Note des spectateurs :

Like a Prayer de Madonna, vous connaissez? Alors que Deadpool & Wolverine sort sur tous les écrans de la planète, les oreilles sont toutes sur le tube de 1989, devenu l’une des chansons pop les plus iconiques du XXe siècle, et visiblement au-delà. Retour sur l’histoire tout aussi légendaire de ce monument des charts mondiaux.

1988, Madonna est une méga star. Elle sort de son année la plus monstrueuse en terme de ventes et son actualité a été écrasante. Le monde a bouffé de la madone à chaque mois du calendrier, avec un Who’s That Girl Tour tonitruant qui, à l’échelle mondiale, a redistribué les cartes dans les stades, mais aussi avec le single du même nom qui squatte le top 3 de tous les marchés mondiaux. Madonna a aussi été de la comédie hollywoodienne Who’s that Girl qui lui vaut un Razzie et a connu avec  La Isla Bonita – 5e single extrait de l’album True Blue (toujours son LP le plus vendu) – un succès aux sonorités latinos qui compte parmi ses plus emblématiques. La jeune rebelle du Michigan s’est aussi assuré un statut de diva des dance-floor avec un album remix, You Can Dance, le premier de l’histoire. Et son mari, Sean Penn, l’a tourné en bourrique, avec des accès de colère et de violence qui le conduisent au mitard ! La presse à scandale a apprécié.

Le tube de Deadpool & Wolverine est né d’un comeback flamboyant après seulement une année d’absence

Forte de son omniprésence, la chanteuse décide de ne pas surmener le peuple de la terre et s’octroie une année sabbatique ou du moins loin des projecteurs.

Et effectivement, en 1988, la première légende féminine de l’histoire de la pop, qui avait volé la vedette à Michael Jackson lors de son come-back, avec l’album Bad, va pouvoir laisser Bambi à nouveau scruter les charts car, cette année-là, elle se retire des devants de la scène mondiale pour finir à Broadway (elle est dirigée par David Mamet à l’occasion de la pièce Speed the Plow), et, dans le plus grand secret, elle entreprend l’enregistrement de son quatrième album, Like a Prayer. L’occasion d’une évolution ou d’une réinvention.

Comme pour True Blue, la madone se réinvente complètement, adoptant une seconde fois la recette de la métamorphose. Après avoir créé l’étonnement en arborant en 1986 un look de blonde platine, la surexcitée des charts dévoile une couleur brune naturelle, moins sophistiquée, à la fois plus rock et enracinée dans l’authenticité italo de ses origines Ciccone qui sied bien au projet d’un album agrémenté de photos d’Herb Ritts.

Reine des « eras » avant les autres, la furie du Michigan propose en premier single le titre éponyme, Like a Prayer. Une chanson mature, puissamment pop et rock qui deviendra, avec Vogue et Holiday, l’une de ses plus grandes signatures, qu’elle reprendra régulièrement en tournée ou sur les scènes d’événements planétaires comme le Live 8 en 2005, le caritatif Hope for Haiti en 2010, ou le Super Bowl en 2012.

Like a Prayer de Madonna impose sa messe en première place mondiale

C’est que le titre est une tuerie qui va immédiatement s’installer dans les charts du monde entier, à peine écarté de la première place en France par le succès phénoménal d’un Mégamix de Boney M et en Allemagne par le succès local et roublard de David Hasselhoff (on ne plaisante pas). C’est également le 6e numéro 1 de Madonna au Royaume-Uni où elle recense par ailleurs son 18e top 10 consécutif en 5 ans. Aux USA, Like a Prayer est son 7e numéro 1. Officiellement, c’est le premier 45 tours de Madonna à atteindre la certification de disque platine.

En Europe, Like a Prayer est numéro 1 de l’Eurocharts pendant 12 semaines, avec une première place accaparée en Norvège, Espagne, Suisse, Belgique, Italie, Finlande, et aux Pays-Bas. Le Canada, le Japon, l’Australie et la Nouvelle Zélande sont du sacre.

