phrase d’accroche “La plus grande menace à laquelle fera face l’humanité ne viendra pas du ciel” est évidemment une énième tentation extra-terrestre par la négation.
Le flou sur cette menace accouche donc d’un titre hybride qui sera problématique pour la vente du produit, du moins en France. En 1982, une production New World – Roger Corman, Forbidden World, a déjà mis le grapin sur cette dénomination passe-partout mais efficace, pour une sortie en salle le 15 décembre 1982. Cette production très gore et arty est d’ailleurs parue en blu-ray en 2021 chez BQHL, exhibant dans ce cas d’authentiques velléités d’ersatz d’Alien, puisqu’il s’agit d’une attaque d’extra-terrestres dans l’espace.
La nuit des mutants déambulant à Redneck-land
Dans Mutant de John “Bud” Cardos, point d’intrigue de l’espace, mais un thriller dans l’arrière-pays sudiste de Géorgie, où deux frères se frottent dans un premier temps à des bouseux redneckos-débilos qui envoient leur voiture à la flotte et les contraignent à passer la nuit dans un étrange village où la vie semblent se résumer à un pub et des rues vidées de leurs habitants. Et pour cause, des créatures survitaminées (par rapport aux zombies de Romero) rodent. Elles sont grimés sommairement par des individus qui semblent s’être improvisés maquilleurs. C’est probablement le point faible ou hilarant de cette série B : des monstres, nombreux, qui ne seront jamais à la hauteur des effets spéciaux de l’époque qui regorgeaient de créatures aux pustules ravageuses et de latex qui modelait tout un imaginaire.
Sécheresse sur les effets sanglants, ici les maquillages ratés tachent
A une époque (1984), où le cinéma de zombie était gore, Mutant ne sera pas un nouveau Re-animator, Evil Dead ou Jour des morts-vivants. La violence est contournée par une absence de plan sanglant. Les monstres ambulants ne croquent guère la chair et les flots rubiconds se résument à un slime jaunâtre qui démontre l’envie de la production de toucher un public plus large. Au final, cela se retourne partiellement contre cette œuvre très sympathique qui a vieilli de ce fait de façon prématurée. Ce n’est plus le sang qui tache, mais les maquillages rudimentaires qui font tache. Tout ceci explique peut-être les aléas de sa distribution mondiale et de son manque de notoriété.
Mutant de John “Bud” Cardos, qui sort discrètement aux USA durant l’été 1984, lors d’une exploitation régionale, trouvera tardivement son chemin en France. En bon DTV qu’il est, il passe globalement inaperçu. Sur internet, notamment sur IMDB, le titre de La nuit des mutants lui est affublé en dénomination alternative. Serait-ce pour une diffusion sur Canal + ou sur une chaîne comme M6 ? Aucune source n’existe à ce sujet et pour notre part, pour avoir connu le film à sa sortie, nous avons oublié bien des détails croustillants autour de ce film d’un autre temps dont on louera les qualités, et notamment la musique philharmonique de Richard Band, fils du producteur Albert Band et frère du réalisateur Charles Band. Le score travaille beaucoup à l’atmosphère. Une édition CD, limitée à 500 exemplaires, a été éditée par Dragon’s Domain Records pour célébrer les 35 ans du film. On ne saurait trop vous conseiller cet achat si le film vous a comblé par sa rareté.
Les films de zombies sur CinéDweller
Le test blu-ray
La collection Angoisses de Rimini Editions s’agrandit. Après Nuit noire, Alice Sweet Alice, La peau sur les os, Hell Night, L’autoroute de l’enfer, Les traqués de l’an 2000, Terreur sur la ville, et avant prochainement Sweet Sixteen de Jim Sotos en juin 2023,Rimini Editions propose un nouvel ersatz de vidéo-club, totalement méconnu en France, et donc forcément attirant pour tous ceux qui veulent se plonger dans la réalité horrifique des années 80.
Packaging & Compléments : 2.5 / 5
Zéro pointé pour les compléments. Il n’y a pas de bonus audiovisuel sur cette galette, même pas une éventuelle interview de la part d’un spécialiste français qui auraient pu gratifier l’édition de sa présence. Pour un film aussi rare et méconnu, c’est dommage. En revanche, on apprécie le packaging cohérent et toujours sublime de cette collection qui est un plaisir à retrouver sur ses étagères. Le travail graphique de Koemzo Artwork est toujours imparable.
On apprécie la présence d’un livret de 23 pages signé par Marc Toullec qui dresse une biographie des plus complètes du polyvalent John “Bud” Cardos, artisan bisseux disparu en 2020. On apprend tout de cette personnalité attachante grâce au talent de synthèse de l’ancien rédacteur en chef de Mad Movies. Ce livret est très intéressant.
Image : 3.5 / 5
L’image du blu-ray est perfectible par rapport aux restaurations épiques que propose le marché, avec des petites scories persistantes par moment qui auraient pu être éliminées. Néanmoins il ne s’agit nullement d’une copie au rabais comme il a été le cas jusqu’à présent en France. L’image est globalement satisfaisante dans son rendu mais quelques passages marquent le pas. La photographie soignée ressort tout particulièrement lors des séquences nocturnes, beaucoup plus froides, et impose de ce fait le film comme une surprise également visuelle. Les noirs investissent bien l’image et la profondeur de champs est appréciable.
Son : 3.5/ 5
Tourné en Dolby Stéréo, Mutant bénéficie de deux pistes DTS HD Master 2.0, une logique de VOSTF et de VF qui offrent en VO, un visionnage dynamique et un retentissement certain lors des scènes agitées. La VF est convenable de par son doublage qui n’étouffe pas irrémédiablement l’environnement sonore original.