Par son intrigue bouleversante, sa sensualité à fleur de peau, sa noirceur de chaque instant et ses acteurs au diapason, Monsieur Hire est un must du cinéma français de la fin des années 80.
Synopsis : Monsieur Hire vit depuis des années dans le même appartement, ni pauvre ni riche. Il attend. Alice, qui loge dans un studio juste en face, se rend brusquement compte qu’il l’observe depuis des mois. Il sait tout d’elle et en tombe amoureux, alors qu’Alice est éprise d’Emile et prête à tout pour le protéger. Pendant ce temps, le corps d’une jeune fille est retrouvé assassiné…
Patrice Leconte, de la comédie au drame le plus sombre
Critique : Après avoir tourné un nombre considérable de comédies truculentes, le cinéaste Patrice Leconte amorce un virage plus dramatique avec Tandem (1987) qui réunit un duo bouleversant interprété par Jean Rochefort et Gérard Jugnot et veut confirmer cette tendance avec son prochain long métrage. Ayant découvert le formidable film Panique (1947) de Julien Duvivier adapté du roman Les fiançailles de M. Hire de Georges Simenon, Leconte désire en confectionner un remake.
Le producteur Philippe Carcassonne lui conseille de lire le livre d’origine et dès lors, le cinéaste choisit d’en faire une nouvelle adaptation, bien plus personnelle que celle de Duvivier. Travaillant avec le scénariste Patrick Dewolf, il gomme peu à peu l’intrigue policière au profit de l’histoire d’amour tragique entre M. Hire et sa voisine. Procédant à des coupes sombres, le réalisateur prend le parti d’épurer au maximum son film, au demeurant très court.
Monsieur Hire ou le sens profond de l’épure
D’une beauté tragique bouleversante, Monsieur Hire (1989) ne s’embarrasse jamais de superflu et sait aller droit à l’essentiel : chaque scène sert à mieux définir les personnages, tout en privilégiant les non-dits. Dans l’impossibilité de situer exactement le lieu et l’époque de l’action, le spectateur se laisse uniquement prendre par les relations troubles qui unissent ou séparent les personnages.
Servis par des dialogues très écrits, les comédiens font des merveilles : Michel Blanc trouve là son meilleur rôle, à mille lieues de ses personnages de petits nerveux hypocondriaques. A la fois d’une implacable froideur et furieusement attachant, il compose une figure blafarde marquée par le rejet des autres, sorte de M le maudit dont la culpabilité semble trop évidente. Il est soutenu par une Sandrine Bonnaire radieuse, trop innocente pour être tout à fait honnête. Leur relation est tout simplement bouleversante.
De l’art de la sensualité à l’écran
Avec un soin maniaque proche du fétichisme, le cinéaste multiplie les séquences sensuelles dans tous les sens du terme : sensible aux odeurs, M. Hire n’a de cesse de respirer le parfum de sa bien-aimée, tandis qu’il la regarde au loin. La séquence qui résume à elle seule tout le métrage est celle du match de boxe. Tandis que le combat fait rage et qu’une violence terrible se déchaîne sur le ring, M. Hire caresse tendrement Alice dans un flot érotique particulièrement troublant. Ce contraste entre pulsions morbides et désir amoureux fait tout le sel de ce chef-d’œuvre romantique et pessimiste à la fois.
Et que dire de l’exceptionnelle partition de Michael Nyman qui, après ses compositions théoriques et mathématiques pour Peter Greenaway, explore ici une voie plus romantique anticipant ses créations futures – notamment pour La leçon de piano (Jane Campion, 1993) ? L’air de rien, avec une sensibilité à fleur de peau, Patrice Leconte signe ici une des plus belles œuvres françaises de la fin des années 80 et sans contestation possible le meilleur opus de sa longue filmographie.
Monsieur Hire à Cannes
Dans son autobiographie Je suis un imposteur (2000), Patrice Leconte relate le passage du film à Cannes en ces termes :
Monsieur Hire fut sélectionné à Cannes. Au-delà de l’importance médiatique immédiate, cette prestigieuse marque d’estime signifie une importante promotion internationale. Mis à part les pays limitrophes, je n’étais pas, avant cette présentation, connu à l’étranger. Monsieur Hire sortant au Japon, aux Etats-Unis, un peu partout ailleurs, les distributeurs mondiaux se sont intéressés aux films à venir, notamment au Mari de la coiffeuse qui connut une éblouissante carrière internationale. […] Monsieur Hire fut très applaudi au Festival, j’en ai encore des frissons.
