Film de gangster féministe, Du rouge pour un truand tient du pur cinéma d’exploitation avec ses outrances, mais aussi ses audaces et ses menus plaisirs. A redécouvrir !
Synopsis : Violentée par un père abusif, Polly Franklin décide de quitter la ferme familiale pour Chicago. Elle sera tour à tour couturière, danseuse, prostituée et serveuse, et fera même un séjour en prison. Son parcours la rapproche du monde de la pègre des années 1930, jusqu’au jour fatidique où Polly fait la rencontre d’un certain John Dillinger…
Du rouge pour un truand ou la fin d’une époque
Critique : Durant les années 70, le cinéma américain est marqué par la grande vogue du film de gangsters qui a gagné ses lettres de noblesse avec le triomphal Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967), initiant tout un cycle de longs-métrages situés durant la période de la Prohibition. Pendant que tout un pan du genre se penche sur la mafia à la suite du succès mémorable du Parrain (Francis Ford Coppola, 1972), bon nombre de cinéastes préfèrent revisiter les années 20-30 à travers des biographies de gangsters célèbres.
Visiblement intéressé par le sujet, le cinéaste indépendant Roger Corman est l’un des maîtres du genre avec notamment L’affaire Al Capone (1967), Bloody Mama (1970), ainsi que ses productions bis Bertha Boxcar (Martin Scorsese, 1972), Capone (Steve Carver, 1975). Motivé par les bons chiffres de ses propres productions, ainsi que par ceux de L’arnaque (George Roy Hill, 1973) et Dillinger (John Milius, 1973), Roger Corman continue donc à creuser le même sillon avec Du rouge pour un truand (1979) qui s’intéresse cette fois-ci au destin d’une petite amie du truand Dillinger nommée Polly Franklin. Autre personnage ayant réellement existé, Anna Sage est l’immigrante roumaine qui a été instrumentalisée par le F.B.I. afin de trahir le gangster.
Un film de gangsters focalisé sur le rôle des femmes
A partir de ce postulat original car entièrement centré sur des personnages féminins, le scénariste John Sayles a tissé la toile d’un pur film d’exploitation, avec de nombreuses scènes dans une prison de femmes, mais aussi dans un bordel. Le but était bien entendu de satisfaire les désirs du producteur Roger Corman, mais son scénario en profite tout de même pour développer un point de vue féministe qui anticipe de plusieurs décennies la mode actuelle visant à réhabiliter le rôle des femmes dans l’histoire.
Réalisé en quatre semaines par Lewis Teague dont ce fut le deuxième film de cinéma, Du rouge pour un truand parvient avec un budget ridicule s’élevant à 400 000 $ (soit 1 709 790 $ au cours de 2024) à reconstituer l’Amérique de la Grande Dépression de manière convaincante. Certes, la photographie du film est un peu terne, mais les décors s’avèrent très convaincants, tandis que les costumes font leur office. Payé une misère par la production, le novice Lewis Teague fait preuve d’un talent notable pour l’outrance typique du cinéma d’exploitation. Il n’hésite pas à faire ruisseler le sang lors de scènes de fusillades impressionnantes, tandis que la violence s’exerce également contre les femmes, régulièrement maltraitées par des hommes odieux. Ces dames ne sont toutefois pas des oies blanches et en viennent aussi aux mains lors de séquences jubilatoires.
Un zeste d’érotisme et de WIP au cœur d’un pur film d’exploitation à l’ancienne
Les amateurs de cinéma bis se délecteront notamment des crépages de chignon intervenant durant les séquences en prison typiques du WIP (Women in Prison), mais les moments au cœur du bordel permettent au cinéaste de dénoncer la condition atroce des femmes dans ces lieux pas si protecteurs. Certes, le personnage de la mère macrelle incarnée avec gourmandise par l’oscarisée Louise Fletcher (l’infirmière de Vol au-dessus d’un nid de coucou, c’était elle) se veut à l’écoute de ses filles, mais le danger n’est jamais loin. Ainsi, Christopher Lloyd joue un truand monstrueux qui se plaît à maltraiter les filles de l’établissement jusqu’à un meurtre assez traumatisant.
