Arthur Penn est un réalisateur américain majeur des années 60 et 70, à l’esprit contestataire, iconoclaste et attaché aux personnages de marginaux broyés par le système américain, jusque dans sa peinture des mythes fondateurs du pays, dans ses trois westerns progressistes. Il était attaché à l’Actor’s Studio.
Arthur Penn est le petit frère du photographe légendaire Irving Penn.
S’il commence sa carrière à la télévision dans les années 50, en mettant en boîte de nombreux épisodes de séries télévisées, Arthur Penn se distingue au cinéma dès son premier long. En 1958, il réalise le western Le gaucher, adapté d’une pièce de Gore Vidal avec Paul Newman. Le jeune acteur remplace alors James Dean que Warner Bros voulait embaucher dans le rôle, mais qu’une mort prématurée élimine du casting. Le gaucher remporte un beau succès critique, même si sa peinture va à l’encontre de l’Ouest héroïque des grands cinéastes qui dominaient le genre à l’époque, comme Howard Hawks ou John Ford.
Penn enchaîne en 1962 avec une œuvre étonnamment différente. Miracle en Alabama évoque l’enfance difficile, l’éducation impossible d’une jeune fille sourde, muette et aveugle. Basée sur une histoire vraie que le cinéaste avait déjà abordée à la télévision et sur les planches, l’œuvre majeure permet à Arthur Penn de décrocher une nomination aux Oscars comme Meilleur réalisateur. Anne Bancroft remporte l’Oscar de la Meilleure actrice et la jeune Patty Duke celui du Meilleur second rôle.
Arthur Penn, trop anticonformiste pour Hollywood ?
Le cinéaste connaît un sérieux revers personnel avec son projet suivant. Le train est un film qu’il a développé et dont il boucle le premier jour de tournage. Burt Lancaster, vedette du film, en désaccord artistique avec lui, fait pression auprès des producteurs pour qu’ils le remplacent par John Frankenheimer. L’expérience laissera une certaine amertume à Penn, pleinement investi dans ce travail.
Aussi, le réalisateur devra attendre trois ans pour proposer son nouvel effort, le méconnu Mickey One. Ce drame noir est sélectionné à Venise en 1965. On y retrouve déjà son futur Clyde Barrow, Warren Beatty, dans un rôle d’outsider pourchassé par la mafia, au final tragique marquant. Jouissant d’une grande liberté artistique, Penn joue avec le récit et sa linéarité, au risque de perdre beaucoup de monde sur la route. Le long métrage, trop étrange pour le public, est un échec commercial et divise encore les critiques contemporains.
Pour Sam Spiegel, Arthur Penn réalise une production cossue en 1968, La poursuite impitoyable, avec Marlon Brandon, Robert Redford et Jane Fonda. Malheureusement, ce récit d’évadé de prison que joue Redford, traqué par Brando en shérif peu sympathique, n’est pas un succès pour autant ; Penn lui-même n’y reconnaît pas l’œuvre qu’il a tournée en raison d’un montage qui lui a totalement échappé.
Bonnie et Clyde, l’acmé d’une carrière obsédée de marginalité
Le vent tourne favorablement pour Arthur Penn avec le triomphe américain de Bonnie et Clyde. Le film est proposé à Truffaut et Godard et finalement Penn récupère le bébé auquel il demande la réécriture de certains éléments du scénario, notamment autour du triangle sexuel que les deux assassins formaient avec le personnage de C.W. Moss. Le public est enflammé, les critiques subjugués. Le récit de violence stylisé, d’après un scénario de David Newman et Robert Benton, se veut une œuvre anticonformiste et l’écho d’une Amérique en proie aux démons de la guerre du Vietnam. L’hommage à la Nouvelle Vague demeure ; Warren Beatty et Faye Dunaway en ressortent comme des figures iconiques de la contre-culture de cette époque. Le résultat est toutefois snobé aux Oscars où il concourrait dans dix catégories ; le classique sur une jeunesse contestataire ne reçoit que deux statuettes, l’une pour le second rôle d’Estelle Parsons, l’autre pour la photographie. Il en sera de même aux Golden Globes ou aux BAFTA. Aux Oscars, on lui préfère Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison, couronné Meilleur Film, et le réalisateur Mike Nichols pour Le lauréat. La fin extrêmement sanglante et violente des deux protagonistes n’a pas dû jouer en sa faveur.
