La guerre des gangs : la critique du film de Lucio Fulci (1982)

Polar | 1h32min
Note de la rédaction :
8/10
8
La guerre des gangs, jaquette promotionnelle Scherzo, restaurée

  • Réalisateur : Lucio Fulci
  • Acteurs : Lucio Fulci, Fabio Testi, Marcel Bozzuffi, Venantino Venantini, Benito Pacifico, Ajita Wilson, Luciano Rossi, Ivana Monti
  • Date de sortie: 23 Juin 1982
  • Année de production : 1980
  • Nationalité : Italien
  • Titre original : Luca il contrabbandiere
  • Titres de travail : Il contrabbandiere, Mean Blood, Vicious
  • Titres alternatifs : Lucas le contrebandier (France, cinéma, reprise 1986), Lucas le vengeur (France), The Naples Connection / The Smuggler (Royaume-Uni, VHS), Das Syndikat Des Grauens (Allemagne), Kontrabanda (Pologne), Luca, o Contrabandista (Brésil), Brennpunkt Napoli (Norvège), Lucas le contrebandier (Belgique), O lathremporos (Grèce), Napoli forbindelsen (Danemark),
  • Scénaristes : Ettore Stanzo, Gianni De Chiara, Giorgio Mariuzzo, Lucio Fulci
  • Directeur de la photographie : Sergio Salvati
  • Monteur : Vincenzo Tomassi
  • Compositeur : Fabio Frizzi
  • Effets spéciaux : Germano Natali, Roberto Pace
  • Producteurs : Sandro Infascelli
  • Sociétés de production : Primex Italiana, CMR International
  • Distributeur : Société Philippe Modica (France, Province - Inédit sur Paris)
  • Distributeur et sortie italienne : Cinedaf (Italie), sortie 8 août 1980 (Italie)
  • Date de sortie reprise :
  • Editeur vidéo : Scherzo (VHS, France, 1983), Blue Underground (DVD, US, 2004), The Ecstasy of Films (DVD simple, DVD Collector, France, 2012), Shameless (DVD/Blu-ray, Royaume-Uni, 2014), Cauldron (Blu-ray, All Zone, USA, 2022)
  • Date de sortie vidéo : 12 juin 2013 (DVD, Edition Collector, The Ecstasy of Films),13 février 2014 (DVD, Edition Simple, The Ecstasy of Films)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : Inédit
  • Box-office nord américain / monde : Inédit
  • Budget : Inconnu
  • Classification : Aucune classification du CNC
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur (35mm) / Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : © Nathan Thomas Milliner (Jaquette Illustration DVD collector, The Ecstasy of Films) Tous droits réservés / All rights reserved.
  • Crédits : © Surf Films S.R.L. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Bande-annonce HD

La guerre des gangs (1980) est l’une des œuvres phares de Lucio Fulci. Le cinéaste, alors au paroxysme de sa maestria, s’essayait avec brio au genre mafieux, s’inscrivant à sa façon dans le genre poliziottesco, pourtant à l’agonie. Efficace, brillant et nécessaire pour tout amateur de séries B hargneuse. 

Le cinéma bis italien

Synopsis : Luca est contrebandier de cigarettes à Naples avec son frère Micky. Malgré les risques encourus, cette activité lui assure une vie confortable avec sa femme et son fils, loin de la misère milanaise qu’ils ont fuie quelques années auparavant. Mais un jour, lors d’une opération, Luca et ses camarades sont pris en chasse par la Garde des finances. À la suite d’une course poursuite en bateau, les contrebandiers parviennent à s’échapper après avoir sacrifié leur cargaison. Micky pense alors que Sciarrino, un autre contrebandier, les a dénoncés. Peu de temps après, il est sauvagement abattu au bord d’une route. Luca n’a alors qu’une idée en tête : retrouver l’assassin de son frère. Durant son enquête, il va apprendre l’arrivée du « Marseillais », un redoutable trafiquant de drogue qui souhaite s’installer dans la ville…

Un film maudit en France

Critique : On ne confondra pas La guerre des gangs de Lucio Fulci avec le film homonyme d’Umberto Lenzi de 1973, sorti sous ce titre en France en 1979, mais de façon discrète. On retrouvait chez Lenzi des acteurs essentiels de l’époque comme Antonio Sabato, père du Trumpiste Antonio Sabato Jr., et Philippe Leroy Beaulieu, frère de l’ancien maire d’Agde et père de Philippine (Trois hommes et un couffin, Neuf mois, Emily in Paris).