Le succès phénoménal du single n’est pas que commercial, mais bel et bien critique. Pour les professionnels de la plume acerbe, c’est une évidence, Like a Prayer – la chanson -, est un monument et ils vont largement applaudir ce retour qualifier de mature, dense, lyrique… Les journaux les plus sérieux sont de l’euphorie. Après tout, on est à la veille d’une fin de décennie où Madonna sera consacrée “chanteuse la plus influente des années 80” par Time Magazine. Madge institutionnalisée. Carrément.

Et comment imaginer Like a Prayer considérée comme une vulgaire chansonnette pour bandes FM ? On n’est pas face à une mélodie de 2’30 calibrée pour séduire uniquement les algorithmes, mais bel et bien face à un morceau ambitieux de 5’40 qui ne ressemble à rien de ce que l’artiste avait pu proposer auparavant, un titre qui a de la personnalité et qui se détache de tout ce que l’on peut entendre en radio à cette époque.

Toute la maturité artistique de Patrick Leonard et le génie de Prince

Outre l’apport des lyrics de Madonna, qui est aussi derrière la mélodie, la chanson Like a Prayer est co-signée par Patrick Leonard, sérial-tubeurs pour la star qui a enchaîné Live to Tell, La Isla Bonita, ou encore Who’s That Girl. Ce dernier compose 8 des 11 titres figurants sur l’album Like a Prayer. Pas moins.

Véritable ami pour Madonna – elle écrit Dear Jessie, pour célébrer la naissance de sa fille et l’inclut sur ce même album -, le Léonard de Ciccone se surpasse et lui offre un titre panthéonique. La direction artistique est à l’opposé de la pop générique du single Who’s That Girl qui était destiné à un public adolescent que Madonna ne semble pas, ici, chercher à séduire en priorité. Like a Prayer peut séduire les mômes de 12 ans, mais aussi les jeunes adultes de 20-30 ans. Voir plus. La force lyrique de Like a Prayer est puissamment qualitative et doit donc passer par l’apport des instruments et de thématiques costaudes.

A la guitare, Prince est non-crédité, certes, mais il est bien présent. Celui qui, cette même année livrera un album plus commercial que dans le passé, avec un opus inspiré par Batman de Tim Burton, s’adonne à un solo de guitare bruyant en ouverture et laisse aller son talent de guitariste en toute fin. L’artiste qui cosigne un duo avec Madonna sur l’album (le méconnu Love Song), voit aussi sa participation au titre développée sur la version 12″ Extended Remix et même sur le Dub beats, qui comptent parmi les meilleures versions de la chanson. Car oui, le single est accompagné d’un maxi 45 tours européen, américain encore plus long, et d’un maxi CD qui triomphe là encore une fois dans ces catégories.

Prince n’a pas travaillé directement avec Madonna, mais a enregistré sa contribution en novembre 1988, soit deux mois après l’enregistrement de la démo de Madonna qui elle, a été mise en boîte en septembre. La légende Andrae Crouch, accompagné de son chœur, enregistrera sa participation vocale au projet de la même façon. Mais on notera que l’artiste, très pieux, refusera d’approcher de près ou de loin la vidéo. Et pour cause…

Appel au boycott et retrait de la pub Pepsi : une polémique à 5 millions de dollars

Pour asseoir une hégémonie mondiale à son morceau, Madonna a évidemment décidé de mêler son sens inné du marketing et de la communication aux qualités artistiques de l’œuvre pop. Puisqu’au-delà du single Like a Prayer, il faut parler “produit” (un sponsorship entré dans les annales avec Pepsi) et un clip vidéo pour le petit écran à une époque où MTV est la première chaîne pour les adolescents aux Etats Unis.

