La maison aux esprits : la critique du film (1994)

Drame, Mélodrame | 2h20min
Note de la rédaction :
8/10
8
La maison aux esprits de Bille August, affiche française

  • Réalisateur : Bille August
  • Acteurs : Antonio Banderas, Meryl Streep, Vanessa Redgrave, Glenn Close, Jeremy Irons, Winona Ryder, Maria Conchita Alonso, Vincent Gallo
  • Date de sortie: 23 Mar 1994
  • Année de production : 1993
  • Nationalité : Américain, Français, Allemand, Danois, Portugais
  • Titre original : The House of the Spirits
  • Titres alternatifs : Das Geisterhaus (Allemagne), Het huis met de geesten (Pyas-Bas), Andarnas hus (Suède, Danemark), La casa degli spiriti (Italie), La casa de los espíritus (Espagne, Argentine), Casa spiritelor (Roumanie), To spiti ton pnevmaton (Grèce), A Casa dos Espíritos (Brésil)
  • Scénariste : Bille August
  • D'après le roman de : Isabel Allende
  • Directeur de la photographie : Jörgen Persson
  • Monteur : Janus Billeskov Jansen
  • Compositeur : Hans Zimmer
  • Producteurs : Bernd Eichinger
  • Sociétés de production : Constantin Film, Costa do Castelo Filmes, Eurimages, Spring Creek Productions
  • Distributeur : AMLF
  • Editeur vidéo : Film Office Vidéo (VHS, également réédition VHS sous le label Ciné Passion, DVD), Pioneer (DVD), M6 Vidéo (DVD)
  • Date de sortie vidéo : 1er avril 1999 (DVD Pioneer), 6 septembre 2001, 17 novembre 2004 (DVD M6 Vidéo)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 259 892 entrées / 123 843 entrées
  • Box-office nord américain : 6 265 311$
  • Budget : 40 000 000$
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 2.39 : 1 / Couleur (35mm, Panavision) / Dolby Stéréo
  • Festivals et récompenses : Meilleure musique aux German Phono Academy (1994), Meilleur film & Meilleur montage & Meilleur scénario & Meilleur son aux Robert (Danish Film Awards, 1994), Meilleure actrice internationale aux Jupiter Awards
  • Illustrateur / Création graphique : Agence Bonne Question. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Constantine Films. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Gros échec commercial lors de sa sortie, La maison aux esprits est pourtant une très belle adaptation du roman éponyme d’Isabel Allende, portée par un casting quatre étoiles. Une œuvre à réévaluer d’urgence.

Synopsis : Dans l’Amérique du Sud des années 20, un riche propriétaire terrien, Esteban Trueba, épouse Clara, une jeune femme dotée d’étranges pouvoirs et du don de divination. La popularité politique d’Esteban s’accroit et il voit sa famille se déstabiliser. L’éclatement politique du début des années 70, achève de les séparer, brisant les espoirs de bonheur de sa fille.

Le réalisateur Bille August se lance dans une superproduction après deux Palmes d’Or

Critique : Réalisateur majeur des années 80, Bille August a connu durant cette décennie et le début de la suivante une intense période de créativité qui l’a vu enchaîner des œuvres magnifiques comme Zappa (1983), Twist and Shout (1984), Pelle le conquérant (1987) et Les meilleures intentions (1992). Adoubé par la critique (les deux derniers films cités ont tous les deux reçu la Palme d’Or) et même par Ingmar Bergman en personne, Bille August peut désormais envisager le futur avec optimisme. Son choix se porte sur l’adaptation du roman fleuve d’Isabel Allende intitulé La maison aux esprits. Il n’est pas étonnant que le cinéaste s’intéresse à cette chronique qui lui permet de brosser le portrait d’une même famille sur plusieurs générations, tout en racontant par le menu les soubresauts politiques du Chili, depuis l’expérience de la République jusqu’à la dictature de Pinochet, en passant par l’intermède Allende.

Afin d’obtenir les moyens suffisants pour créer sa fresque épique, Bille August se lance dans une vaste coproduction qui lui permet d’aligner 40 millions de dollars de budget. Il se dote d’un casting international incroyable réunissant non seulement le gratin des stars des années 80 (Jeremy Irons, Meryl Streep, Glenn Close), mais également les étoiles montantes des années 90 : Winona Ryder sort tout juste d’Edward aux mains d’argent (Burton), Dracula (Coppola) et Le temps de l’innocence (Scorsese), palmarès impressionnant, tandis qu’Antonio Banderas tentait de conquérir le marché américain après ses succès dans les comédies de Pedro Almodovar. Tout était donc réuni pour faire de cette Maison aux esprits un nouveau triomphe.

