Comédie du verbe épicé, Tenue de soirée se plaît à bousculer les clichés du marivaudage bourgeois dans un grand bain libertaire qui fait du bien. Souvent hilarant.
Synopsis : Antoine est amoureux de la froide Monique qui le rabroue en permanence. Alors Antoine confie son désespoir à son copain Bob qui l’écoute avec beaucoup d’intérêt, car il est amoureux d’Antoine. C’est ainsi que débute cette histoire d’amour…
Michel Blanc remplace Patrick Dewaere, disparu trop tôt
Critique : Bertrand Blier a commencé l’écriture d’une première version de Tenue de soirée au tout début des années 80, dans l’optique de réunir à nouveau son trio à succès des Valseuses (1974), à savoir Gérard Depardieu, Miou-Miou et Patrick Dewaere. Malheureusement, le projet est remisé au placard par la disparition soudaine de Dewaere qui se suicide en 1982. Finalement, après la déception commerciale de l’ambitieux mais inégal Notre histoire (1984), Bertrand Blier ressort de ses tiroirs ce projet et cherche à remplacer Patrick Dewaere. Après avoir envisagé pendant un temps Bernard Giraudeau, le cinéaste s’oriente vers un acteur totalement différent en la personne de Michel Blanc.
Ce dernier était avant tout considéré comme un comique après ses succès répétés avec les membres du Splendid, mais également en solitaire sous la direction de Patrice Leconte, ou encore avec son triomphe personnel, Marche à l’ombre (1984). Pourtant, en ce milieu de décennie, Michel Blanc ressent le besoin de se diversifier et accepte donc le défi que représente Tenue de soirée (1986). Tout d’abord, il y brise son image de comique populaire, en profite pour raser sa célèbre moustache et opère donc une mue artistique qui sera largement confirmée par la suite avec des prestations comme celle de Monsieur Hire (Leconte, 1989).
Tenue de soirée fait voler en éclats les convenances
Il est associé ici à deux acteurs davantage habitués à l’univers déjanté de Bertrand Blier, dont un Gérard Depardieu impérial et qui prend lui aussi tous les risques puisqu’il y incarne un bisexuel qui vient bouleverser l’existence d’un petit couple classique incarné par Michel Blanc et Miou-Miou. Tel le personnage mystérieux de Théorème (Pasolini, 1968), Depardieu vient bousculer le train-train un rien conventionnel de deux personnages qui se laissent tour à tour séduire par cette tornade anticonformiste. Au passage, Blier en profite pour déconstruire le marivaudage classique d’un certain théâtre français (les références à la scène sont sans aucun doute volontaires de la part de Blier) pour faire voler en éclats les convenances.
Le plus bel atout de Tenue de soirée – outre des dialogues d’une vulgarité largement assumée – est de proposer une réelle histoire d’amour qui ne s’embarrasse pas de bienséance. A aucun moment l’homosexualité des personnages n’est posée comme problématique, mais bien comme l’expression d’une liberté sexuelle totalement consciente. Certes, le personnage de Michel Blanc résiste à la tentation au début, mais il ne lui faut pas beaucoup de temps pour succomber au charme de Depardieu. La misogynie de certains dialogues ne doit pas tromper, puisqu’elle ne sert qu’à provoquer et à susciter une réaction de la part des spectateurs. En réalité, la femme, si elle peut être parfois rabaissée, est vue comme l’avenir de l’homme comme nous l’indique ce final plutôt original où les trois héros finissent sur le trottoir (les deux hommes étant travestis).
Des acteurs au service de dialogues savoureux
Dans ce grand bal des sentiments contradictoires, les acteurs sont magnifiques et porteurs de dialogues ciselés et très littéraires. Depardieu est impérial, Miou-Miou lui donne la réplique avec gourmandise, tandis que Michel Blanc se révèle remarquable dans un rôle difficile qui lui a d’ailleurs valu le Prix du meilleur acteur au festival de Cannes 1986 (ex æquo, avec Bob Hoskins pour Mona Lisa). Le trio est soutenu par des complices de premier ordre qui viennent ponctuer le film par leurs apparitions souvent savoureuses. On adore notamment le couple échangiste formé par Jean-Pierre Marielle et Caroline Silhol ou encore le vieil amateur d’art homosexuel campé par un Bruno Cremer à contre-emploi.
Si la réalisation fait la part belle aux comédiens, elle n’oublie pas de soigner les décors, plutôt modernes, ainsi que l’ambiance musicale (bonne partition de Serge Gainsbourg en mode Gainsbarre). Toutefois, on peut reprocher au film son manque d’audace sur le plan formel – si l’on excepte ses ellipses parfois étonnantes – par rapport à des œuvres plus travaillées comme Buffet froid (1979) ou Trop belle pour toi (1989). On peut également regretter un dernier quart d’heure un peu moins convaincant, laissant le sentiment que Bertrand Blier ne savait pas trop comment terminer son long-métrage.
Un beau succès de scandale, soutenu par une affiche marquante
Cette parenthèse plus commerciale de Bertrand Blier a été brillamment vendue par une campagne d’affichage tapageuse qui a fait couler beaucoup d’encre. Sur l’affiche s’étale ainsi un énorme slogan (Putain de film !) qui écrase les interprètes, ainsi que le titre du film. Non seulement la vulgarité de l’accroche a beaucoup choqué à l’époque, mais elle a parfois occulté le véritable titre du long. L’opération a toutefois été largement réussie puisque le long-métrage a été un triomphe en cumulant plus de 3,1 millions d’entrées sur toute la France. Il s’agit ainsi du deuxième plus gros succès de Bertrand Blier au box-office, derrière Les valseuses bien évidemment.
Non seulement Bertrand Blier a convaincu la plupart des critiques, mais il a retrouvé un écho populaire qui lui a permis d’envisager des projets plus délicats à mener comme son superbe Trop belle pour toi qui sera un autre succès à la fin des années 80. Vu de notre époque si moralisatrice, le triomphe obtenu par Tenue de soirée semble totalement surréaliste, tant il bouscule les consciences à longueur de dialogue. Il s’agit donc d’une bouffée d’air frais libertaire à ne pas négliger.
Critique de Virgile Dumez