Madonna a donc signé un contrat de 5 millions de dollars avec Pepsi pour une publicité diffusée la veille de la sortie du du clip-vidéo. Propulsé dans 40 pays, pour une audience couvrant 250 millions de spectateurs, le spot légendaire, pur moment de chorégraphie eighties, est diffusé à l’occasion du Cosby Show le 2 mars 1989, mais servira contre toute attente de tremplin à la controverse. Le lancement du clip-vidéo, le 3 mars 1989, provoque un scandale comme seule Madonna en avait la recette et va être un “game-changer” dans sa carrière qui aurait pu désorienter n’importe qui, mais qui dans ce cas va littéralement réorienter la provoquante chanteuse vers toujours plus de provocation.

Madonna poste sur Pepsi, en septembre 2023

Capture d’écran issue de X, 13 septembre 2023. Tous droits réservés. Lien original

Madonna embauche la réalisatrice Mary Lambert (les clips de Like a Virgin et Bordeline, c’était déjà elle) pour un clip narratif et graphique, extrêmement poétique et métaphorique, dont les images mêlent thématiques religieuses et sociétales, voire (inter)raciales, ce qui va littéralement enflammer l’Amérique puritaine de la fin des années 80, en particulier l’American Family Association dont le poids est tel dans la nation aux 50 états, déjà ivre de religion et de son ADN  blanc, que la célèbre boisson gazeuse est contrainte de reculer sur la diffusion du spot. Celui-ci ne sera diffusé finalement que deux fois, en raison des appels au boycott.

Pour 5 million de dollars, c’est évidemment cher payé. Madonna, elle, gracieusement empoche le chèque, mais restera extrêmement critique vis-à-vis de l’industriel de l’agro-alimentaire. Leur divorce restera un cas d’école. Il faudra attendre l’avènement d’internet et des plateformes audiovisuelles comme YouTube pour pouvoir retrouver cette gentillette publicité grâce aux archiveurs d’images. Et Pepsi attendra le 12 septembre 2023 avant de “payer” pour diffuser à nouveau le spot censuré, lors des MTV Video Music Awards. Trente-quatre ans après, le symbole est fort et Madonna ne manquera pas d’ironiser à ce sujet sur la plateforme X.

Pepsi, en pleine guerre de communication avec Coca, n’en était pas à sa première polémique involontaire et onéreuse, impliquant une icone de la pop puisque, en 1984, Michael Jackson avait été victime d’un accident, sur le tournage d’une publicité pour le géant de la boisson, avec sa crinière enflammée qui l’avait conduit aux urgences. Les images avaient fait le tour du monde ; le chanteur en restera marqué à vie.

La boisson sucrée avait dû verser la modique somme d’ 1.5 million de dollars en guise de dédommagements.

Mais qu’est-ce qui avait tant déplu aux Américains dans le clip de Like a Prayer de Madonna ?

Cette vidéo mettant en scène un jeune Afro-Américain victime d’une bavure policière, interpellé sur la scène de crime d’une femme blanche assassinée par un gang blanc, pour un meurtre qu’il n’a pas commis, est évidemment une référence aux combats de Madonna qui a toujours combattu l’ostracisme et le racisme, en particulier envers les noirs,. Pendant son expérience de new-yorkaise anonyme, elle avait intégré une communauté d’artistes et de jeunes à la marge où la couleur de peau n’était pas un argument. Elle a eu elle-même différents amitiés et mêmes liaisons passionnées avec des hommes noirs, la plus célèbre de ses histoires de l’époque reste celle avec le peintre Bastiat.

De quoi faire frémir de rage les émissaires du KKK, toujours actifs dans une Amérique où le racisme n’était pas qu’un hashtag banalisé sur les réseaux sociaux mais une réalité historique, puisque l’on se situait moins de trente ans après la fin de la ségrégation raciale dans les états sudistes.

Pour la chanteuse qui se sentait elle-même comme une outsider dans une société codée, la thématique développée dans le clip de Like a Prayer la touche dans sa chair de femme insoumise à qui l’on a toujours essayé d’imposer au forceps un code de conduite. Sa proximité avec les minorités est une évidence de lycée… Son goût pour les marginaux se retrouvera notamment dans sa fusion avec les homosexuels, hommes, mais aussi femmes.