Curieusement, le film de Lucio Fulci n’a pas bénéficié d’une très grande sortie en France alors que le cinéaste entrait dans sa phase la plus populaire. Le distributeur provincial Philippe Modica, sans accroche parisienne, spécialisé dans l’ultra local, a malheureusement bloqué les droits quand une sortie plus copieuse aurait pu se faire via un distributeur canonique. Fulci avait pu ainsi profiter d’un beau lancement précédemment avec L’enfer des Zombies et connaîtra une belle diffusion avec Frayeurs, L’au-delà et La maison près du cimetière qui ont tous été proposés par UGC avec succès, puis L’éventreur de New York qui inspirera à S.N. Prodis une vraie sortie sur le grand écran.

Jaquette du blu-ray Shameless de La guerre des gangs (Contraband) de Lucio Fulci

Jaquette du blu-ray Shameless de La guerre des gangs (Contraband) de Lucio Fulci (2014) © Surf Films, S.R.L.

Qu’il l’exploite en 1982 sous le titre de La guerre des gangs ou plus tard, en 1986, sous celui de Lucas le contrebandier, la Société Philippe Modica le fait toujours en catimini, invisibilisant une œuvre majeure qui restera maudite en France. On se rattrapera alors avec la première diffusion de La guerre des gangs, en vidéocassette chez Scherzo, en 1983. L’éditeur culte venait d’ailleurs, quelques mois plus tôt, de tâter le terrain fulcien avec Le Chat noir.

Une sortie DVD très tardive chez un éditeur vidéo naissant

Des décennies après, le titre apparaît en 2013 en DVD collector 2 disques chez l’éditeur naissant The Ecstasy of Films. L’indépendant, à un moment où les fans de cinéma de genre passait massivement au blu-ray, n’avait pas encore les moyens de ses ambitions, et comblera les bonus avec beaucoup d’éléments non liés à l’auteur italien et à son film. Certains fans hardcore de Fulci se décident alors d’attendre une réédition en HD ou se tournent vers le marché international, avec en 2014 l’édition britannique du film chez Shameless, puis, en 2022, le blu-ray toutes régions de l’excellent éditeur Cauldron, bardé de bonus passionnants liés à Lucio Fulci et à son étrange polar. Un CD de la bande-originale est proposé dans l’édition collector qui précède, sept mois auparavant, l’édition standard. Le film est vendu sous son titre américain, Contraband.

Blu-ray Cauldron de La guerre des gangs (Contraband) de Lucio Fulci

Jaquette américaine du blu-ray Cauldron, 2022. © Surf Films, S.R.L.

Un poliziottesco qui n’en est pas un, avec une ordure bien française

Le titre américain est pertinent, puisque tout est question de contrebande moderne dans ce poliziottesco sans flic en guise de protagoniste principal. En effet, le justicier du film, joué par l’impressionnant et charismatique Fabio Testi, est le fameux “Luca, le contrebandier”, celui même du titre italien et alternatif français, un faux méchant puisque ce gangster séduisant s’emploie avec son frère et d’autres mafieux du coin, à vendre des cigarettes ou de l’alcool quand un vrai méchant, en fait on le qualifiera d’ordure sadique, le “Marseillais”, essaie de s’implanter dans le Naples déliquescent du début des années 80. Son objectif est d’y vendre de la drogue dure. Et cela, la drogue, notre héros badass en a horreur ; il refuse de voir la jeunesse de Naples tomber sous l’emprise des stupéfiants. Au vu du milieu de Luca et de son frère qui tombe le premier, sous l’assaut meurtrier des hommes du Marseillais qui assassinent tous les barons locaux, l’aspect moraliste de la trame peut faire sourire. Fulci annoncera dans une interview dans les années 80 que le film a été produit par la pègre locale, la Camorra, qui s’octroie un portrait très favorable dans son action auprès du peuple contre les autorités et les méchants dealers étrangers.

C’est aspect sera très certainement l’un des seuls points négatifs du film, avec l’horripilante musique de Fabio Frizzi, qui sera enfin éditée en 2021. Le compositeur qui avait travaillé avec Lucio Fulci précédemment sur Les quatre de l’apocalypse (1975), L’emmurée vivante (1977), Selle d’argent (1978), et surtout L’enfer des Zombies (1979), n’a pas forcément l’inspiration des meilleurs jours, mais colle avec son époque. Il retrouvera le style de L’enfer des Zombies avec son complice cinéaste dans une noirceur de style et de ton sur Frayeurs et L’au-delà qui suivront dans les deux années à venir.

Promotion Scherzo de La guerre des gangs en juin 1983 (VHS)

Promo Scherzo Juin 1983 – © Surf Films, S.R.L.

