Typique du cinéma issu du Nouvel Hollywood, Stay Hungry confronte deux mondes opposés dans un ensemble hétérogène par le ton, alternant moments dramatiques et passages loufoques dans un grand bordel assumé. Inégal, mais pas inintéressant.
Synopsis : Craig Blake est un jeune homme du Sud, né dans une famille aisée, mais laissé seul et oisif après la mort de ses parents dans un accident d’avion. Il passe son temps à pêcher, chasser et bricoler dans sa grande maison familiale à Birmingham, en Alabama, habitée uniquement par lui-même et un majordome. Blake est employé dans une entreprise d’investissement douteuse dirigée par un escroc rusé nommé Jabo. On lui demande de s’occuper de l’achat d’une petite salle de sport que la société achète pour faire place à un immeuble de bureaux. Il rencontre Joe Santo qui prépare son entraînement pour le titre de Mister Univers…
Bob Rafelson, pape du Nouvel Hollywood
Critique : A la fin des années 60, le producteur et cinéaste Bob Rafelson est l’un des fers de lance de ce que l’on a coutume d’appeler le Nouvel Hollywood. Effectivement, il est le fondateur de la compagnie de production Raybert Productions qui a financé Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), mètre-étalon du cinéma d’auteur qui a bouleversé l’écosystème hollywoodien par son triomphe inattendu. Dans la foulée, Bob Rafelson a signé son deuxième long métrage de fiction avec Five Easy Pieces (1970) mené par Jack Nicholson et qui rencontre également un très gros succès aux Etats-Unis.
Motivé par ces belles réussites, Rafelson poursuit immédiatement avec The King of Marvin Gardens (1972) qui ne retrouve que partiellement les qualités de son prédécesseur malgré la présence magnétique de Nicholson. Cette fois, l’échec est au tournant et Bob Rafelson entame une période de doute durant laquelle il prépare un film sur l’esclavage qui ne se fera finalement pas. C’est à cette époque qu’un ami lui fait parvenir le roman Stay Hungry de Charles Gaines publié peu de temps avant et connaissant un gros succès. A priori l’univers du culturisme qui est décrit dans le livre n’intéresse guère Rafelson, mais il est davantage séduit par la peinture qui est faite de la vieille aristocratie sudiste et se propose de rencontrer l’auteur afin de voir si un terrain d’entente est possible.
Un premier vrai rôle dramatique pour Arnold Schwarzenegger
Effectivement, Bob Rafelson ne s’engage sur l’adaptation qu’à la condition de pouvoir modifier de nombreux éléments du bouquin, et notamment sa fin tragique qui ne correspond pas à son état d’esprit du moment. Ainsi, après avoir réalisé plusieurs films dramatiques, Rafelson souhaite inclure davantage de légèreté dans son prochain ouvrage. Avec l’accord de l’écrivain avec qui il travaille, Bob Rafelson parvient à ses fins et se lance donc dans cette aventure en recrutant des jeunes acteurs qui montent comme Jeff Bridges ou Sally Field.
Dans le rôle central de Joe Santo, le culturiste un peu gourou, Rafelson parvient à convaincre ses producteurs associés d’engager Mr. Univers himself, à savoir Arnold Schwarzenegger. Ce dernier n’est alors connu que d’un petit cénacle de passionnés de culturisme, une sous-culture alors regardée de haut par l’intelligentsia qui ne comprend rien à cette pratique, souvent associée à l’homosexualité (sic) dans l’imaginaire de l’époque.
Stay Hungry ou l’opposition entre deux mondes
Rafelson obtient d’ailleurs le meilleur de la part du culturiste débutant affublé d’un accent à couper au rasoir. Il le force à apprendre à jouer du violon pour une scène musicale étonnante, tout en lui donnant confiance quant à ses capacités face à la caméra. Et de fait, le géant autrichien est de loin l’une des attractions les plus savoureuses de Stay Hungry. Il s’y révèle plutôt bon acteur et possède déjà un extraordinaire charisme à l’image.
Si l’on excepte les séquences plutôt excellentes liées à l’univers du culturisme, Stay Hungry possède toutes les qualités, mais aussi les défauts, de ce cinéma du Nouvel Hollywood se moquant comme d’une guigne des conventions narratives. Donnant souvent l’impression d’être improvisé, le scénario suit ici l’évolution d’un fils héritier d’une bonne famille du vieux Sud qui s’ennuie à mourir dans sa vie de patachon. Pour tromper cet ennui, il décide de se confronter au petit peuple, d’abord par l’intermédiaire d’escrocs – très bon Joe Spinell – puis par l’intermédiaire des culturistes dont il découvre les pratiques et les solidarités.
