1978. Sam Raimi démarre un tournage qui allait le faire entrer dans l’histoire. Son génie technique, à grand renfort de système D, offre les visions terrifiantes d’un cinéaste en lévitation au milieu de démons rarement vus aussi malfaisants à l’écran. L’esprit comics dépoussière au passage des décennies de productions gothiques ou télévisuelles. Evil Dead est tout simplement le plus grand film d’horreur des années 80 !
Synopsis : Mauvaise idée que de passer ses vacances dans une maison abandonnée en plein milieu d’une forêt. Cinq jeunes gens vont réveiller les forces du Mal en parcourant un livre maléfique aux pages de sang séchés trouvé dans la cave de cette cabane, perdue au milieu des bois…
Critique : Parmi les dates de l’histoire du film d’horreur, Evil Dead est sans nul doute l’une des œuvres les plus marquantes des années 80, si ce n’est le parangon de la production B devenue immense par sa maîtrise et son audace.
Evil Dead est originellement un film d’étudiant fauché, tourné pour une grande partie dans la cave des parents de Samuel, mais avec génie. Celui d’un jeune vidéaste de 22 balais, amateur de Super-8, avec son pote de bahut, Bruce Campbell (futur comédien principal) et du producteur Robert Tapert, qui s’impliquent tous deux à fond dans un tournage qui va durer plus de deux ans, faute de financements qui les conduisent à faire du porte à porter pour mener à terme le projet.
Avec l’aide de quelques épiciers et docteurs convaincus par le court Within the woods, que Raimi réalise pour vendre le projet à des commerçants locaux, l’auteur parvient à accomplir le micro-film granuleux qui allait révolutionner le genre, sans savoir qu’il est alors à l’aube d’une carrière extraordinaire qui le mènera quelques décennies plus tard à balancer la trilogie Spider-Man au firmament des franchises super-héroïques.
Evil Dead devient la bête d’attraction au marché du film à Cannes, en 1982, et aidé par Robert Schlockoff de l’Ecran Fantastique qui lui consacre de façon prématurée une couverture, au cœur de l’été 1982, et qui le sélectionnera à son Festival International de Paris du Film Fantastique, où le film remporte deux prix (dont le Meilleure première œuvre, et celui du Public), Evil Dead débarque en VHS, avant même d’atterrir en salle.
En produit sorti de nulle part, le carton est réel en salle en salle, puisque les distributeurs indépendants à l’échelle planétaire se bousculent pour exploiter un écrin horrifique à part quand la majorité des séries B issues du marché du film viraient souvent au Z.
Alors qu’en 1982 et 1983, Poltergeist, Creepshow et The Thing attisent toutes les convoitises des fans de l’épouvante de par l’importance des auteurs à l’origine des projets (Tobe Hooper et Spielberg pour le premier, Stephen King et George A. Romero pour le second, et John Carpenter pour le troisième), notre « Opéra de la terreur » (c’est le sous-titre cinéma français), doit surtout trouver son public en vidéo-cassette, VHS et V2000, marché alors en pleine expansion qui facilite l’accès au cinéma dégénéré. Avec les diffusions dans les différents festivals spécialisés, l’œuvre de Sam Raimi se bâtit une réputation de « film monstre », pour reprendre l’accroche de Creepshow, de chef-d’œuvre ultime de l’épouvante, à l’instar du phénomène La nuit des morts vivants en 1968. Peu d’œuvres pouvaient prétendre à un tel engouement dans le bouche-à-oreille, on se situe effectivement à des décennies de l’instantanéité du buzz internet qui a tant facilité la propagation des bons virus.
En plongeant une poignée d’amis – des physiques quelconques, des vêtements ordinaires et promis, pas de scène érotique pour ne pas détourner l’attention des ados, on assiste à une mise en abîme du spectateur qui n’est pas là pour mesurer le tour de poitrine de ses dames -, mais plutôt les profondeurs inédites des ténèbres d’une cabane perdue au milieu de nulle part, dans une forêt éloignée de toute civilisation.
Raimi nous confronte après la lecture accidentelle de quelques incantations diaboliques qui éveillent les esprits démoniaques, à un cauchemar éveillé ; il nous précipite dans un enfer hurlant de créatures maléfiques, déversant des litres de sang à l’occasion de délires gore douloureux où l’on tranche à la hache, où l’on énuclée des créatures putrides, et où même des lianes d’arbres en furie deviennent les complices diaboliques d’un viol inédit ! C’est que, Mesdames, il faut se méfier de la forêt, non seulement elle a des yeux (référence au film de John Hough, Les Yeux de la forêt, 1983), mais surtout elle exhibe via ses branchages des membres très malintentionnés.
