Les Anarchistes ou la bande à Bonnot est une œuvre historique portée par des acteurs inspirés, mais qui se hisse avec peine au niveau d’un téléfilm de luxe. La faute à une réalisation quelque peu laborieuse.
Synopsis : Dans les années 1910, sous l’influence de Jules Bonnot, quatre anarchistes convaincus, Raymond-la-science, Garnier, Carouy et Soudy, choisissent la violence pour attaquer la société bourgeoise et faire triompher leurs idées révolutionnaires. Lancé à leurs trousses, Jouin, sous-chef de la sûreté, les traque sans relâche…
Un film contestataire, en phase avec son époque
Critique : Assistant réalisateur apprécié des membres de la nouvelle vague, Philippe Fourastié a travaillé avec Jean-Luc Godard sur Pierrot le fou (1965) ou encore Jacques Rivette sur Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot (1966), ce dernier ayant eu des problèmes avec la censure. A la même époque, le jeune homme cherche à retranscrire l’équipée anarchiste de la bande à Bonnot dans un film, mais les financements sont difficiles à réunir. Entre-temps, Philippe Fourastié signe un premier long-métrage intitulé Un choix d’assassins (1967) qui ne rencontre pas le succès, mais qui rassure les investisseurs sur sa capacité à mettre en scène un film puisque les critiques furent globalement positives.
Produit par Jean-Paul Guibert qui a souvent travaillé pour le compte de Jean Gabin, Les Anarchistes ou la bande à Bonnot (1968) a reçu le soutien de Bruno Cremer qui a connu Fourastié sur le tournage de La 317ème section (Schoendoerffer, 1965). Celui-ci endosse donc le rôle du truand Jules Bonnot. Face à lui, Fourastié parvient à embaucher Jacques Brel qui vient tout juste de triompher au cinéma dans Les risques du métier (Cayatte, 1967). Le cinéaste complète son casting par la présence féminine d’Annie Girardot et celle du soixante-huitard Jean-Pierre Kalfon. On notera d’ailleurs que cette troupe est quasiment identique à celle entrevue dans le film Les gauloises bleues (Cournot, 1968), tourné la même année.
La bande à Bonnot et son tournage en plein mai 68
Il faut dire que les prises de vues de La bande à Bonnot ont été quelque peu troublées par les événements de mai 68, d’autant qu’une large majorité de l’équipe était favorable à ce mouvement révolutionnaire. Même si La bande à Bonnot demeure une œuvre historique qui cherche à retranscrire au mieux l’épopée de ce groupe anarchiste des années 1910, certains éléments rappellent le contexte mouvementé de son année de création. Ainsi, la coupe de cheveux de Jean-Pierre Kalfon semble un peu déplacée dans le contexte du début du siècle.
Alors que le début du long-métrage expose de manière assez pédagogique l’idéologie libertaire sous-tendue par l’anarchisme, laissant apparaître la sympathie du réalisateur pour cette forme de contestation de l’autorité, la suite est davantage nuancée. Effectivement, le cinéaste précise bien qu’un homme comme Raymond la Science (interprété avec beaucoup d’entrain par un Jacques Brel très à l’aise) agit essentiellement par défi envers les autorités et par volonté d’imposer son idéologie. Certes, il s’avère aussi un tueur redoutable et dangereusement instable, mais ses actes sont guidés par un idéal.
Ni Dieu, ni maître!
A l’inverse, Jules Bonnot est avant tout décrit comme un truand implacable et sans sentiment. L’excellent Bruno Cremer lui apporte toute sa froideur et son sens inné de la réplique qui claque. En revanche, les autres membres de la bande sont nettement moins développés et apparaissent davantage comme des figures périphériques. Seul le personnage du sous-chef de la Sureté nationale, le commissaire Jouin est un peu plus fouillé, notamment grâce à l’excellente interprétation d’Armand Mestral.
