Petit blockbuster d’aventures par le réalisateur d’Emmanuelle, Gwendoline est une fantaisie aux décors délirants, qui papillonne au-dessus des sables mouvants du cinéma bis. Drôle, cocasse et sensuel. A redécouvrir.
Synopsis : Décidée à retrouver son père disparu, parti en quête d’un papillon rare, Gwendoline se lance à sa recherche avec l’aide de Beth, sa demoiselle de compagnie. Parvenues dans un port malfamé de Chine, les deux jeunes femmes sont kidnappées par des truands, puis libérées par un aventurier nommé Willard. Ce dernier accepte alors d’accompagner Gwendoline et Beth dans un long périple qui les conduira jusqu’à la mystérieuse contrée de Yik-Yak. Là-bas, au cœur d’un volcan, une reine cruelle et tyrannique dirige d’une main de fer une armée d’Amazones…
Le cinéma de genres français au pluriel
Critique : Sorti en février 1984, à l’époque de Christine, La quatrième dimension, The Dead Zone ou encore L’ascenseur, Gwendoline s’installait dans un paysage de cinéma de genre, comme l’un des rares avatars français dans le domaine. C’était loin d’être anodin, puisque l’adaptation de la BD des années 30, sur la pauvre orpheline victime des sévices de dépravés malveillants qui en voulaient à son héritage, associe des éléments de fantastique, d’action (une touche de kung-fu, forcément), de violence chorégraphiée (et même un brin de gore), de burlesque, d’érotisme dans le sens noble du mot, à l’authentique épopée d’aventures exotiques qu’il est.
Quand le producteur Jean-Claude Fleury acquiert les droits de la bande dessinée, il envisage un film érotique que mettrait en scène Just Jaeckin. Et pour le spectateur de l’époque, comme contemporain, le risque était là. De nouveaux ébats érotiques par le réalisateur d’Emmanuelle, au sein d’un spectacle qui revêtait à nouveau un prénom féminin comme titre… L’idée même était ronflante. Le genre tombait alors en désuétude (même si Joy sera un succès en 1983), et la pornographie envahissait les salons via le magnétoscope. Just Jaeckin orientera le film loin des envies de son producteur pour imposer un film d’action glamour, où tout confine au cabotinage bon enfant pour ne pas se répéter, lui qui a une sainte horreur des suites.
Gwendoline contre Emmanuelle…4 en 3D
Aussi, en cette année 84, qui verra justement les sequels des deux plus grands classiques de Jaeckin – Emmanuelle (le 4e, en 3D) avec Fabrice Luchini, et Histoire d’O –, arpenter le box-office, Gwendoline prend tout le monde au dépourvu, déstabilise et finalement rate une cible peut-être mal définie. La commission de classification lui octroie un visa tous publics. Les adolescents qui commencent à être nourris aux blockbusters de science-fiction américains et ne sourcillent pas face aux aventures d’Indiana Jones de Lucas et Spielberg, n’y voient pas vraiment l’objet de leurs fantasmes et passent leur chemin. Les adultes, pour leur part, sont face à un dilemme. Certains redoutent d’aller voir un film trop déshabillé quand d’autres veulent justement de la chair de la part d’un auteur qui sort du succès de L’amant de Lady Chatterley, avec Sylvia Kristel, l’adaptation très fidèle du roman de D.H. Lawrence.
Les années 80, la BD fun et coquine
Soudainement ce projet coûteux (35 millions de francs dont l’essentiel est passé dans les décors et le tournage aux Philippines, au Maroc, aux Baux-de-Provence et dans des studios français) ne paraît plus totalement à sa place. A l’aube de la crise du cinéma qui débarrassera les grands écrans des séries B d’antan, Gwendoline a pourtant l’argument d’être une adaptation de BD, une tendance qui se vérifiait dans la science-fiction et l’heroic fantasy (Métal Hurlant), le pastiche franchouillard (Vive les femmes) ou l’érotisme façon L’écho des savanes (Le déclic). Et évidemment les films de super-héros via la trilogie Superman. Dans l’ouvrage des années 30 Gwendoline subit ; ici, en femme plus moderne, elle passe à la manœuvre, aidée par sa servante et amie Beth qu’interprète la quasi inconnue Zabou (Elle voit des nains partout).
