Dernier grand classique signé Anthony Mann, Le Cid est une fresque historique grandiose, marquée par un luxe de chaque plan et une complexité narrative bienvenue. Assurément un très grand film.
Synopsis : XIè siècle, en Espagne. Le pays, ruiné et déchiré par des guerres fratricides entre les différentes provinces, est menacé par le redoutable émir Youssouf. Rodrigue Diaz, qui deviendra célèbre sous le nom du Cid, va appeler tous les Espagnols à s’unir pour repousser l’envahisseur.
Une superproduction à la gloire de Franco ?
Critique : Afin de mieux comprendre la profusion de moyens mis en œuvre pour créer Le Cid (1961), il est essentiel de revenir sur le contexte d’une telle œuvre. Tout d’abord, le cinéma hollywoodien traverse une crise sans précédent à la fin des années 50 par la concurrence de la télévision. Désormais, les grands studios investissent massivement dans des superproductions épiques qui nécessitent le grand écran. Les films durent souvent plus de trois heures, arborent un Technicolor flamboyant et un écran large favorisé par le développement du format Scope. Cette stratégie s’est montrée payante avec une épopée comme Ben-Hur (William Wyler, 1959) au budget astronomique, mais très largement récupéré grâce à son triomphe international et ses 11 Oscars.
De quoi faire rêver les producteurs les plus ambitieux, dont un Samuel Bronston aux ambitions démesurées. Ainsi, au début des années 60, le nabab profite de relations communes pour entrer en contact avec le général Franco, célèbre dictateur d’Espagne qui entend rétablir l’image de son pays à l’extérieur après des décennies d’isolement diplomatique. Le dictateur voit d’un très bon œil la constitution d’un empire du cinéma dans son pays. Par ailleurs, il encourage la création d’une œuvre autour de la figure nationale du Cid, établissant ainsi un parallèle évident entre le sauveur de l’Espagne et sa propre destinée personnelle. En fait, le projet du Cid est donc initialement une pure œuvre de propagande à la gloire du régime franquiste, le tout tinté d’un christianisme décomplexé.
Le Cid, un luxe insolent ?
Il faut donc obligatoirement avoir en tête ces deux éléments contextuels lorsque l’on aborde le cas de cette superproduction luxueuse dont le budget a flirté avec les 7 millions de dollars (soit l’équivalent de nos jours de 73 440 000 $). Mais cette simple addition comptable ne peut aucunement rendre compte des efforts entrepris sur le terrain, puisque Franco a offert la contribution de l’armée espagnole pour les séquences de bataille, ainsi que la participation (rémunérée ou non ?) de villages entiers venus gonfler la foule des figurants. L’effet à l’écran s’avère proprement impressionnant tant le luxe et la profusion éclatent à chaque instant de cette fresque proprement monumentale.
© 1961 Samuel Bronston Productions Inc. / Affiche : Gilbert Allard. Tous droits réservés.
Certes, Rodrigo Díaz de Vivar est bel et bien une importante figure historique des débuts de la Reconquista espagnole, mais la réalité de ce personnage est bien différente de celle véhiculée par la tradition chevaleresque. Ainsi, le célèbre chef militaire était avant tout un mercenaire au service de celui qui lui permettrait de servir ses propres intérêts. Mais comme le disait John Ford dans le superbe final de L’homme qui tua Liberty Valance : « Quand la légende devient réalité, imprimez la légende ! ». Donc, les différents scénaristes à l’œuvre dans Le Cid ne se sont guère embarrassés de rigueur historique et le long métrage souscrit pleinement à la légende du personnage. Mieux, Le Cid de Charlton Heston devient une pure figure christique qui rejoint les emplois de la star dans des fresques religieuses comme Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956).
Un spectacle chrétien, mais qui appelle à la tolérance
Ainsi, dès les premières images, Rodrigo est montré supportant un vaste crucifix bardé de flèches à la suite d’une attaque musulmane. Le symbole est fort et indique clairement la voie choisie par les auteurs. Le personnage du Cid sera une figure sacrificielle qui mettra sa vie au service de l’Espagne, respectant ses vœux de loyauté envers ses différents suzerains et laissant de côté son propre intérêt pour rester d’une droiture impeccable. Finalement, le protagoniste est le seul qui n’évolue jamais puisqu’il sert en quelque sorte de miroir aux autres personnages. Tandis que lui demeure droit et honnête, tous les autres passent par différentes étapes, allant de la couardise, la haine, le désir de vengeance, la jalousie, avant d’évoluer vers davantage de sagesse. Le Cid est donc le pivot central autour duquel gravitent tous les autres, ce qui renforce encore plus son aura mythique.
