L’œil du labyrinthe est un faux giallo qui s’apparente davantage aux thrillers psychologiques d’Hitchcock et de Chabrol qu’aux délires baroques d’Argento. Mario Caiano y déploie un indéniable savoir-faire, parfois malmené par un script écrit sur un coin de table.
Synopsis : Julie, une jeune femme rêve que Luca Berti son psychiatre et amant se fait assassiné. A son réveil, elle s’aperçoit qu’il a vraiment disparu. Julie part à sa recherche et termine son enquête dans une villa où le Docteur Berti semble avoir séjourné. Elle y fait la connaissance d’individus tous plus louches les uns que les autres…
Un giallo plus proche du thriller à machination des années 60
Critique : Artisan modeste du cinéma italien, Mario Caiano (1933-2015) a tourné un certain nombre de produits dans des genres très différents et ceci en fonction des modes du moment. Il s’attèle pour la première fois au giallo avec L’œil du labyrinthe qu’il tourne en 1972 alors que la trilogie animalière de Dario Argento vient de triompher. Cet opus est d’ailleurs resté son unique incursion dans un genre qu’il ne semble pas priser particulièrement. En réalité, ce long-métrage se rattache au giallo de manière très indirecte – et sans doute de manière artificielle afin de coller aux goûts du public de ce début des années 70.
On y trouve bien une première séquence de meurtre avec tueur ganté de noir et armé d’un couteau bien affuté, mais cette scène inaugurale se révèle rapidement être un rêve, ou peut-être une vision fantasmée d’un événement réel. Par la suite, le tueur en question disparaîtra des écrans pour céder sa place à des tentatives de meurtre avortées à coup de harpon. Autre concession au giallo, la résolution du mystère passe par une œuvre picturale dans laquelle un détail accuse le meurtrier.
Thriller sous haute influence psychanalytique
Pour le reste, L’œil du labyrinthe s’apparente davantage à un thriller hitchcockien comme les Italiens en ont produit beaucoup à la fin des années 60. Finalement proche du triptyque d’Umberto Lenzi avec Carroll Baker (Orgasmo, Si douces, si perverses et Paranoïa en 1969-1970), ce polar aux velléités psychanalytiques reprend quasiment à l’identique un cadre méditerranéen ensoleillé, une villa luxueuse occupée par des bourgeois qui sont autant de suspects potentiels et même une esthétique colorée quelque peu anachronique en 1972 (le film ressemble à s’y méprendre à une œuvre des années 60, faisant l’impasse sur les évolutions récentes du genre).
Si l’on excepte l’usage intempestif du zoom, Mario Caiano filme avec beaucoup de rigueur et de savoir-faire son polar labyrinthique. Il multiplie par exemple les cadrages savants, jouant à fond avec les architectures et les lignes de fuite, le tout en utilisant fréquemment le grand angulaire.
Un film d’ambiance avant tout
Totalement sous influence d’Alfred Hitchcock époque Marnie, Psychose et Sueurs froides, Mario Caiano fait de son long-métrage une longue introspection d’une psyché désordonnée où les actes manqués de l’héroïne sont autant de signes nous livrant à l’avance la clé de l’énigme. Malgré des indices bien visibles, le spectateur reste surpris par le twist final, ce dernier établissant enfin un lien logique entre toutes les séquences. Par contre, cette révélation implique un nécessaire piétinement de l’intrigue en cours de route, faisant de la projection un long tunnel, parfois quelque peu ennuyeux. L’amateur de meurtres sadiques pourra donc passer son chemin puisque L’œil du labyrinthe est davantage une œuvre chabrolienne où l’ambiance et la lenteur comptent davantage que la tension.
Il faut dire que malgré un casting séduisant sur le papier, le film a du mal à se remettre du manque de charisme évident de son actrice principale. La jolie Rosemary Dexter (qui abandonna le métier d’actrice seulement trois ans plus tard) n’a clairement pas les épaules d’un rôle aussi complexe et échoue à nous faire ressentir le trouble de son personnage. Pourtant, elle est encadrée par des vétérans aux capacités plus évidentes. On retrouve ainsi l’excellent Adolfo Celi (vu dans Opération tonnerre, Danger : Diabolik, Holocaust 2000) dans un emploi de personnage inquiétant qui lui va à merveille.
Focus sur la haute bourgeoisie décadente
Il partage plusieurs scènes avec la grande Alida Valli, actrice de Visconti qui tournait essentiellement dans des œuvres prestigieuses avant d’accepter des rôles pervers dans des films plus populaires. Elle a brillé ensuite dans Suspiria et Inferno d’Argento, tandis qu’on la remarqua aussi dans L’antéchrist, Lisa et le diable ou La petite sœur du diable. Elle incarne ici un personnage proche de celui interprété par Ava Gardner dans La nuit de l’iguane, à savoir une cougar qui règne sans partage sur une cour composée de bourgeois décadents.
Finalement davantage une analyse des dérives d’une société bourgeoise en perte de repères moraux, L’œil du labyrinthe ne se conforme pas vraiment aux canons d’un genre précis et prend une sorte de tangente quelque peu auteurisante, comme l’atteste l’omniprésence d’une musique jazzy visiblement improvisée signée Roberto Nicolosi en lieu et place des ritournelles à la Morricone généralement associées au genre. Le résultat est donc inégal, à la fois enthousiasmant par ses entorses à la norme et passablement ennuyeux par ses trous d’air narratifs.
L’œil du labyrinthe ne serait sorti qu’en province, et plus particulièrement dans le sud de la France, que deux ans après sa diffusion italienne, soit à la fin juin 1974. Toutefois, il a surtout fait l’objet d’une VHS chez Delta Vidéo éditée en 1983. Plus récemment, c’est le valeureux éditeur Artus qui nous offre une édition sympathique du métrage dans sa collection consacrée au giallo.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 juin 1974
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