Un gros échec commercial lié à quelques défauts évidents

Malheureusement, la sanction du public a été immédiate puisque si en Allemagne, gros investisseur, ou en Espagne, le film trouve sa cible (près de 4 millions de spectateurs outre-Rhin), les USA ont radicalement rejeté le film où la sortie se fera après la cérémonie des Oscars, en avril 1994, quand ses producteurs espéraient une pluie de nominations. La superproduction dans le genre du cinéma d’auteur académique, recueille seulement 6 millions de billets verts aux Etats-Unis pour un budget de 40 millions. La France lui a réservé un accueil des plus glaciaux, une semaine avant les USA, avec un total désolant de 259 892 entrées sur tout le territoire. Rapidement, la réputation du film fut faite et aujourd’hui encore, le métrage est considéré par beaucoup comme une déception. Seuls les Espagnols et Allemands bénéficient d’un format physique HD, au début des années 2020.

Evacuons immédiatement les quelques défauts majeurs de l’œuvre en question. Tout d’abord, le cinéaste n’a pas toujours bien maîtrisé son montage et le premier quart d’heure de présentation des personnages semble expédié de manière téméraire. Cela nuit notamment à l’implication du spectateur dans les premiers événements dramatiques qui s’enchaînent de manière trop mécanique. Ensuite, le rajeunissement des acteurs afin qu’ils puissent incarner leur personnage vers l’âge de vingt ans n’est pas très heureux : Jeremy Irons et Meryl Streep ont beau être d’excellents acteurs, ils ne ressemblent plus à de jeunes premiers au moment du tournage. Enfin, certains protagonistes semblent davantage marqués par les stigmates du temps que d’autres (la prostituée incarnée par Maria Conchita Alonso vieillit de vingt ans sans prendre la moindre ride). Voilà pour les éléments négatifs qui pèsent parfois un peu lourdement sur le film.

Des acteurs au sommet pour un mélodrame poignant

Pour le reste, cette saga familiale bénéficie tout d’abord d’une photographie magnifique qui fait de chaque plan un tableau, d’une musique majestueuse d’Hans Zimmer ne tombant jamais dans le piège du mélodrame alors même que l’histoire s’y prêtait et enfin d’une réalisation, certes classique, mais toujours attentive à respecter l’intégrité de chaque personnage. Ces derniers sont généralement symboliques, respectant en cela le roman d’origine. On signalera la bonté qui émane de tous les pores de la peau de Meryl Streep, incarnation de la pureté et de l’innocence qui ne peut que disparaître le jour du coup d’Etat de Pinochet. Glenn Close nous submerge d’émotion avec son personnage de vieille fille lesbienne parvenant difficilement à cacher son amour pour sa belle-sœur. L’actrice livre ici une de ses plus belles performances.

Vincent Gallo, de son côté, nous glace les sangs en fils bâtard rejeté de tous, mais qui finit par se venger en devenant un bourreau de l’administration Pinochet. Il est clairement le monstre créé par un système latifundiaire fondé sur la domination d’une catégorie sociale sur une autre. Et le maître incontesté de ce fonctionnement est incarné par un Jeremy Irons absolument parfait en potentat local incapable de se projeter dans l’avenir. Il incarne cette vieille garde traditionnaliste, hostile au moindre changement. Pourtant, là encore, le cinéaste lui offre une forme de rédemption sur le tard lorsque cet homme du passé finit par comprendre ses erreurs.

La maison aux esprits, dernier grand film de Bille August

Outre son attention constante envers ses protagonistes, La maison aux esprits parvient à rendre compte des évolutions politiques du Chili en usant de métaphores suffisamment claires pour que le public saisisse ce qui se trame. Il traite également l’intrusion d’éléments fantastiques de manière réaliste, respectant en cela l’esprit des œuvres sud-américaines où les manifestations des esprits sont toujours considérées comme faisant partie du quotidien. On peut donc légitimement considérer cette fresque comme étant une œuvre importante, peut-être même le dernier grand film d’un auteur qui n’a jamais retrouvé le feu sacré par la suite. De grand cinéaste classique, Bille August est malheureusement tombé plus d’une fois dans un académisme compassé qui ne lui a pas permis de réussir son adaptation des Misérables (1998), ni de nous emporter dans sa vision particulièrement fade du destin de Mandela dans Goodbye Bafana (2007).