Pourtant, ce qui pouvait initialement apparaître comme un sommet de nationalisme et de prosélytisme a évolué au cours des différentes phases d’écriture grâce à l’intervention du scénariste Ben Barzman. En fait, on lui doit la toute dernière version du script qui nuance fortement les postures adoptées précédemment. Issu de la fameuse liste noire d’Hollywood, Ben Barzman était un communiste convaincu et il s’est évertué à pervertir le projet de l’intérieur. Ainsi, le scénariste a ajouté de nombreux éléments qui font de Rodrigo un conciliateur entre chrétiens et musulmans. Cette démarche a été amplifiée par le réalisateur Anthony Mann qui finit par faire porter à Charlton Heston des attributs musulmans en plein cœur d’une œuvre censée chanter la gloire du christianisme et de son défenseur Franco.
Le Cid, fortement influencé par les tragédies de Corneille et Shakespeare
Dans Le Cid, Ben Barzman et le réalisateur proposent donc de faire du héros une grande figure visant à réunir les êtres humains autour de valeurs positives, et non un simple nationaliste assoiffé de victoires militaires. Bien entendu, la vision de Barzman n’est pas plus juste sur le plan historique, mais elle permet de rendre l’œuvre pérenne car le long métrage devient une lutte pour la tolérance religieuse et l’entente entre les peuples et non une simple fresque guerrière.
Par ailleurs, le scénariste a réintroduit dans le script des éléments tragiques issus de la pièce éponyme de Corneille. Ainsi, les personnages ne sont plus unidimensionnels mais complexes (si l’on excepte donc le Cid lui-même). On adore notamment le personnage féminin incarné par la grande Sophia Loren. Sa contribution n’est pas anodine car tous les témoignages insistent sur le fait que la star italienne a fait réécrire plusieurs fois son rôle afin de l’étoffer et d’en faire autre chose qu’une potiche. La femme de caractère ne s’est pas pliée aux désirs de Charlton Heston, ce qui a entrainé une mauvaise entente sur le plateau. En tout cas, sa prestation s’avère remarquable.
Entre fresque guerrière et drame intimiste
Dans les seconds rôles, Anthony Mann a insisté pour convoquer le gratin des acteurs britanniques issus de la scène shakespearienne. Ainsi, on aime particulièrement les interventions de John Fraser, Gary Raymond ou encore Douglas Wilmer. Par ailleurs, la Française Geneviève Page ajoute une touche de noirceur à un rôle délicieusement ambigu de manipulatrice.
La plus grande force du Cid est de réussir à mêler de manière parfaitement équilibrée les passages obligés des grandes productions avec une histoire intime qui tient de la tragédie shakespearienne. Comme dans ses plus grands westerns, le réalisateur Anthony Mann arrive à inscrire le destin de personnages complexes au sein d’un genre codifié qu’il sublime par son regard humaniste. Cela renforce les moments les plus épiques qui ne manquent pas à l’appel. On demeure bouche bée face aux grandes scènes de bataille du film, d’autant qu’elles ont été réglées par Yakima Canutt, déjà à l’origine de la mythique course de chars de Ben-Hur (1959). Il n’est d’ailleurs pas le seul transfuge de cette œuvre séminale. Outre Charlton Heston, on retrouve également le musicien Miklós Rózsa qui signe une partition pompeuse du plus bel effet.
Le Cid, 4ème plus gros succès nord-américain de l’année 1961
Tout était réuni pour faire du Cid une superproduction valeureuse, mais on peut toutefois s’estimer ravis d’une telle réussite, imputable à un travail d’équipe qui a porté ses fruits, faisant du film une fresque légendaire en tout point remarquable.
© 1961 Samuel Bronston Productions Inc. / Design : Koemzo Artwork. Tous droits réservés.