Sous l’influence de L’enfer des zombies, une œuvre à la violence graphique gore

La guerre des gangs, chant du cygne du polar hyper violent italien, puisqu’en 1980, l’on ne produisait plus rien de ce genre, est tourné au lendemain du succès foudroyant d’un sous Zombie pour Lucio Fulci. Le cinéaste et le cinéma italien voient alors matière à exploiter de façon opportuniste le cinéma horrifique pour  une décennie d’excès que les Italiens marqueront pour le meilleur mais aussi pour le pire. La guerre des gangs, produit par S. Infascelli pour sa société, la Primex Italiana, se verra largement influencé dans son style visuel et sa violence graphique par L’enfer des Zombies. Fulci s’amuse ainsi à y greffer tout le sadisme dont il avait fait preuve dans son film de morts-vivants putrides, et notamment les tueries abondent en gore qui peut paraître étonnant pout ce type de production. Sam Peckinpah, aux USA, paraîtrait presque puritain à côté. A voir exclusivement dans une édition non coupée, La guerre des gangs fusille à tout-va, abîme des visages de la façon la plus perverse : une pauvre dealeuse allemande voit son visage brûler vif pour avoir vendu de la mauvaise poudre à ce salaud de Marseillais… Certains visages mortifères évoquent déjà ceux en décomposition de L’au-delà (notamment celui du plombier). On retrouve aux commandes des effets spéciaux des deux films Germano Natalo. Un grand bien pour un mal qui fait très mal. Dans cette oeuvre paroxysmique, la tuerie finale aussi surprenante dans son twist que sanglante (avec Lucio Fulci acteur armé lui-même d’une mitraillette qui s’amuse comme un dingue), complète cette guerre des gangsters au sens premier. Le titre français n’est donc pas si mensonger que cela.

Luca le contrebandier (titre italien) ne fera de son côté aucun cadeau aux antagonistes avec une litanie de scènes cruelles et de tortures quand son épouse subit un viol abject. Celui laissera le spectateur contemporain dubitatif dans un contexte de dénonciation des violences faites aux femmes. Mais ici coups, nudité et scène de viol font partie du folklore agressif d’une cinématographie d’époque. Pas de quoi taire les accusations de misogynie à l’encontre du maestro italien. L’actrice en question, la brillante Ivana Monti, issue du théâtre, affirmera pourtant avoir refusé une doublure pour les scènes de séquestration car pour elle, une actrice doit tout savoir jouer.

La guerre des gangs est l’aboutissement d’une croisée de talents

Cette déferlante de violence qui se déchaîne sur Naples (les Britanniques avaient exploité le film en VHS sous le titre de The Naples Connection) n’est jamais orchestrée dans une gratuité inhérente au genre. Lucio Fulci, qui a pourtant eu peu de temps pour réaliser ce film de commande, préfère au contraire élaborer avec précision ce qui est devenu l’une de ses plus grandes réussites, sur la forme comme sur le fond. Il s’appuiera même pour le script sur des journalistes qui connaissait bien la situation napolitaine.

La multitude de personnages qui égraine la projection, avec un effet quasi choral dans la narration, bénéficie à l’intrigue au-delà du rythme insufflé. Naples devient une poudrière oppressante, ville des incertitudes dans son destin qui se joue à différents niveaux chez les gangsters, la mafia contemporaine, les vieux barons à la retraite, et la police. Ce sentiment morbide de chaos conduit à des trahisons magistrales et à une quasi fascination du spectateur pour un récit dont il est difficile de se détacher. La richesse du script co-écrit par Giorgi Mariuzzo, conduira Lucio Fulci à collaborer avec ce dernier sur L’au-delà et La maison près du cimetière. Deux contes horrifiques parmi ses plus grandes réussites. Plus tard, le cinéaste demandera à Mariuzzo de le sortir d’une impasse artistique avec Aenigma. Fidèle à son ami, le scénariste le fera, même s’il confie que l’horreur n’est pas du tout un genre qu’il affectionne.

Le poliziottesco sur CinéDweller

Fulci est dans une maîtrise totale de son film. La seule séquence que l’on qualifierait moyenne, l’incipit, n’a pas été mis en boîte par Fulci qui ne maîtrisait pas l’environnement marin pour une course poursuite sur mer. A part cela, la réalisation est magistrale, sans pour autant faire dans l’esbrouffe visuelle du giallo (ce qu’il avait fait par exemple sur Le venin de la peur). Son chef op des plus fidèles, lui aussi, ne s’essaie pas à la vivacité colorimétrique des Dario Argento récents (Suspiria, Inferno). Pour Fulci, il s’agit plutôt de mettre en place, de façon personnelle et inspirée, des plans parfaitement composés, toujours variés, avec une technicité au service de la narration et du rythme du film. Pour cela, il peut également s’appuyer sur le montage de son proche, Vincenzo Tomassi (Holocaust 2000, Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato) qui travaillera avec Lucio Fulci jusqu’à sa mort en 1993. Tomassi décède en effet peu après avoir monté Voix profondes (1991). Il avait notamment monté les plus grands films d’épouvante du cinéaste.