Porté par des critiques enthousiastes, Monsieur Hire arrive dans les salles françaises juste après la clôture du festival de Cannes, le mercredi 24 mai 1989. Pour sa première semaine, le long métrage dramatique ne parvient pas à accéder à la première place hebdomadaire sur Paris puisque Trop belle pour toi (Bertrand Blier) squatte encore la pole position en troisième semaine. A noter que ce long métrage permettait de présenter au grand public une autre vedette du Splendid dans un rôle dramatique, ici Josiane Balasko.
Le box-office parisien du film
A Paris, Michel Blanc entre donc en deuxième place hebdomadaire avec 46 617 curieux répartis dans les 29 salles qui accueillent le drame policier. Pour sa deuxième semaine, Monsieur Hire conserve ses salles et ses spectateurs avec 48 661 retardataires, ce qui permet au long métrage d’approcher les 100 000 spectateurs. Pendant ce temps, Trop belle pour toi continue la course en tête au sein d’un box-office français aussi dépressif que le personnage principal du Patrice Leconte. Nous sommes alors en pleine crise du cinéma et les salles demeurent désespérément vides.
Où voir Monsieur Hire à Paris en première semaine ?
Le chef d’œuvre de Patrice Leconte irradie dans 29 cinémas. En intra-muros, on peut le voir à l’UGC Normandie/Biarritz/Lyon/Bastille/Gobelins/Maillot/Montparnasse/Odéon/Convention, au 14 Juillet Beaugrenelle, au Ciné Beaubourg, à la Pagode, au Nation, Mistral, Gaumont les Halles, au Rex et au Pathé Wepler. Rien qu’à l’UGC Odéon, l’on dénombre pas moins de 3 912 spectateurs. Aucun écran parisien affiche moins de 1 200 spectateurs par copie.
En troisième septaine, Monsieur Hire tient bon avec encore 32 347 dépressifs supplémentaires et ce n’est qu’au bout d’un mois que le métrage donne des signes de fatigue, approchant les 150 000 tickets vendus. Le film connaît un léger sursaut grâce à la fête du cinéma et s’approche ainsi des 200 000 entrées dans la capitale. Il survit à un été 89 catastrophique où l’on célèbre le soleil (été caniculaire) et le bicentenaire de la Révolution française. A la fin du mois d’août, en 14e semaine, le film UGC cumule encore 3 732 spectateurs dans 4 salles du groupe, dont 1 050 tickets vendus à l’UGC Odéon. La classe. Monsieur Hire finit sa carrière avec 238 734 Franciliens dans sa poche à l’issue d’une honorable 20e semaine à l’UGC Biarritz où il écoule encore 764 tickets.
Et sur la France ?
Sur la France entière, le polar romantique et sombre séduit moins et n’entre qu’en 4ème position fin mai 1989 (82 424 entrées). Il doit notamment s’incliner devant Trop belle pour toi déjà mentionné, mais aussi devant les continuations de Rain Man, le drame sur l’autisme de Barry Levinson avec Dustin Hoffman et Tom Cruise (qui dépasse les 5 millions de tickets) et d’Après la guerre (Jean-Loup Hubert) avec Richard Bohringer.
La semaine suivante, Michel Blanc pavane avec des entrées en nette augmentation grâce à une combinaison plus large et 95 987 retardataires. Au bout d’un mois, le polar trouble approche des 300 000 tickets. Début juillet, c’est la barre des 400 000 qui est franchie. Soutenu par son distributeur UGC, Monsieur Hire est maintenu à l’affiche durant tout l’été et passe la barre des 500 000 entrées au début du mois d’août, preuve d’un impeccable bouche à oreille. Increvable, le voyeur est toujours à sa fenêtre durant l’intégralité du mois de septembre 1989 et parvient ainsi à finir sa carrière avec 608 468 complices à son compteur.
Peu d’éditions vidéo pour une œuvre essentielle
Après une unique sortie VHS chez Film Office en 1991, d’obscurs problèmes de droits ont empêché la ressortie vidéo de l’œuvre pourtant la plus célébrée de son auteur pendant près de 15 ans. Patrice Leconte lui-même s’en désolait dans les entretiens qu’il accordait alors aux journalistes. La situation s’est débloquée en 2006 avec la première sortie du film en DVD chez Pathé. L’éditeur a réitéré avec un blu-ray collector édité en 2020.
Monsieur Hire demeure à la fois le plus beau film de Patrice Leconte, mais également l’une des plus belles prestations du regretté Michel Blanc.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 24 mai 1989
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Biographies +
Patrice Leconte, Michel Blanc, Sandrine Bonnaire, André Wilms, Luc Thuillier, Cristiana Reali, Philippe Dormoy
Mots clés
Cinéma français, Les histoires d’amour malheureuses au cinéma, La manipulation au cinéma, Cannes 1989, César 1990