Madonna excommuniée : blasphème, transgression et outrage

Aussi, Like a Prayer regorge de transgressions pour l’Amérique des cul-bénits qui, en 2024, porte le visage des pro-Trumps, Fox News et consorts qui vomissent encore l’artiste et la femme. Ce mini-film érige des croix en flamme et met en scène la madone embrassant un saint noir, descendu de son socle, dans une chapelle. Madonna se blesse avec un couteau et porte sur ses mains les stigmates, ceux associés à un certain Jésus (et là on ne parle pas de son divin amant brésilien)… C’est beaucoup pour une chanson dont le texte évoque l’extase amoureuse et la puissance d’un amour qui devient divin.

Jugée blasphématoire, la vidéo courrouce le Vatican. Le pape en excommunierait presque la chanteuse attaquée officiellement dans un communiqué en provenance du souverain pontife. Cet assaut médiatique en provenance d’Italie se poursuivra sur le Blond Ambition tour, len 1990, lorsque la tournée de Madonna passe par la botte italienne. Un autre paroxysme dans une carrière qui ne se lissera jamais.

Trente-cinq après, Like a Prayer, la chanson, mélange céleste de gospel et de pop aérienne, est définitivement le morceau le plus abouti de Madonna. Et forcément l’un des plus grands titres de son illustre décennie. Aussi, lorsque Ryan Reynolds compte utiliser le morceau dans Deadpool & Wolverine, qui marque le retour de la franchise après 6 ans d’absence marquée par le rachat de la Fox par Disney, l’acteur doit se soumettre à une audition auprès de la chanteuse .

Deadpool & Wolverine au Rex, illustration Frédéric Mignard

Deadpool © Marvel. All Rights Reserved

La résurrection christique de Madonna dans Deadpool & Wolverine

Madonna n’est pas prête à concéder ce morceau pour un film quelconque. Accompagné par le réalisateur Shawn Levy, l’acteur fanfaron doit convaincre la star, images de tournage non finalisées à l’appui, que son titre sera bien traité et qu’il se présente comme une pierre angulaire dans un épisode de la franchise paré pour battre des records au box-office. Like a Prayer est non seulement présente dans le film, mais le son de Madonna sert d’élément paroxysmique lors du combat épique final. Madonna, dans le verbiage métacinématographique propre au super-héros, est elle-même mentionnée dans les dialogues, comme étant un élément indestructible qui ne pouvait que rendre le combat de Deadpool et Wolverine gagnant.

Le retour de Deadpool est donc déjà gagnant au box-office, avec des préventes colossales aux Etats-Unis où l’on annonce déjà un premier week-end à plus de 160 millions de dollars, ce qui est colossal pour un film classé R, totalement irrévérencieux, à l’instar de la carrière de Madonna qui, elle-même, semble loin de tirer sa révérence, après 40 ans d’une carrière hégémonique. En effet, si Deadpool & Wolverine relance aujourd’hui la chanson, c’est loin d’être vain pour Madonna qui, à la veille de ses 66 ans, a bien besoin de rendre son catalogue visible auprès d’une jeune génération de streamers ignorante de ses pépites ou de son influence et qui considère Taylor Swift comme l’inventeuse du concept des “eras”. A l’image de l’utilisation du titre Running Up that Hill, de Kate Bush, mis en avant dans la saison 4 de Stranger Things, sur Netflix, Like a Prayer pourrait être un nouvel hymne des années 80 à scruter les charts grâce au pouvoir résurrectionnel d’Hollywood et du streaming. La prière de Madonna sera-t-elle exaucée ? Dieu seul le sait à l’heure où nous écrivons ces lignes.

Frédéric Mignard

Like a Prayer (Madonna, Patrick Leonard) – Sire/Warner Records