Documentaire intéressant replaçant Madonna dans le contexte de l’Amérique puritaine des années 80, Becoming Madonna survole malheureusement un peu trop la carrière hors norme d’une artiste d’exception. On sera toutefois satisfait de la réhabilitation de cette icône de la pop.
Synopsis : L’ascension de Madonna vers la gloire de 1978 à 1992, explorant sa vie personnelle, ses controverses et les défis auxquels elle a été confrontée pendant cette période.
Becoming Madonna se concentre sur l’ascension de la star
Critique : S’attaquer à une figure aussi importante que Madonna au cœur d’un documentaire de 90 minutes, même limité à ses années d’ascension entre 1978 et 1992 relevait du défi quasiment impossible à relever. C’est pourtant le challenge qu’a tenté de mener à bien le documentariste britannique Michael Ogden à qui l’on doit déjà un intéressant George Michael : Outed (2023). Il y réussit en grande partie, même si certains choix peuvent paraître douteux, voire peu pertinents pour expliquer le phénomène Madonna.
Madonna, La Isla Bonita, pochette digitale © 2022 Warner Records LLC ℗ 2023 Warner Records LLC
Tout d’abord, parmi les points positifs de Becoming Madonna, on évoquera une volonté de montrer l’ascension d’une jeune fille venue du Michigan et marquée par le décès précoce de sa mère. Elevée dans un contexte américain très religieux, la jeune femme se lance tout d’abord à corps perdu dans la danse et trouve un mentor qui l’encourage à prendre son destin en main en lui faisant prendre conscience de ses qualités artistiques. Par la suite, le documentaire nous plonge à la suite de la jeune ambitieuse au cœur du New York déliquescent de la fin des années 70-80, avec un nombre conséquent d’images d’archives. Michael Ogden privilégie des entretiens audios avec les principaux témoins de l’ascension de celle qui fut tout d’abord une vraie punk, bien décidée à percer dans le monde de la musique.
Madonna, une artiste avant tout
Le cinéaste démontre ainsi l’opiniâtreté d’une jeune fille qui écrit déjà des chansons, apprend à jouer de la guitare et de la batterie en s’entrainant de manière intensive, puis fréquente la gratin de la scène underground new-yorkaise, comprenant des artistes comme Andy Warhol, Basquiat et les émules de la Factory. Mais surtout, le réalisateur montre la détermination d’une jeune artiste qui n’avait qu’une ambition : devenir la meilleure dans sa partie, et, pourquoi pas, une star. Il insiste sur l’intransigeance d’une chanteuse que sa première productrice comptait mettre dans une case, quelque part entre Blondie et des artistes plutôt rock.
Toutefois, Madonna se laisse davantage séduire par l’univers nocturne des boites de nuit, entretenant de fortes amitiés avec des homosexuels qui lui ouvrent la voie d’une musique plus dansante, mais qui serait pourtant purement originale, car ni disco, ni new wave. Comme le déclare d’ailleurs la future star dans un entretien datant de ses débuts, elle ne voulait être comparée à personne et créer quelque chose d’absolument unique.
Provocatrice, Madonna affirme une sexualité féminine décomplexée dans une Amérique puritaine
C’est ce versant du documentaire qui s’avère le plus passionnant car, contrairement au flot de haine déversé depuis toujours par la presse musicale à son encontre, la taxant de redoutable femme d’affaires et non d’artiste, le cinéaste prouve que l’univers musical et visuel développé par Madonna au cœur des années 80 était totalement original et novateur. Certes, cela a permis à la chanteuse de devenir une star mondiale, mais celle-ci n’a jamais cherché à se compromettre dans la facilité et a toujours cherché à explorer de nouveaux territoires, au risque de perdre son public en cours de route.
