Péplum catastrophique, Annibal est un ratage total lié à une réalisation calamiteuse, des acteurs en roue libre et un script aberrant. A oublier.
Synopsis : Marchant sur Rome, Hannibal traverse les Alpes avec ses troupes et de nombreux éléphants. La traversée est difficile, beaucoup d’hommes meurent en cours de route, mais ils parviennent à passer la chaîne de montagnes, grâce au fait qu’Hannibal ait fait allégeance à un chef local. Arrivées en territoire romain, les troupes carthaginoises capturent Sylvia, fille de sénateur romain Fabius Maximus, et Hannibal s’en éprend. Certains de ses hommes s’y opposent et se mesurent à Hannibal qui perd un œil dans une confrontation.
Un péplum issu d’un accord entre Italiens, Américains et Yougoslaves
Critique : Il faut tout d’abord évacuer le problème du titre du film qui était bien, lors de sa sortie initiale en avril 1960, Annibal. Par la suite, lors de l’exploitation vidéo en DVD, le long-métrage a récupéré une orthographe plus conforme aux habitudes et est donc devenu Hannibal, titre très souvent utilisé de nos jours pour désigner ce péplum tourné à l’époque où les grandes épopées antiques étaient souvent synonymes de succès en salles.
Alors que le genre a été revigoré par le triomphe des Travaux d’Hercule (Pietro Francisci, 1957), le producteur italien Ottavio Poggi qui travaille pour la Liber Film réussit à mobiliser la somme de 2 500 000 $ (soit 26 260 000 $ au cours de 2023) pour tourner une œuvre sur le général carthaginois Hannibal. Il conclue notamment un accord avec la compagnie Warner Bros. qui sera chargée de distribuer le film aux Etats-Unis. Afin de mettre en œuvre cette collaboration financière, Ottavio Poggi offre les ressources des studios de Belgrade en Yougoslavie, tandis qu’il fournit le réalisateur Carlo Ludovico Bragaglia, un habitué du genre et un fidèle de la Liber Film.
Y a-t-il un réalisateur sur le plateau ?
De leur côté, les Américains envoient leurs vedettes Victor Mature et Rita Gam pour être les stars du film, tandis que le réalisateur Edgar G. Ulmer est dépêché sur place pour superviser le travail des équipes italo-yougoslaves. Pour mémoire, ce type de contrats était courant à l’époque et permettait de limiter les pertes en cas d’échec commercial. Avec deux réalisateurs à bord, le film Annibal partait donc avec de bonnes bases. Mais comme l’ont souvent signalé les techniciens italiens interrogés à ce propos, les Américains ont souvent apposé leur nom sur des œuvres qu’ils n’ont supervisé que de très loin. Nous n’avons pas trouvé de document permettant d’affirmer la même chose pour Annibal, mais au vu du résultat final, on peut se demander si un seul réalisateur était présent sur le set.
Le problème d’Annibal vient déjà de son script construit à l’envers. Effectivement, le film commence directement par les séquences les plus spectaculaires, à savoir la traversée des Alpes par les troupes du général carthaginois pour venir envahir Rome. Durant une vingtaine de minutes, les auteurs se concentrent sur cet épisode imposant sans même avoir pris le temps de présenter le personnage d’Hannibal. De fait, la multiplication de moments forts tombe totalement à plat par cette absence de protagoniste principal et d’enjeu dramatique clairement posé.
Des milliers de figurants… qui ne savent pas quoi faire!
Ce n’est qu’ensuite que les auteurs prennent enfin la peine de définir leur histoire. Au lieu d’offrir au spectateur un crescendo bien maîtrisé, Annibal ne cesse de décevoir en cours de route pour se terminer en queue de poisson, laissant le spectateur orphelin d’une grande séquence de bataille finale. Visiblement peu inspirés, les deux réalisateurs n’ont pas su optimiser les importants moyens à leur disposition. Ainsi, les batailles ont beau être menées par des milliers de figurants, ceux-ci ne sont visiblement pas dirigés. Les affrontements semblent alors d’une incroyable mollesse, tandis que les acteurs ne font même pas mine de se battre en arrière-plan. Parfois, les coups donnés sont portés à plusieurs centimètres du visage des antagonistes, comme si la répétition générale avait été filmée pour atterrir dans le film.