Après un téléfilm, Arthur Penn revient au grand écran en 1969, avec la comédie du verbe Alice’s Restaurant, long métrage plus intimiste qui lui vaut encore une nomination aux Oscars comme Meilleur réalisateur. Un véritable film d’auteur pour le cinéaste qui envie les Européens, leurs libertés, et voue un culte à Ingmar Bergman.
Little Big Man, son ultime succès américain
En 1970, Little Big Man, western atypique avec Dustin Hoffman est un triomphe au box-office américain avec l’équivalent de 270 000 000$ de recettes (chiffres ajustés au cours du dollar en 2021). L’Ouest y perd ses repères historiques et c’est bien au peuple indien qu’Arthur Penn s’intéresse essentiellement.
Après une pause de quatre ans, l’auteur revient au thriller trouble avec La fugue dans lequel il dirige Gene Hackman, l’une des révélations de Bonnie et Clyde. La sortie est discrète, l’œuvre jugée trop sombre. Les temps deviennent durs pour le cinéaste qui ne connaîtra plus de succès au box-office. Missouri Breaks, son troisième western, met en scène Marlon Brandon et Jack Nicholson. Assez étrange, ce western révisionniste ne manque pas de qualités, mais le public ne suit pas. Le tournage fut chaotique avec Brando totalement hors de contrôle et un script lourdement réécrit durant le tournage par Robert Towne. Toute une histoire dans l’histoire qui compte parmi les coulisses légendaires de Hollywood.
En 1981, Arthur Penn se débarrasse des stars et de leurs caprices et tourne une œuvre sur la jeunesse des années 60, un film sur la classe moyenne fruit de l’immigration européenne. Georgia est autant son bébé que celui de son scénariste, Steve Tesich, américain d’origine yougoslave qui relate à travers les protagonistes du film son propre déracinement. Les Français feront du film un franc succès. Pas les Américains.
Un cinéaste déconnecté du tout divertissement des années 80
Dans les années 80, Arthur Penn a désormais plus de 60 ans. Il se sent déconnecté des thématiques que proposent les divertissements à la mode. S’il reconnaît le talent de Spielberg, il ne se retrouve pas dans les épopées spatiales qui se situent à des années lumière de ses préoccupations plus sombres, sociales et sociétales.
En 1985, Target, avec la vieille garde Gene Hackman et la relève Matt Dillon, ne provoque pas d’émoi et sort de façon discrète, essuyant un cinglant revers aux Etats-Unis et en France. Deux ans plus tard, son hommage à Alfred Hitchcock, Froid comme la mort, laisse de marbre. Penn n’est plus un cinéaste qui compte au sein de l’industrie hollywoodienne récréative.
La fin de sa carrière est anecdotique. Penn & Teller Get Killed (1989) est une comédie où il se contente de filmer platement les turpitudes des comiques américains Penn Jillette et Teller. Insortable en Europe, le divertissement indigne du cinéaste ne sera donc pas diffusé sur notre territoire. Il tourne un court pour le projet Lumière et Compagnie, aux côtés de quarante autres cinéastes mondiaux. Il s’agit alors d’un plan de cinquante -deux secondes mis en scène avec une caméra Lumière vintage.
Pour la télévision, il tourne Inside qui regroupe Nigel Hawthorne, Eric Stoltz et Louis Gossett Jr. Cet ultime métrage lui vaut toutefois une petite sortie en France, dans un seul cinéma, le 23 avril 1997. Il n’attire que 1 091 curieux et nostalgiques de ce grand homme. Le cinéaste culte d’un autre temps finit donc sa carrière à la télévision (la série Law & Order dont il était le producteur exécutif) et travaille aussi au théâtre.
Arthur Penn décède le lendemain de son 88e anniversaire, à son domicile, le 28 septembre 2010, près d’un an après la mort de son frère Irving Penn. Son épouse depuis 1956, la comédienne Peggy Maurer, le rejoindra deux ans plus tard, à l’âge de 81 ans.