Depuis 2007, les distributeurs français semblent s’être totalement désintéressés du cinéaste puisqu’aucun de ses longs n’a pu sortir sur nos écrans. Les Palmés d’un jour peuvent devenir les ostracisés du lendemain. Une thématique parfaitement traitée dans La maison aux esprits, œuvre magnifiquement austère qui méritera toujours d’être redécouverte.

Critique de Virgile Dumez

Sorties de la semaine du 23 mars 1994

La maison aux esprits de Bille August, affiche française

Affiche © Agence Bonne Question ! – Distributeur : AMLF

Box-office :

La maison aux esprits est sorti lors d’un premier semestre monumental : Adieu ma concubine, Les vestiges du jour, Au nom du père, Gilbert Grape, Short Cuts, La Liste de Schindler… Les Oscars avaient alors un poids et surtout une réalité artistique épatante.

Lorsque La maison aux esprits sort en France, le 23 mars 1994, le box-office était écrasé par des succès impressionnants : Philadelphia, le sida et Tom Hanks homo dans une production hollywoodienne historique, La cité de la peur de Les Nuls, le charmant Mina Tannenbaum, L’enfer de Chabrol, Short Cuts, L’affaire Pélican qui était numéro 1 la semaine du 16, Schindler, Les vestiges du jour, Au nom du père, Madame Doubtfire… Quant aux enfants, ils avaient un film millionnaire en moins de 7 semaines, Sauvez Willy. Les amateurs de films d’action avaient eu Demolition Man (Stallone) et Piège en eaux troubles (Bruce Willis)… Des succès pour tout le monde, sauf pour Bille August.

Un contexte de succès surchargé défavorable à la Maison aux esprits

Le mercredi 23 voit sa fréquentation grimper de 6,68% grâce à l’effet Oscar. Les sorties sont nombreuses (13), et surtout importantes : Sister Act 2, suite d’un triomphe populaire, trouve 40 salles sur P.P., La maison aux esprits et toutes ses stars non nommées aux Oscars se retrouvent dans 30 cinémas, L’impasse, Brian De Palma au firmament, est dans 27 cinémas, Le parfum d’Yvonne de Patrice Leconte fait suite aux succès de Monsieur Hire, Le mari de la coiffeuse et Tango pour un cinéaste français alors considéré comme l’un des plus importants en France…

Première semaine : où voir le film sur Paris?

La maison aux esprits est la 3e nouveauté au niveau des entrées, avec 5 974 entrées. Elle est dépassée par une concurrence impitoyable : Sister Act 2, L’impasse, et par trois continuations en grande forme (L’affaire pélican, La liste de Schindler, Philadelphia)…).

Gentil, l’hebdomadaire Le Film Français dira au sujet de la première semaine de La maison aux esprits qu’elle démarrait « modestement ». Vrai. Une 8e place avec 79 535 entrées France dans 138 cinémas. Les critiques peu enthousiastes et l’ensemble d’une programmation étincelante a tué le film.

Sur Paris, le drame chilien était à l’affiche de l’UGC Biarritz, le Publicis Elysées, le St Lazare Pasquier, le Gaumont Gobelins, l’Escurial Panorama, le 14 Juillet Beaugrenelle, La Pagode, La Bastille, le Paramount Opéra, le Gaumont Alésia, le Nation, les Parnassiens, le Forum Horizon, le Montparnasse, le Gaumont Opéra Impérial, l’UGC Maillot, l’UGC Odéon, l’UGC Convention, le Rex et l’UGC Lyon Bastille.

Un bouche-à-oreille favorable

En commençant à 79 000 entrées à la fin du mois de mars, le film ne pourrait probablement jamais rattraper son retard, puisqu’avril et mai étaient des périodes moindres, et surtout la concurrence était trop prestigieuse, écartant cette production méritante. En deuxième semaine, La maison aux esprits s’accroche (66 245 entrées dans 118 cinémas, total de 145 000). Malgré une perte de 45 écrans en troisième semaine, le mélodrame se maintient (51 793). Le bouche-à-oreille est donc positif. Le film se tient bien en 12e place, et dépasse désormais L’impasse. La semaine suivante, les esprits disparaissent (24 000). En 5e semaine, le maintien est réel (17 000). La 6e semaine lui sera tragique. Le besoin d’écrans pour Quatre mariages et un enterrement participera à son déclin inéluctable.

Au final, La maison aux esprits est une œuvre qui n’a pas eu de chance en France en raison d’un contexte chargé et de critiques qui n’ont pas aidé. En revanche, le bouche-à-oreille lui sera favorable. La maison aux esprits multipliera par trois sa mise de départ, confirmant l’amour du public autour d’une œuvre sensible qui sera un beau succès dans certains pays européens.

Box-office de Frédéric Mignard

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