Par rapport à de nombreux hommes, Dillinger (Robert Conrad, sobre) semble un spécimen presque pacifique et son idylle avec la jeune Polly est plutôt crédible et même touchante. On notera d’ailleurs que l’acteur, star de la télévision, n’intervient qu’au bout d’une cinquantaine de minutes, preuve de l’importance du personnage féminin, vraiment au centre de l’intrigue. Il faut dire que la toute jeune Pamela Sue Martin fait preuve d’un sacré charisme à l’écran. Deux ans plus tard, elle a surtout acquis la célébrité en interprétant le rôle de Fallon Carrington dans la série Dynastie, et ceci durant plusieurs années. En tout cas, elle démontre ici un beau tempérament d’actrice et prouve qu’elle ne peut aucunement être réduite à une potiche de plus du cinéma hollywoodien.
Une déception commerciale aux Etats-Unis
Boosté par un montage très dynamique, Du rouge pour un truand se démarque également pour avoir été la première contribution cinématographique du compositeur culte James Horner. Il se love ici dans une tradition typique du film de gangsters en singeant les titres de l’époque évoquée. Sans être mémorable, son travail est de qualité.
Commercial en diable, mais non dépourvu d’intérêt par la pertinence de son scénario et le dynamisme de sa réalisation, Du rouge pour un truand est donc une œuvre fort agréable à redécouvrir de nos jours, d’autant qu’elle fait partie des œuvres préférées d’un certain Quentin Tarantino. Sorti discrètement aux States fin juillet 1979, Du rouge pour un truand n’a pas connu un énorme succès, tout en rentrant tout de même dans ses frais, peu élevés. Il a ainsi terminé sa carrière avec 900 000 $ (soit 3 847 020 $ au cours de 2024) dans son coffre. On est loin du hold-up attendu par son producteur, à tel point qu’il a procédé à plusieurs reprises sous des titres divers comme le très bis Guns, Sin and Bathtub Gin.
Une sortie tardive et discrète en France
En France, il a fallu attendre le mois de novembre 1983 pour voir le film débarquer sur les écrans parisiens, sans doute pour profiter de la diffusion récente de la série Dynastie sur FR3 (à partir du mois de septembre 1983) et donc de la récente popularité de Pamela Sue Martin. De même, le réalisateur Lewis Teague n’était plus un inconnu pour les cinéphiles puisqu’il venait de frapper les esprits avec ses films suivants (L’incroyable alligator et Cujo). Sorti la même semaine que la comédie événement Les compères (Francis Veber), le film de gangsters a profité de quinze écrans sur Paris-périphérie et a glané 15 748 entrées lors de sa première semaine d’exposition. On peut le voir notamment au Max Linder, au Studio Médicis, à la Maxéville, à la Convention St-Charles, au Forum Cinémas et dans 6 cinémas Paramount. Ce score très décevant lui vaut une dégringolade à 5 423 entrées en 2e semaine, en raison de son retrait quasi généralisé des sites qui le programmaient, puisqu’il ne lui en reste plus que 4. En province, les femmes de truands glanent environ 3 000 tickets de plus pour un total de 18 802 clients.
Jamais exploité en VHS dans nos contrées, il a fallu attendre 2023 et l’édition blu-ray dégoupillée par Carlotta pour redécouvrir cette œuvre valeureuse qui mérite assurément d’être revisitée de nos jours.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 23 novembre 1983
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Biographies +
Lewis Teague, Christopher Lloyd, Louise Fletcher, Nancy Parsons, Robert Forster, Pamela Sue Martin, Robert Conrad
Mots clés
Cinéma bis, Les truands au cinéma, La prostitution au cinéma, Films féministes, WIP Movies