Jaquette française du DVD TF1 Vidéo de Evil Dead – Graphisme : 2004 TF1 Vidéo © 1981 Renaissance Pictures
Pour emballer son enfer, Sam Raimi ne dispose pas de moyens, mais d’idées de plans, en mouvement, très comics dans l’âme, intrinsèquement diaboliques, qui foutent carrément les jetons. La caméra bricolée, la fameuse « shaky-cam », disposée sur une planche de bois, et portée par le cinéaste et ses serviteurs, parfois même sur une moto…, erre en maugréant dans la forêt, fonce tête baissée vers ses prochaines victimes, dissimulant via sa subjectivité, un démon qui hante les environs et qui aura raison de la dernière victime du scénario lors d’un plan final fixe en adéquation avec les survivals des années 70, brutal, sauvage, et d’un pessimisme sans appel. A travers ce procédé visuel, Raimi distille le danger, invisible, mais palpable, omniprésent et confère au Mal toute sa puissance intrinsèque.
Le visage de cette créature doué du don d’ubiquité, narrateur distant mais omniprésent, qui fait basculer les arbres sur son passage et éclater les portes de la cabane et que l’on imagine démoniaque et d’une force surnaturelle, il faudra attendre le second épisode pour en découvrir la forme et la tête grotesques (proches d’une créature déféquée par les plumes de Lovecraft et Clive Barker). Ce premier volet suggère l’innommable, mais les transformations successives des jeunes gens en démons vociférant, elles, sont bien méphistophéliques, avec des maquillages signés par Tom Sullivan, qui n’ont – malgré l’aspect bon marché par moments – n’accouchent jamais des monstres de séries B de divertissements pour adolescents bon chic bon genre.
Sullivan et Sam Raimi cultivent des faciès de cauchemars, sources de purées fétides et d’hectolitres de sang déversés dans une projection cinématique de ce que représente la contagion démoniaque, contextualisée dans les bois, sublimée par des numéros de danses macabres, via des effets que n’aurait pas renié le maître des effets spéciaux à l’ancienne Ray Harryhausen, dans son emprunt de la technique du stop-motion. Le macabre poussé à son paroxysme éclabousse, certes, mais contrairement à un Ré-animator et aux suites d’Evil Dead, en roue libre dans la dérision, ce premier opus non dénué d’humour terrifie aussi de façon primale.
La réalité du spectateur, urbaine, civilisée, n’existe plus et l’on nous dérobe à la réalité factuelle de nos existences pour nous catapulter dans un microcosme de terreur à l’état pur. L’espace-temps y est détricoté. Certes, il s’agit d’une nuit, la fameuse « nuit des démons » vendue par la jaquette VHS française, et même le titre original, Dead by dawn), mais le temps ralentit, s’accélère à loisir, via les trouvailles techniques et narratives du jeune Sam Raimi.
De même, l’espace physique est élastique, avec une cabane si malingre de l’extérieur, qui paraît s’approfondir dans sa cave nébuleuse. Une caméra volante et survoltée, accentuée par des effets sonores dingues, inspecte chaque recoin de la bâtisse des horreurs en quête de victimes, dans des moments de pure folie collective auxquels participent les différents objets du quotidien dans une explosion du mental du protagoniste principal. Ash, joué par Bruce Campbell, sombre carrément dans la folie, jusqu’à être attaqué par son reflet, dans un miroir… Tout concorde à donner un aspect unique à cette œuvre qui exploite le spatio-temporel comme peu d’œuvres ont été capables de le faire dans des conditions de moyens aussi étriqués.
Au-delà de ses délires cartoonesques, déjà présents, mais qui inspireront davantage les deux autres volets de la franchise (le second est un remake friqué produit par Dino de Laurentiis quand, le troisième, L’armée des ténèbres, vire dans la comédie épique en territoire moyenâgeux, jusque dans le recours systématique à la technique du stop-motion du maître Harryhausen, avec ses combats animés de squelettes), Evil Dead premier du nom est un microcosme de terreur, où plus rien ne nous permet de nous échapper d’un cadre oppressant qui nous happe intégralement dans ses enfers.
Cette expérience traumatisante, jadis disponible en VHS chez l’éditeur vidéo Hollywood Vidéo (Creepshow, La dernière maison sur la gauche, La baie sanglante, Frissons, Rambo…), est tellement culte que le distributeur français Metropolitan FilmExport (qui était lié à Hollywood en 1983) a ressorti la bête en salles en 2003, avec la bienveillance de l’UGC Ciné Cité les Halles… Evil Dead traverse les générations, inocule son talent malaisant à travers de multiples éditions vidéo, en DVD et Blu-ray, et même une série télé a repris le personnage de Ash joué par Bruce Campbell figure mythique de la franchise… Un reboot correct sera réalisé par Fede Alvarez et produit par Raimi en personne, en 2012 ; il tentera de redonner du lustre au film, auprès des jeunes, surfant sur la vague des reboots post L’armée des morts et Massacre à la tronçonneuse que produisait Michael Bay. Toutefois, à vrai dire, moins d’une décennie après, plus personne, de ce remake, plus personne n’en parle vraiment, car les fans, les vrais, ceux de la première heure, ceux qui ont survécu aux affres du temps, ce qu’ils veulent, c’est simplement un quatrième volet officiel qui se débarrasse de l’encombrant humour du volet III, L’armée des morts, pour revenir à l’essence même de l’effroi originel. Que les morts ne reposent plus en paix. Tourments à leurs âmes.
Sur Paris intra-muros :
En banlieue :