Jaquette du DVD français de The Ecstasy of Films de La guerre des gangs de Lucio Fulci.

Jaquette du DVD français de The Ecstasy of Films de La guerre des gangs de Lucio Fulci. (2013) © Surf Films, S.R.L.

Fabio Testi, un charisme qui flingue

Touché par la grâce, La guerre des gangs ne serait pas non plus ce jalon qu’il est devenu avec le temps, s’il n’y avait pas bénéficié d’acteurs solides. Fulci, qui a placé ses seconds rôles fétiches un peu partout au casting, retrouve l’un de ses “4 de l’apocalypse“, la star italienne des années 70 Fabio Testi (Le jardin des Finzi-Contini, L’important c’est d’aimer, et pléthore de polars). Sa présence en impose, avec un pouvoir de séduction à la Belmondo, Delon ou Sean Connery, même s’il tourne dans des scènes particulièrement crues au niveau de la violence graphique. Il en va de même pour un autre physique italien des années 70, Saverio Marconi. L’acteur de théâtre, que l’on découvre dans la Palme d’or des Taviani, le chef d’œuvre Padre Padrone (1977), avait d’ailleurs déjà tourné avec Testi dans son premier film, en 1975, Profession garde du corps de Tonino Valerii. Les deux acteurs italiens y jouaient des frères. Marconi, à la bouille de dandy aux réminiscences d’un Jude Law transalpin, apporte différentes lectures à son visage d’ange pervers qui évolue beaucoup dans la trame.

Le poliziottesco sur CinéDweller

L’éternel second rôle du polar français Marcel Bozzuffi (French Connection, bien sûr), qui allait disparaître moins de 10 ans plus tard, en 1988, est lui-même parfait de machiavélisme dans le costume du Marseillais. L’acteur compose son personnage des nuances de vilenie impénitente qui désarçonnent. Il brille à chaque fois.

On n’oubliera par ailleurs de mentionner à nouveau l’actrice méconnue en France Ivana Monti dont la présence en tant qu’épouse du macho central, est loin d’être anodine. Elle a particulièrement fouillé sa participation au casting pour apporter une vraie dose de désespoir et de souffrance aux nombreux supplices qu’elle doit traverser. Elle forme avec Testi un couple solide. Son personnage permet d’ailleurs de banaliser le statut de mafieux de son époux qui est un bon père, un bon mari, dans un milieu où on aurait pu imaginer l’épouse plus tertiaire. Son implication gratifie le métrage.

Désormais une évidence pour la France

Au tournant de l’année 2022, c’est-a-dire à quarante ans de sa sortie provinciale en salle (1982)? et nationale en vidéo (1983), La guerre des gangs demeure l’un des Fulci qui comptentparmi les moins accessibles en France et donc l’un des moins connus. L’édition parfaite du blu-ray américain de l’éditeur Cauldron, en 2022, largement accessible pour les amateurs de VO (on y trouve une piste anglaise et italienne, des sous-titres en anglais), change la donne et va permettre une sortie inéluctable du Fulci dans les années à venir sur le territoire français. Quid du Chat qui fume (Le venin de la peur, La longue nuit de l’exorcisme, Perversion Story, L’emmurée vivante) d’ESC (La maison près du cimetière), Artus (Selle d’argent en DVD, Liens d’amour et de sang, Frayeurs, L’au-delà, Le miel du diable) ou, pourquoi pas The Ecstasy of Films (La guerre des gangs en DVD, donc, mais surtout le superbe mediabook de L’éventreur de New York), pour en obtenir les droits? Ces quatre éditeurs ont tous goûté au répertoire du maître. Il est impensable qu’ils ne réfléchissent pas d’une façon ou d’une autre à apporter leur pierre à l’édifice du culte de Lucio Fulci en HD, avec cette œuvre de maître qui demeurera à jamais l’un des plus grands polars italiens jamais réalisés.

Frédéric Mignard

La guerre des gangs, jaquette promotionnelle Scherzo, restaurée

Jaquette promotionnelle Scherzo, restaurée par notre équipe (2022). Le visuel est différent de la jaquette définitive choisie finalement par l’éditeur en 1983. © Surf Films, S.R.L.

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