Alice, Sweet Alice n’est parti de rien avant de rebondir dans le temps pour accompagner des générations de spectateurs et devenir intensément culte. Retour historique sur le parcours cabossé d’un slasher de haute volée.
Synopsis : Alice Spages, 12 ans, vit avec sa mère et sa soeur Karen, à laquelle elle adore faire peur. Karen s’apprête à fêter sa première communion lorsque son corps est retrouvé atrocement mutilé dans l’église. Certains pensent qu’Alice pourrait être à l’origine du meurtre, mais comment une enfant si jeune pourrait-elle commettre une telle abomination ? Pourtant, les meurtres se poursuivent dans l’entourage d’Alice.
Critique : Quand en 1976 Alfred Sole s’engage sur un film d’horreur tordu sur fond de religion et de gamine démoniaque, il allait connaître une déconvenue au box-office, qui sera un peu à l’image de sa carrière cinématographique d’une poignée de films, tous un peu singuliers dans leurs délires. D’ailleurs n’avait-il pas commencé dans le porno local au début des années 70, le temps d’un essai?
Le phénomène Brooke Shields
Néanmoins Alice, Sweet Alice, en offrant un point de départ cinématographique à la longue carrière de la petite Brooke Shields, âgée d’une dizaine d’années pour moins de dix minutes de présence à l’écran, allait profiter du phénomène montant, puisque la future enfant star, mannequin en herbe chouchoutée par les Américains, était sur le point d’enchaîner les succès sulfureux, nue dans un magazine à 10 ans, sur le tapis rouge de la Croisette avec l’équipe de La Petite de Louis Malle où elle incarnait une jeune prostituée aux côtés de Susan Sarandon, et surtout dans Le lagon bleu, mièvrerie adolescente au succès phénoménal où elle passait son temps dans une nudité édénique aux côtés d’un blondinet, tous deux échoués sur une île déserte (ou presque). D’ailleurs, ne lui demandez pas si elle regrette tout cela. Ce n’est pas le cas, les temps ont juste changé, se justifie-t-elle.
Les 1001 vies de Communion et d’Alice Sweet Alice
Alice, Sweet Alice originellement titré Communion, aux Etats-Unis, de par sa thématique catholique prégnante, allait ressortir régulièrement avec des titres divers et variés comme Holy Terror, The Mask Murders, et Alice, Sweet Alice, avec ou sans la virgule. Si Brooke Shields allait disparaître du sommet du box-office, à partir de 1984, au moins, elle aura permis à une toute petite production du New Jersey de vivre une existence plus longue que prévue.
Cet inédit cinéma en France deviendra donc un succès de vidéo-club sous différents titres comme Communion sanglante (voir le premier visuel exclusif ci-dessous) ou Alice, Sweet Alice chez des éditeurs comme VIP, Proserpine ou plus tard Fil à Film (deux jaquettes de Melki pour ces deux dernières éditions). Production indépendante qui joue du couteau, Alice, Sweet Alice a l’intensité du slasher, genre quasi nouveau en 1976, si l’on met de côté le Psychose d’Alfred Hitchcock, et Black Christmas de Bob Clark, à peine sorti aux USA, et qui fait déjà des émules. Le slasher n’ayant jamais vraiment passionné les Français, aucun distributeur hexagonal ne tentera de diffuser ce film d’épouvante pourtant assez original, dans les salles des années 70. Tout comme Black Christmas d’ailleurs. Mais, contrairement à ce dernier, en 1982, Alice, Sweet Alice, fort du succès du Lagon bleu en France, millionnaire en 1981, tombe le masque dans les foyers français en 1982.
L’influence du contemporain Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg
Pourtant, au-delà du slasher à la Black Christmas ou du giallo italien, le réalisateur Alfred Sole lorgne vers une production contemporaine des plus remarquables. Le (désormais) légendaire Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg est évidemment l’inspiration première de Communion sanglante où l’on retrouve une petite tueuse au ciré jaune qui crispe d’effroi les spectateurs. Dans Communion, on assiste aux crimes sanglants commis par une double maléfique du tueur de la cité lacustre du classique de 1974 dans lequel Roeg jouait également sur le deuil de l’enfant, la religiosité d’une ville (en l’occurrence Venise) jusque dans son architecture, et l’ambiguïté de l’identité du tueur chérubin (qui ne l’était pas tant que cela, par ailleurs).
Les années 70, outrageantes pour les spectateurs contemporains, aimaient disserter sur la perversité des enfants et des adolescents que l’on déshabillait et tuait régulièrement dans des productions aujourd’hui malaisantes, mais autrefois d’une sociologique déviante qui expérimentait. Les enfants tueurs ou les gosses ambigus étaient légion, et les possessions diaboliques post L’exorciste ou La malédiction allaient encourager un élan de défiance envers la marmaille de série B.
Visuel américain d’Alice, Sweet Alice (Arrow Vidéo) © 1976 Dynamite Entertainment, Harristown Funding Ltd. All Rights Reserved.
En France, nous découvrions Attention, les enfants regardent. Les Espagnols étaient sous le choc des Révoltés de l’an 2000. Et au Canada, même Jodie Foster dans La petite fille au bout du chemin sera du mouvement, en 1976, l’année d’un certain Taxi Driver, ce qui est quand même un sacré point commun entre Jodie Foster et Brooke Shields.
Les enfants maléfiques au cinéma
Sociologie cabossée d’une époque
Dans Alice, Sweet Alice, pour reprendre le titre le plus célèbre en France, l’adolescente en proie à une crise mal connue et mal vécue, n’est ni douce, ni bienveillante. Elle est révoltée et semble être le portrait craché de la tueuse qui sévit au sein de sa famille, avec son masque défini pour tuer, ses accès d’humeur spectaculaires, et son insensibilité pour la cause animale dont elle tord le cou lors d’une scène dure. Psychologiquement, la gamine incarnée par Paula E. Sheppard, actrice que l’on n’a revue une seule fois, en l’occurrence dans le trip underground sous LCD Liquid Sky (1984 en France), est complexe et l’on interprète volontiers sa réaction vive comme survenant de sa jalousie envers sa petite sœur si angélique (la micro Brooke Shields, qui succombe très vite), et même des conséquences psychologiques des agressions sexuelles qu’elle a endurées chez le propriétaire obèse et dégueulasse qui vit terré à quelques étages sous son appartement. Difficile donc d’être en communion avec ses prochains dans ces conditions-là.
Une œuvre religieusement transgressive
Mais la grande coupable dans ce slasher tranchant n’est-elle pas la religion elle-même, avec ses sornettes et ses babioles qui sont de chaque plan? Dans une obsession transgressive de la communion et du recueillement autour d’une figure masculine, Holy Terror ose l’offense. Malgré son script malin, sa réalisation habitée, et sa fin terrifiante, Alice, Sweet Alice est certes ancré par son rythme et son montage dans son époque, mais le thriller haletant se détache du tout-venant par son inspiration visuelle, ses séquences angoissantes et sa dépression généralisée. Bref, cruel et intelligent, Alice, Sweet Alice peut encore servir de grand-messe à bien des générations de spectateurs.
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Alfred Sole, Linda Miller, Paula E. Sheppard, Mildred Clinton, Niles McMaster, Jane Lowry, Rudolph Willrich, Brooke Shields