Film de gangsters minimaliste, La mort d’un tueur s’appuie sur des archétypes bien connus et une réalisation efficace de Robert Hossein. Un divertissement old school plaisant.
Synopsis : Pierre Massa revient à Nice après 5 ans de prison pour hold-up. Il retrouve ses amis et ils rendent visite à sa mère, qui lui apprend que sa sœur est partie avec Luciano, dont il est persuadé qu’il l’a trahi.
Les Bad Guys à Nice
Critique : Depuis le milieu des années 50, le comédien Robert Hossein est passé de l’autre côté de la caméra, signant bon nombre de films à succès. Ainsi, la plupart de ses œuvres ont dépassé le million d’entrées dans l’Hexagone, faisant de lui un cinéaste en vue, même si la critique lui a souvent reproché son goût pour la surenchère, ainsi que des thématiques jugées trop commerciales. Effectivement, le cinéaste ne s’insinue nullement dans le giron de la nouvelle vague alors déferlante et préfère arpenter les terres d’un cinéma commercial plus classique.
Il le prouve une fois de plus avec sa huitième réalisation, le polar noir La mort d’un tueur (1964) dans lequel il paie son tribut au cinéma américain qu’il adore. Certes, le contexte de l’intrigue – située dans les quartiers pauvres de Nice, loin de la Promenade des Anglais, mais dans les célèbres studios de la Victorine – rattache davantage le long métrage à la tradition du réalisme poétique à la Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937), mais le style expressionniste adopté par Robert Hossein indique bel et bien sa filiation avec un certain cinéma américain noir des années 40.
Une série B à l’américaine dans un contexte français
Ainsi, dès le début, La mort d’un tueur est marqué par des décadrages volontaires, des plongées et contre-plongées spectaculaires et une tendance à saturer l’image en noir et blanc afin de scinder le présent et les nombreux flashbacks. Enfin, le recours à une voix off permanente durant le premier quart d’heure renvoie aux grandes heures du film noir hollywoodien des années 30 et 40.
Amateur de séries B et de films populaires, Robert Hossein a eu également à cœur de dégraisser au maximum l’intrigue et de s’appuyer volontairement sur des personnages archétypaux, débarrassés de toute forme de psychologie. Entièrement définis par leurs actes, les personnages ne revêtent aucune profondeur particulière, ce qui lui a été reproché. Pourtant, cela offre justement une qualité essentielle au polar, à savoir une sécheresse que n’aurait pas désavoué quelqu’un comme Samuel Fuller.
La mort d’un tueur, entre expressionnisme et épure
Nous suivons donc la vengeance d’un braqueur qui pense avoir été dénoncé par son meilleur ami, le tout sur fond de rivalité amoureuse. On notera d’ailleurs l’audace de ce triangle amoureux puisque Robert Hossein entretient une relation protectrice très particulière avec sa sœur, interprétée par la débutante Marie-France Pisier. Comme La mort d’un tueur a été tourné dans les années 60, la relation incestueuse n’est que suggérée, mais elle semble bien être au cœur de la jalousie maladive éprouvée par le protagoniste principal.
Si Robert Hossein multiplie les plans biscornus pour donner une certaine ampleur à son intrigue minimaliste, il sait également se servir d’une certaine épure lors des moments les plus dramatiques, ce qui annonce le futur Point de chute (1970) qui poussera le curseur très loin dans le dépouillement, au risque de l’ennui. Au cœur de ce film que l’on pourrait qualifier de tragédie antique contemporaine, Robert Hossein s’est entouré d’un casting plutôt étonnant au vu du style très sérieux du long métrage.
Un polar qui demeure valeureux de nos jours
Ainsi, parmi les fidèles exécutants du truand, on retrouve Jean Lefebvre et Robert Dalban, deux acteurs remarqués dans Les tontons flingueurs (Georges Lautner, 1963), qui est justement une parodie de ce type de films. Leur jeu est ici contenu, mais leur présence peut légitimement interroger, de même que celle de comiques comme Paul Préboist et Roger Carel. Ce sentiment intervient bien évidemment a posteriori puisque le cinéphile contemporain connaît l’évolution future de ces figures du cinéma franchouillard des années 60-70. Ils sont ici employés avec le plus grand sérieux et la plus grande rigueur.
S’achevant par une scène de massacre particulièrement efficace – on ne spoile rien au vu du titre même du film – La mort d’un tueur est donc une œuvre plutôt valeureuse, pour peu que l’on supporte le premier quart d’heure plombé par une voix off envahissante destinée à poser les bases de l’intrigue. Le reste constitue un bon moment au sein du cinéma classique français de l’époque, d’autant que la durée ramassée s’avère parfaitement adaptée à la minceur du propos. On indiquera aussi la présence d’un thème musical entêtant d’André Hossein plutôt réussi. D’ailleurs, dans La Saison Cinématographique 1964, le critique Jacques Zimmer termine son papier ainsi :
L’auteur fait preuve, outre de son tempérament habituel, d’une simplicité et d’une justesse qui font mouche à chaque séquence. C’est du meilleur style : celui qui ne se remarque pas.
Box-office parisien de La mort d’un tueur
Sorti à Paris le 1er avril 1964, La mort d’un tueur a été positionné dans deux salles d’exclusivité une semaine où les sorties n’étaient pas légion puisque les spectateurs ont pu découvrir parmi les quelques nouveautés Le procès des doges (Duccio Tessari) avec Michèle Morgan et Jacques Perrin ou encore La conjuration des Borgia (Antonio Racioppi), une série B italienne. C’est le premier qui arrive cinquième du classement, tandis que La mort d’un tueur doit se contenter d’une neuvième place très décevante avec 22 140 clients.
Il faut dire que la concurrence est rude car les grands succès du moment sont L’homme de Rio (Philippe de Broca) avec Jean-Paul Belmondo et Bons baisers de Russie (Terence Young), le deuxième épisode de James Bond avec Sean Connery. En deuxième semaine, le film noir de Robert Hossein s’offre 14 425 retardataires, avant de s’enfoncer dans les profondeurs du classement pour terminer sa carrière parisienne avec seulement 153 395 entrées.
Et en province ?
Sur la France, La mort d’un tueur n’est exploité qu’une semaine après sa sortie parisienne et ses copies vont circuler de région en région selon les us et coutumes de l’époque. Mi-avril, il a intéressé 54 431 spectateurs. Quinze jours plus tard, il franchit la barre des 110 307 clients. Début juin 1964, Robert Hossein a trouvé 211 503 amateurs de polar noir. Après avoir effectué le tour des villages de France, La mort d’un tueur termine sa carrière avec 768 752 entrées. Cela en fait une déception pour un cinéaste habitué à dépasser le million, sans être un désastre au vu du budget que l’on imagine restreint.
Largement oublié depuis sa discrète sortie initiale, La mort d’un tueur ne semble jamais avoir été édité en France, ni en VHS, ni en DVD. Il est désormais disponible sur Canal + et OCS sans avoir fait l’objet d’une quelconque restauration.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 1er avril 1964
Voir le film en VOD
© 1964 Les Films Copernic, Filmerc / Affiche : Raoul Foulon (photographe) – Publicité André Nicard (agence) – Guy Bourduge, Guy Jouineau (affichistes). Tous droits réservés.
Biographies +
Marie-France Pisier, Robert Hossein, Jean Lefebvre, Lila Kedrova, Paul Préboist, Roger Carel, Robert Dalban, Simón Andreu, Roger Dutoit
Mots clés
Polar français, Les gangsters au cinéma, La vengeance au cinéma, L’inceste au cinéma, L’amitié au cinéma