Malgré un nombre conséquent de séquences d’action, Annibal se révèle terriblement ennuyeux car dépourvu du moindre souffle épique, et ceci malgré des charges d’éléphants. La faute en revient bien entendu à la mise en scène, particulièrement ratée et incapable de sublimer les moyens engagés, mais aussi à l’interprétation plutôt médiocre de l’ensemble du casting. Victor Mature est plus monolithique que jamais et il arbore une chevelure teinte qui tente vainement de dissimuler son âge avancé.
Les éléphants, bien meilleurs à l’écran que les acteurs
Rita Gam fait une jeune fille au jeu extrêmement fragile, tandis que Gabriele Ferzetti mime la gestuelle de sir Laurence Olivier auquel il ressemble beaucoup, mais sans en avoir le talent. Les amateurs de bis noteront également la présence au générique de Mario Girotti (futur Terence Hill) et de Carlo Pedersoli (futur Bud Spencer) qui n’ont pourtant aucune scène commune. Si le premier est très présent à l’écran, le second n’apparaît qu’une seule minute et demeure quasiment méconnaissable. Il faudra pourtant attendre plus de huit ans pour que le duo se forme et devienne l’un des plus populaires de la comédie italienne.
Pour le moment, rien ne fait vraiment rire dans Annibal qui souffre en outre d’un montage qui tient du charcutage pur et dur. Précisons que nous avons visionné la version américaine qui est la plus longue. Cela n’empêche nullement les sauts temporels étranges et les coupes franches. Même le musicien Carlo Rustichelli semble complètement paumé et la musique qu’il a composée semble ajoutée aux images de manière aléatoire. Elle confine parfois à la bouillie sonore à cause d’un mixage aberrant. Tout ceci fait donc d’Annibal un carnage qui n’a plus rien d’historique, mais qui nous ramène tout droit du côté du nanar involontaire.
Une sortie française face à La charge des Cosaques
Sorti en salles aux Etats-Unis, le film fut un échec largement mérité. En France, le métrage a débarqué dans les salles le vendredi 29 avril 1960, devant notamment affronter La charge des Cosaques (Riccardo Freda, 1959) avec Steve Reeves qui visait exactement le même public. L’avantage a été initialement au film de Freda, mais Annibal se situe juste derrière avec 34 290 Franciliens dans les salles pour sa semaine d’investiture. Logiquement, le péplum a chuté en seconde semaine à 16 559 Carthaginois, pour 50 849 spectateurs, dans un circuit de 4 écrans (le Napoléon, le Caméo, le Lynx, et l’Eldorado). Après cette première exclusivité, le film sera retiré de l’affiche pour tourner en province et reviendra dans les salles parisiennes régulièrement où il génèrera 253 920 tickets Paris Périphérie (chiffre global, toutes exploitations confondues).
En France, le film débute sa carrière avec 173 572 tickets. En fait, le métrage a fait la tournée des villes et villages durant de longs mois, cumulant ainsi chaque semaine autour de 30 000 entrées. Ainsi, au début du mois de juin, il cumule déjà 300 000 entrées. Cela permet notamment de relancer sa carrière et d’injecter des copies supplémentaires en début d’été. C’est notamment fin juin que le métrage connaît un nouveau départ promotionnel avec une belle place de numéro 1 du box-office français (semaine du 28 juin 1960). Il se maintient à cette place de choix durant deux semaines qui portent le film vers les 500 000 entrées. Plutôt une jolie carrière au vu du médiocre produit fini.
Un bain de jouvence promotionnel dans les années 80
Depuis cette époque, Annibal a été exploité à nouveau par Columbia et Metropolitan Filmexport au milieu des années 80 avec une nouvelle affiche entièrement conçue par Melki, afin d’exploiter la popularité de Terence Hill, devenu une star entre temps. Le visuel flamboyant permettait de vendre du rêve à un jeune public et de gonfler les chiffres d’exploitation du film à 1 665 440 entrées. Contrairement à la ressortie prestigieuse du Colosse de Rhodes de Sergio Leone, également avec une affiche de Melki, Annibal ne se représentera qu’en province.
Durant la même décennie, en 1983, l’éditeur culte Hollywood Vidéo, déjà fort des éditions vidéo du Cid, La chute de l’empire romain, et Les 55 jours de Pékin, l’intègre dans son catalogue de classiques, en parallèlement à ses sorties d’épouvante comme Creepshow ou Evil Dead.
Depuis, le piteux péplum a eu le droit à deux résurrections en DVD en 2008 et 2021. Il circule désormais sur différentes plateformes de streaming et de VOD. Pourtant, l’œuvre est loin d’être un bijou égaré du septième art.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 27 avril 1960
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