Souvent provocatrice, Madonna a donc été un électron libre faisant preuve d’une audace incroyable au cœur d’une Amérique reaganienne très puritaine. Il fallait un sacré cran pour s’affirmer comme une femme fortement sexualisée, mais qui ne correspondait pas à l’archétype de la pin-up rassurante pour les hétérosexuels, car soumise. Pionnière dans cette Amérique très conservatrice, Madonna a non seulement sortie la culture gay du ghetto où elle était encore confinée, mais elle a aussi défié le sexe dit fort sur son propre terrain, celui d’une sexualité décomplexée. De quoi choquer toutes les ligues bien-pensantes de l’époque, tandis que les journalistes (masculins pour la plupart) se sont littéralement déchainés contre celle qui osait ne pas respecter les règles du jeu.
Une pionnière en avance de plusieurs décennies sur toutes les stars féminines actuelles
Becoming Madonna se révèle donc passionnant sur le plan sociologique et historique car il replace cette artiste en tant que pionnière et figure fondamentale du féminisme, sans qui aucune artiste d’aujourd’hui ne serait présente. En réalité, toutes les stars féminines actuelles (de Lady Gaga à Taylor Swift ou Katy Perry et on en oublie plusieurs dizaines) sont redevables de l’héritage laissé par Madonna, pourtant toujours conspuée, là où ses épigones sont souvent encensées. Il ne fait décidément pas bon d’être en avance de quelques décennies sur son temps! Aujourd’hui encore, on est choqué de découvrir la violence de certains papiers à propos de cette artiste qui vendait plus que toute autre, mais que la presse a toujours pris en grippe.
Madonna en couverture du magazine © Rock & Folk 1987 – Tous droits réservés
Il était donc temps qu’une réhabilitation s’amorce pour celle qui a permis de faire évoluer les mentalités dans un sens progressiste. Malheureusement, Becoming Madonna n’est pas exempt de défauts, dont des choix parfois étonnants. Ainsi, en tant que cinéphiles, nous avons été étonnés, voire déroutés, de l’éviction totale de sa carrière d’actrice.
Mais où est passée sa carrière cinéma ?
Absolument aucune mention n’est faite de Recherche Susan désespérément (Susan Seidelman, 1985), pourtant un film culte. Il aurait été intéressant d’évoquer le bide cinglant de Shanghaï Surprise (Jim Goddard, 1986) à l’occasion des moments qui traitent de son couple mouvementé formé avec Sean Penn. Rien non plus sur sa prestation pour Dick Tracy (Warren Beatty, 1990) et encore moins d’éléments sur sa venue événementielle à Cannes pour le documentaire culte In Bed with Madonna (Alek Keshishian, 1991).
Ces oublis volontaires apparaissent comme peu pardonnables, d’autant que la musique n’est pas forcément bien traitée non plus. Certes, le documentaire montre l’ascension de la chanteuse dans les charts au début de sa carrière, mais il n’insiste pas suffisamment sur les records que l’artiste a aligné pendant près d’une décennie, enchaînant les hits comme aucune artiste féminine avant elle.
Becoming Madonna, un premier pas vers une réhabilitation, mais finalement trop elliptique
Michael Ogden a donc choisi la voie de la réhabilitation et de la sociologie pour aborder le phénomène Madonna, ce qui est un grand pas en avant par rapport à ses prédécesseurs. Mais il en oublie parfois un peu trop d’évoquer l’œuvre de la chanteuse et comédienne. On ne voit pas beaucoup de pochettes d’albums et il n’est jamais fait mention de son collaborateur Patrick Leonard qui a participé à l’écriture de ses plus grands tubes des années 80.
Finalement, Michael Ogden s’est peut-être trompé de format et aurait dû consacrer plusieurs épisodes à cette artiste incontournable des années 80, tant elle a révolutionné le monde de la pop de son époque – ses concerts démentiels sont par exemple évoqués en moins de trois minutes. Intéressant pour les néophytes qui découvriraient le phénomène aujourd’hui, Becoming Madonna frustrera sans doute les fans qui ont suivi pas à pas sa carrière et qui en connaissent chaque péripétie. Il aurait fallu au minimum doubler la durée du programme pour vraiment embrasser un tel monument de la pop culture.
Proposé initialement sur la plateforme britannique Sky, Becoming Madonna est disponible en France depuis le 2 juin 2025 sur Canal + Docs.
Critique de Virgile Dumez
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