Phénomène des années 80, Rambo égratigne l’Amérique post-Vietnam en gravant sa culpabilité dans la chair. La chasse à l’homme iconique devient une impressionnante psychanalyse. De feu et de sang.
Synopsis : John Rambo, ancien combattant du Viêt-nam où il a gagné plusieurs médailles, est arrêté dans une petite ville pour vagabondage.Maltraité, il décide de fuir. La chasse à l’homme commence…
Critique : First Blood, ou Rambo en France, est une œuvre phénomène à plus d’un égard. Homme seul, vétéran rejeté par l’armée, étranger hirsute dans un coin paumé des USA pour lequel il représente une menace extérieure, Rambo injecte en 1982 du sang neuf dans des salles à peine remise du phénomène australien Mad Max. Le début de décennie est grave, aussi folle que l’éminente décade qui la précédait et qui avait livré les œuvres les plus barrées, de Taxi Driver à Délivrance, en passant par Apocalypse Now.
Rambo, survival violent, électrochoc post-Vietnam qui renvoie l’horreur du champ de bataille à la vue de tous, sur le sol américain qui pensait avoir retrouver sa virginité après cent ans d’absence de conflits sur ses terres, réinvente le genre du cinéma d’action avec un flair inouï de la part de Sylvester Stallone, coscénariste de cette épopée sylvestre toujours sur le fil du rasoir.
Une icône est née
L’étalon italien, qui devait subir l’affront d’un pseudo film érotique resurgissant en VHS, avait déjà créé le personnage culte de Rocky et doublait la mise, comme aucun autre comédien d’envergure n’avait réussi à le faire auparavant. Bâtir deux mythologies si loin et pourtant si proches n’est pas chose aisée, Stallone en ressortira victorieux. Pour le fougueux boxeur, épris d’Adrian, il fallait toutefois attendre le numéro 3 et donc 1983, pour que le ring devienne un phénomène de société à l’échelle mondiale, et, malheureusement, une figure de patriotisme ostentatoire dans Rocky 4, avatar médiocre dans un contexte de guerre froide où la suite de Rambo viendra lui donner un coup de main avec la pitoyable suite de George P. Cosmatos, Rambo II la mission, en 1985, sur un scénario d’un certain James Cameron, dont on préférera ne retenir que la magnifique iconographie publicitaire, un visuel dessiné d’une beauté totale.
Réalisé par Ted Kotcheff, dont la créativité n’est plus à remettre en question après l’OVNI détraqué en provenance du Bush, Wake in Fright, alors méconnu des Français, Rambo est avant tout un drame humain, tragédie de la fracture sociale où le héros américain, qui déambule dès le départ dans son treillis terne, dans un paysage automnal, est une âme en peine, déchue, orpheline, condamnée à errer sans pouvoir trouver charité dans une nation croyante qui a perdu ses idéaux et contre laquelle il va se retourner de la façon la plus violente, dans un déluge d’action, où le chassé – par la police locale – sachant chasser sans son flingue (il arbore un couteau impressionnant pour le gros gibier) va trucider en retour, les douilles bien pendues.
First blood invente dans son humanité et sa brutalité un genre qui livrera bien des ersatz chez nos amis transalpins et chez les opportunistes de la série B/Z américaine. La bête fauve lâchée, traquée dans son antre par la police et l’armée, sera imitée au premier degré par des armées de pieds nickelés, de la Cannon (Portés Disparus, avec Chuck Norris) aux bis ritals (Tonnerre et son rebelle indien)… Tout le monde y voit une opportunité de s’enrichir en exploitant un décor forestier bon marché. Même Schwarzenegger sera réquisitionné par la Fox pour interpréter le rôle principal de Commando de Mark L. Lester, en 1985. Rambo deviendra Rambox dans le X, Le Soviet chez nos amis soviétiques… Le phénomène était total.
La mémoire dans la peau
Le drapeau américain que porte Stallone sur sa veste militaire est une lettre écarlate, véritable seau de la honte qui se matérialise physiquement : devenu vagabond à la coiffure épaisse et à l’odeur forte, Stallone joue le paria acculé dans un pays qui refuse de voir resurgir les fantômes de son passé titiller sa conscience.
John Rambo, l’ancien soldat, est pourchassé par la flicaille locale (Brian Dennehy, formidable en visage d’une Amérique éprise de pouvoir, en roues libres). Avant d’imploser face à la répression, il est surtout un taiseux malodorant que Stallone interprète avec une sobriété qu’il perdra pour vingt ans de gloire immodeste, contraire à son personnage. Il lui faudra attendre son revival, à la fin des années 90, et Copland de James Mangold (1997) pour retrouver une telle densité de jeu.
Face aux « civils bienveillants » qui ont versé le « premier sang », Rambo joue la guerre totale sous les airs sylvestres et belliqueux d’un Jerry Goldsmith inspiré, alors que peu à peu, l’action prend le dessus jusqu’au final explosif dans un des symboles de l’Amérique toute-puissante, une station service où l’essence vient effectivement mettre un peu plus le feu au poudre.
Rambo 1
Trente ans après cette guerre civile inopinée, Rambo, automnal, sinistre et nocturne, jouit d’une ambiance de toute beauté, même si sa réalisation s’est quelque peu crispée dans un genre où l’on s’est habitué à toujours plus dans l’action et le rythme…
Cette leçon, le premier Rambo nous l’enseignait à sa façon en 1983, en devenant générateur de suites en pagaille. Outre le blockbuster de 1985 cité plus haut, qui finira deuxième annuel en 1985, on citera le navet intergalactique Rambo 3 en 1989, et le revival jouissif de second degré John Rambo, en 2008, et enfin Rambo 5, Last Blood, en 2019.
On aurait aimé toutefois que First Blood, plus gros succès du marché de la vidéo-cassette en 1983, demeure le film d’une époque, plutôt que le gadget d’une industrie vénale prête à surfer sur les instincts les plus bas (patriotisme exacerbé jusqu’au racisme), contredisant ainsi le message premier de l’adaptation du roman de David Morrell, publié dix ans auparavant.
Critique : Frédéric Mignard