Gwendoline connaîtra une carrière décevante en France, puisque le film ne restera à l’affiche que quelques semaines (voir l’analyse du box-office plus bas), en raison d’un bouche-à-oreille décevant. Toutefois, les comptes seront bons grâce à l’international qui en fera une excellente affaire. L’étranger ne pouvait résister à pareil cocktail de charmes et, de surcroît, Jaeckin s’était arrangé pour tourner en anglais. Les Français ne connurent que la VF, dont le doublage fut peaufiné pendant trois semaines. Le film, coproduit par l’Amérique, bénéficie d’un casting international, avec essentiellement des inconnus, choix voulu par le cinéaste, et c’est naturellement qu’il sort aux USA coupé de dix minutes pour accélérer le rythme et arriver plus vite à la Cité Interdite, celle de femmes castratrices, sur laquelle règne sa majesté Bernadette Lafont. Le titre américain de l’époque en dit long sur la cible des cinémas de quartier : The Perils of Gwendoline in the Land of Yik-Yak. Cela ne s’invente pas à Hollywood.
Du film cucul au film culte
Les producteurs seront donc ravis des exportations, les meilleures pour une production hexagonale en 1984. Alors que le film sombrera dans l’oubli progressif en France (Just Jaeckin, happé par la publicité, s’écartera définitivement du cinéma), il cultivera une aura de production européenne culte, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis où l’éditeur Severin proposera une édition blu-ray collector truffée de bonus. Il faut dire que sur le papier, tout y est pour savourer ce qui peut paraître bassement pour du cinéma d’exploitation : combats de femmes, beau gosse misogyne vénéré pour sa semence, sauvages un peu cannibales, ethnocentrisme colonialiste, femmes généreusement déshabillées, un personnage à la mode kung-fu, musique lancinante de Pierre Bachelet qui, avec François Valery, était le compositeur type de ces productions léchées (depuis Emmanuelle, il a travaillé sur la plupart des films de Jaeckin)…
Des décors grandioses
Film de tous les soins, Gwendoline frappe encore par la maestria de ses décors. La séquence d’ouverture, dans une Chine portuaire des années 30 entièrement reconstituée et chorégraphiée sans CGI, nous redonne l’amour du cinéma à l’ancienne. On y sent l’effort, la sueur, l’inspiration. Le sens du système D comme débrouille, et surtout celui du talent. C’est une femme, Françoise Deleu, qui est à la tête d’une équipe de 160 personnes. Une première pour un long en France au début des années 80. L’artiste, présente sur les bonus du blu-ray Severin et du Chat qui Fume, réalise les fantasmes visuels de Jaeckin avec imagination. Les décors sont excitants dans leur frénésie, stimulants dans leur vision, comme cette fameuse Cité des femmes qui donne corps au film dans la dernière partie…
Le prétexte scénaristique pour lancer Gwendoline dans un univers à la Indiana Jones, digne des Mines du roi Salomon (on n’évoque pas forcément le nanar de la Cannon avec Sharon Stone et Richard Chamberlain, qui lui sera vraiment très inférieur, NDLR) n’est pas un souci en soi. La réalité du rythme, des changements de décors et des situations pittoresques pare cet anachronisme qui aurait cartonné en série B dans les années 50 ou 60, d’un charme toujours actif près de quarante ans après.
Gwendoline, une œuvre #MeToo compatible ?
Pour ce qui est de l’érotisme, aux teintes des années 80, on ne doit pas oublier que l’on est à l’époque de l’ascension de Mondino, et Just Jaeckin, lui-même, est l’un des maîtres du porno chic dans la pub. Les corps se dénudent pour satisfaire le regard dans une dimension globale, mais ne semblent jamais destinés à émoustiller. Jaeckin affirme avoir accompli une œuvre féministe où les femmes Amazones ont pris le pouvoir sur les hommes dans une contrée imaginaire, au-delà de la jungle, et où le mâle n’est qu’un élément de reproduction et où il est même… violé. Jaeckin est toujours attaché au beau, se refuse au graveleux, mais le film demeure intensément porté sur la flatterie à l’égard du corps féminin. Les costumes, les situations et même le climax sont intensément érotiques. Et la femme, kidnappée, échangée, violentée, outragée risque de ne pas être du goût des spectateurs contemporains qui y verront à tort une œuvre sexiste et misogyne. Rappelons que dans le contexte du milieu des années 80 où les cinéastes déshabillaient plus vite que leur ombre, Gwendoline est bien plus pudique que Rendez-vous de Téchiné (Binoche), L’année des méduses de C. Frank et La femme publique de Zulawski (Kaprisky), Cours privé de Granier-Deferre (Bourgine) ou L’été meurtrier de Jean Becker. (Adjani). Ne faisons pas de faux procès à son auteur.