En fait, Les Anarchistes ou la bande à Bonnot (1968) souffre assurément de deux écueils qui empêchent le film de se hisser au rang des œuvres incontournables. Tout d’abord, la volonté de suivre pas à pas les faits et gestes de la bande contraint le cinéaste à multiplier les scènes de braquage et de fusillades en oubliant de creuser le contexte historique de l’époque. A cause d’un montage très resserré, il livre donc un film rythmé, mais qui reste au niveau de l’illustratif. Le second problème vient de sa réalisation trop appliquée et qui confine le résultat final au rang d’un téléfilm de luxe. Certes, la reconstitution des années 10 est sérieuse, mais tout semble trop beau et trop apprêté. Le spectateur a donc sans cesse le sentiment d’assister à une reconstitution et non à une œuvre immersive. Finalement, ce sont bien les acteurs qui sauvent la mise de Philippe Fourastié dans ce polar historique sympathique, mais qui pâtit de quelques défauts majeurs.
Interdit aux moins de 18 ans par des autorités soucieuses
Lorsque Les Anarchistes ou la bande à Bonnot (devenu plus simplement avec le temps La bande à Bonnot) sort dans les salles fin octobre 1968, les autorités s’inquiètent de voir une telle œuvre sur les écrans alors que la jeunesse vient à peine de cesser son mouvement de contestation contre le pouvoir. Alors que le film apparaît comme un soutien plus ou moins implicite de l’anarchisme, il écope donc d’une très politique interdiction aux moins de 18 ans.
Pourtant, cela n’a pas empêché le long-métrage historique de trouver son public. Certes, le métrage doit affronter la sortie du populaire Le gendarme se marie (Girault, 1968), mais son cœur de cible n’est assurément pas le même. A Paris, La bande à Bonnot s’installe en deuxième position du box-office la semaine de son investiture avec 48 416 spectateurs dans 5 salles intra-muros. Le film se maintient parfaitement en deuxième semaine avec 44 920 contestataires de plus. La chute intervient en troisième septaine avec 26 027 anarchistes retardataires. Au bout d’un mois, les entrées s’émiettent avec 19 354 clients. Puis, le film se stabilise autour de 16 140 spectateurs en 5ème semaine. Désormais, le métrage va continuer à fonctionner avec des entrées régulières pendant plusieurs semaines, montrant un réel intérêt du public pour le film. A Paris, il finira son odyssée avec 351 407 révolutionnaires au compteur.
La bande à Bonnot reste à l’affiche plus de quatre mois
Ce beau parcours se retrouve dans la France entière avec une belle troisième place lors de sa semaine de sortie pour 149 430 clients. Ils sont encore 132 229 la septaine suivante. Le film remonte même à la deuxième place du box-office national en troisième semaine avec pourtant une chute des entrées à 99 737 tickets vendus. En un mois de présence, le film dépasse déjà les 500 000 entrées et continue à attirer. C’est à la mi-décembre que le film donne des signes de fatigue, tout en arrivant aux 700 000 tickets déchirés. Si les fêtes de Noël ne lui sont guère favorables, La bande à Bonnot rebondit au mois de janvier 1969 avec à nouveau autour de 40 000 spectateurs par semaine, lui permettant de prolonger sa visibilité. Sa relance est telle que le métrage dépasse les 900 000 spectateurs fin janvier 1969. Finalement, fin février, La bande à Bonnot dépasse le million et termine sa carrière avec 1 191 021 entrées.
Depuis cette époque, le long-métrage a été assez largement oublié, même s’il a fait l’objet de quelques éditions vidéo (souvent au rabais). Il faut dire que son cinéaste Philippe Fourastié n’a pas laissé une œuvre mémorable derrière lui à cause de son décès tragique en 1982 des suites d’une tumeur au cerveau alors qu’il n’avait que 42 ans. On se souvient donc essentiellement du film pour la prestation intéressante de Jacques Brel.
Critique de Virgile Dumez