Sorti dans le monde en grande pompe au mois de décembre 1961, Le Cid est un événement d’ampleur dans le monde du cinéma. Malgré un sujet très européen, le public nord-américain a répondu présent grâce à l’aura de la superstar Charlton Heston, gage pour les spectateurs d’un grand moment de cinéma spectaculaire. Ainsi, Le Cid s’est classé 4ème meilleur score de l’année 1961 en Amérique du Nord. Il est alors devancé par le triomphal Les 101 dalmatiens de la firme Disney (n°1), le phénoménal West Side Story (Robert Wise, n°2) et le spectaculaire film de guerre Les canons de Navarone (J. Lee Thompson, n°3). Avec plus de 26,6 millions de dollars de recettes rien qu’aux States (soit l’équivalent actuel de 279 070 000 $), Le Cid est une très belle affaire.
Box-office parisien du Cid
Les Français ont également largement répondu présent lors de sa sortie le 13 décembre 1961. Ainsi, à Paris, le métrage débarque directement numéro 1 de la semaine avec 46 626 spectateurs. Toutefois, le film est talonné par la sortie de la nouvelle comédie avec Paul Meurisse Les nouveaux aristocrates (Francis Rigault) qui cumule 42 237 rigolards. Cette sacrée comédie passe même devant Le Cid lors de la deuxième semaine. Toutefois, le plus gros concurrent du film débarque cette semaine-là puisque Les 101 dalmatiens commencent à japper très fort en troisième position. Le Cid, lui, a déjà rassemblé près de 100 000 Parisiens en seulement quinze jours. Le métrage résiste bien pendant les fêtes de fin d’année et continue même à progresser de semaine en semaine.
On notera d’ailleurs que la fresque Ben-Hur est encore à l’affiche à cette époque et que le métrage revient très fort dans le classement parisien, doublant largement Le Cid qui perd de sa superbe après les fêtes (28 770 clients, pour un total de 179 050 entrées début janvier). Désormais présent dans quatre salles d’exclusivité, Le Cid va poursuivre sa carrière tout au long du mois de janvier. Toutefois, sa longévité parisienne est incomparable avec celle de Ben-Hur qui est toujours à l’affiche lorsque Le Cid disparaît des écrans. Au gré des ressorties, le film historique cumulera 638 980 entrées sur Paris et sa périphérie.
La province davantage présente dans les salles
En fait, Le Cid marche nettement mieux en province où le métrage ne sort qu’une semaine après l’ouverture parisienne. Le héros espagnol commence son tour de France au moment de Noël et grimpe à la 10ème place du classement national avec 170 463 entrées. Progressivement déployées dans toute la France au cours du mois de janvier, les copies du film lui offrent une quatrième place du box-office à la mi-janvier avec un cumul de 458 896 tickets vendus.
Les chiffres vont ensuite évoluer en fonction des semaines et de la présence des copies dans les différentes villes de province. Fin mars 1962, Le Cid franchit la barre symbolique du million de spectateurs. Fin mai, le guerrier espagnol s’accroche toujours et emporte 1,5 millions de clients dans sa besace, ce qui achèvera sa première exploitation. Toutefois, le métrage n’a pas dit son dernier mot et finira par cumuler plus de 4 226 723 entrées au gré de ses reprises et diverses exploitations.
En 1962, Le Cid reçoit trois nominations aux Oscars pour les meilleurs décors, la meilleure chanson et la meilleure musique. Pourtant, aucune statuette n’est venue saluer le travail de l’équipe. Bien plus tard, le métrage a fait l’objet d’une exploitation en vidéo, d’abord en VHS par Hollywood Vidéo dans les années 80 et Fil à Film pour les années 90. Le métrage a d’abord eu droit à une édition DVD un peu cheap chez Opening, avant de nous revenir dans une magnifique version restaurée chez Rimini Editions (2022), le tout au sein d’un superbe Mediabook que tout amateur de grand cinéma hollywoodien se doit de posséder.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 décembre 1961
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© 1961 Samuel Bronston Productions Inc. / Affiche : Jean Mascii. Tous droits réservés.
Biographies +
Anthony Mann, Sophia Loren, Herbert Lom, Paul Muller, Charlton Heston, Gary Raymond, Geneviève Page, Douglas Wilmer, Rosalba Neri, Raf Vallone, Massimo Serato, Michael Hordern, John Fraser, Fausto Tozzi
Mots clés
Cinéma américain, La chevalerie au cinéma, Le Moyen-âge au cinéma, Les tournois au cinéma, Les succès de l’année 1961