Comme un air de Hal Ashby
Dès lors, le long métrage ne va avoir de cesse de confronter deux mondes irréconciliables puisque le personnage joué par Jeff Bridges tente vainement de mêler les deux univers. Bob Rafelson n’est tendre avec aucun des deux puisque l’aristocratie sudiste (nous sommes à Birmingham en Alabama) apparaît dans toute sa vacuité, son racisme ordinaire et sa supériorité de classe (du moins supposée). De l’autre côté, le monde du culturisme est décrit avec davantage d’empathie, même si certains personnages s’avèrent détestables comme le patron libidineux du club d’haltérophilie incarné par R.G. Armstrong. Si le protagoniste fait d’abord sourire avec sa perruque mal ajustée, il devient carrément abject lors de sa tentative de viol sur la pauvre Sally Field.
Assurément efficace dans sa description d’un microcosme qui est plutôt étranger au public français, Stay Hungry s’apparente également aux films d’auteurs comme ceux de Robert Altman ou Hal Ashby en n’adoptant pas une narration fluide. Les scènes se suivent sans aucune logique tonale, passant allègrement de la chronique sentimentale au drame et à la comédie loufoque (la course en ville des bodybuilders reprise du livre) en seulement une scène. Le montage donne également l’impression d’avancer cahin-caha au point de ralentir dangereusement le rythme.
Un échec commercial plutôt compréhensible
De cette volonté de déstabiliser constamment le spectateur nait le sentiment d’un film déstructuré et passablement long. En tout cas, la réalisation de Bob Rafelson n’est pas suffisamment maîtrisée pour donner le sentiment d’être face à une œuvre majeure du répertoire du Nouvel Hollywood. Même au sein de la filmographie du bonhomme, Stay Hungry n’est aucunement un morceau de choix et ressemble finalement beaucoup à The King of Marvin Gardens que l’on n’apprécie pas forcément beaucoup.
D’ailleurs, Stay Hungry n’a connu aucun succès en salles aux Etats-Unis lors de sa sortie en 1976, avec des critiques très partagées à son encontre. Au vu de cette date, on peut même dire que le long métrage referme la page si passionnante du Nouvel Hollywood, même si certains font remonter son arrêt de mort définitif à la sortie de La porte du paradis (Michael Cimino, 1980).
Stay Hungry ou l’extinction progressive du Nouvel Hollywood
Cet échec a condamné Stay Hungry à une sortie confidentielle en France à partir du mercredi 5 avril 1978. Sorti la même semaine que le phénoménal La fièvre du samedi soir (John Badham, 1977), Stay Hungry n’a été diffusé que dans un parc de salles réduit et n’a mobilisé que 37 401 fans de culturisme dont 25 472 sur la seule capitale. Autant dire des miettes qui expliquent pourquoi le métrage est resté méconnu jusqu’à nos jours. Sans aucune VHS ou autre support vidéo, Stay Hungry est exhumé en 2024 pour un tout nouvel éditeur ambitieux qui le propose dans un superbe Mediabook. Un beau pari pour une première sortie.
On notera enfin que malgré l’échec commercial du film, tous ses participants ont continué des carrières brillantes puisque Jeff Bridges a enchaîné avec le tournage de King Kong (John Guillermin, 1976), Sally Field avec Norma Rae (Martin Ritt, 1979), Schwarzenegger devra patienter jusqu’à Conan le barbare (John Milius, 1982) pour devenir une star mondiale, Robert Englund sera le Freddy de Les griffes de la nuit (Wes Craven, 1984) et enfin Bob Rafelson se reconvertira au cinéma hollywoodien plus traditionnel avec le remarquable Le facteur sonne toujours deux fois (1981). Stay Hungry peut donc être vu comme une parenthèse dans les carrières de ses créateurs.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 5 avril 1978
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Biographies +
Arnold Schwarzenegger, Jeff Bridges, Sally Field, R.G. Armstrong, Scatman Crothers, Robert Englund, Joe Spinell, Bob Rafelson, Franco Columbu, Richard Gilliland
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Les films du Nouvel Hollywood, Films sur le sport, Comédie dramatique
du Nouvel Hollywood