Gwendoline, un spectacle exotique de références qui finit par ne ressembler qu’à lui-même
Avec son humour de Tintin, ses ambitions d’action (la course de chars en clin d’œil à Ben Hur de Wyler), et son casting fanfaron, Gwendoline est souvent plus proche d’A la poursuite du diamant vert que du roman-photo décrié en son temps. Le film qui fit l’objet d’un hors-série chez Starfix, apporte son lot d’étrangetés européennes au concept globalement américain que l’on résumerait à l’efficacité. Le divertissement ne manque jamais de style et ne se repent jamais pour ses maladresses nombreuses ou ses fautes de goût. Mieux, il convie au voyage en créant son propre univers qui finit par ne ressembler qu’à lui-même. Et avec Bernadette Lafont en reine mégère et la fourberie joyeuse de l’excellent Jean Rougerie, des décennies après, on savoure encore notre plaisir. Gwendoline est un délice d’innocence travesti en ce qu’il n’était pas. Accordons-lui une seconde chance.
Sorties de la semaine du 8 février 1984
Le test blu-ray
Sorti en VHS chez Parafrance Video Worlwide (PVW), au milieu des années 80, puis chez Echo Video Time, Gwendoline n’a pas vraiment eu de chance en DVD. Une édition pauvre et mal fagotée sortie dans un coffret avec un film de David Hamilton, Tendres cousines, par un éditeur qui n’a même pas estampillé la jaquette de son nom dans les années 2000, et puis s’en va. Maigre pour redonner une chance à ce joli film d’aventure. Heureusement, Severin aux USA et au Royaume-Uni a remis le film au goût du jour, avec un blu-ray. En France, Le Chat qui fume lui emboîte le pas. Avec en plus une édition Ultra HD unique au monde ! L’édition est limitée à 1 000 exemplaires pour un Digipack au visuel collector luxueux.
Compléments : 3 /5
Le Chat qui fume a repris quelques suppléments issus de l’édition Severin. Il y a ajouté un très précieux entretien avec Just Jaeckin qui évoque sa carrière et sa vie d’aujourd’hui pendant près de 33 minutes. L’artiste étant rare dans les médias de cinéma, c’est d’autant plus formidable qu’il ne se répète pas trop avec le segment produit par Severin où il se focalise davantage sur le film Gwendoline. Les deux compléments autour de Just Jaeckin sont même d’une grande complémentarité.
Malgré tout, on reprochera à cette édition de ne jamais donner la parole aux acteurs vivants de cette fanfaronnade, à savoir Tawny Kitaen et Brent Huff. Ils sont pourtant bien présents dans l’édition zone A. C’est d’autant plus dommage que Brent Huff a beaucoup officié par la suite dans le bis italien de Mattei, et même chez Sergio Martino.
Pour la présence de la Française Zabou, c’était impossible, celle-ci ayant éradiqué le film de sa filmographie, en raison de problème avec la production. Dans un supplément passionnant sur la production du film, à proprement parler, par Jean-Claude Fleury, ce problème est à peine évoqué. Il méritait quelques éclairages.
Dans tous les cas, si Le Chat qui fume propose des bonus toujours à propos et riches en contenu, l’on peut se sentir frustré de l’absence de montage américain, proposé aussi en supplément chez Severin. Idem pour les commentaires audio.
• Just par Jaeckin avec le réalisateur Just Jaeckin (33 min)
• L’effet papillon, avec Just Jaeckin (14 min)
• Le paradis du bondage, avec François Schuiten Claude Renard (34 min)
• Les périls de la production, avec Jean-Claude Fleury (18 min)
• Les voyages de Gwendoline, avec Françoise Deleu (14 min)
• Film annonce
Image : 5 / 5
Master resplendissant de lumière et de détails, Gwendoline en blu-ray irradie l’écran. Cela permet un investissement du spectateur par ce que le film a de plus beau, sa forme, son esthétique. Le format Scope est bien respecté. On vit un rêve éveillé. Attention, selon l’éditeur, il s’agit bien d’un master unique, approuvé par Gaumont, différent de celui de Severin.
Son : 4 / 5
La note peut paraître sévère d’une certaine façon. Si le film, tourné en Dolby Stéréo en son temps, ne souffre d’aucun problème de son notoire – c’est le moins que l’on puisse dire tant la copie est juste et équilibrée -, on reprochera l’absence de la piste anglaise d’origine. Le film a été tourné dans cette langue et l’on aurait aussi aimé la découvrir, comme nos amis d’outre-Manche. C’est évidemment un fan hardcore du film qui parle. Le doublage était la seule piste disponible sur la France à sa sortie, de même en VHS, puis en DVD.
Le Chat qui fume a toutefois opté pour la VF exclusive pour répondre au désir du réalisateur qui considère cette piste comme la piste officielle de son oeuvre.
Le Chat qui Fume sur CinéDweller
Design : Frédéric Domont – © 1984 Parafrance – Films de l’Alma – G.F.P.I
Test vidéo : Frédéric Mignard