Véritable OVNI dans la production française des années 90, Dobermann est un polar violent et trash dynamité par un humour potache et une réalisation hystérique et démentielle. Définitivement culte.
Synopsis : Le Dobermann a reçu son premier flingue le jour de son baptême. Aujourd’hui, il dirige une bande de gangsters déjantés qui rafle tout sur son passage. Mais depuis leur dernier « coup », Christini, un flic sadique, a juré la perte du Dobermann…
Le passage au long-métrage d’un cinéaste déjà culte
Critique : Déjà connu des cinéphiles pour ses multiples courts-métrages démentiels, Jan Kounen n’a pas encore réalisé un seul long-métrage, mais il est considéré comme un réalisateur culte. Il faut dire qu’il a dépoussiéré le cinéma français avec ses courts hystériques comme Vibroboy (1994) ou Le dernier chaperon rouge (1996) qui faisaient preuve d’une incroyable maestria technique et d’une inspiration trash hors normes. Aussi l’annonce de la sortie de son premier long format a été accueillie avec jubilation par les amoureux de cinéma bis.
Afin d’offrir au cinéaste un semblant de structure narrative, l’écrivain Joël Houssin propose de rédiger un script à partir de son œuvre la plus connue, à savoir les romans policiers de la série du Dobermann (soit 19 titres rédigés entre 1981 et 1984). Afin de laisser toute latitude aux délires visuels de Jan Kounen, le scénario se révèle très basique, contant l’histoire classique d’une course poursuite entre un gang de malfaiteurs timbrés et des policiers tout aussi dingues.
Comment cracher sur le cinéma français de la Nouvelle Vague !
Le but de Jan Kounen est de mettre un grand coup de pied dans le conformisme du cinéma français de l’époque, comme le prouve la scène volontairement vulgaire où Romain Duris se torche le cul avec des pages des Cahiers du cinéma. Il s’agit à la fois d’une blague de mauvais goût, mais également d’une profession de foi à l’encontre d’un certain cinéma intellectuel que Kounen ne supporte pas. Ainsi, Dobermann se rapproche davantage de la mouvance ouverte à la fois par Caro et Jeunet avec Delicatessen (1991) ou encore Gaspar Noé avec son court Carne (1991).
Toutefois, les influences de Dobermann doivent être élargies au cinéma américain indépendant des années 90 comme les films de Quentin Tarantino (Reservoir Dogs), de Roger Avary (Killing Zoé), ainsi que de Kathryn Bigelow (Point Break) . Toutefois, il faut vraiment chercher du côté de l’Asie pour trouver l’essence du cinéma de Jan Kounen. Effectivement, Dobermann carbure à la même drogue que Tetsuo (Tsukamoto, 1989) dans sa façon de manier la caméra de manière élégante, mais surtout hystérique. Point de place ici pour la nuance, mais au contraire pour un trait volontairement grossier, apparentant souvent le film à une bande dessinée trash.
Un jeu de massacre outrancier et jubilatoire
Cette tendance à l’outrance peut bien évidemment déranger le spectateur qui est ici bousculé dans ses habitudes, mais cela offre aussi un cinéma en pleine liberté, volontairement potache dans sa volonté de tout détruire avec jubilation. Ainsi, dans Dobermann, les criminels sont tous d’odieux psychopathes capables des pires atrocités. Pourtant, face à eux, le duo de policiers fascistes incarnés avec conviction par l’hallucinant Tchéky Karyo et son second au regard dingue Marc Duret, viennent rabattre les cartes.
Le sadisme inhérent à ces deux protagonistes odieux rendrait presque la bande du Dobermann sympathique par comparaison. En réalité, personne ne sort vraiment grandi de ce jeu de massacre où la poudre parle plus souvent que les êtres humains. Heureusement, l’extrême violence qui déferle à l’écran est largement compensée par un humour potache très drôle pour peu que l’on aime la provocation à deux balles.
Un vrai casting de “gueules”
Au milieu de décors soignés – on adore celui de la boîte de nuit – d’éclairages maîtrisés et d’une musique techno agressive, les acteurs sont également pour beaucoup dans le plaisir ressenti durant la projection. Si Vincent Cassel forge une bonne fois pour toute son image de bad guy imposant, la belle Monica Bellucci étale déjà son talent d’incarnation à l’écran. Ils sont bien sûr dépassés par le méchant de service porté par un Tchéky Karyo totalement glaçant. Enfin, tout le groupe du Dobermann est à citer tant les acteurs sont excellents, d’Antoine Basler à Chick Ortega en passant par Dominique Bettenfeld et le jeune Romain Duris.
Malgré un aspect très clivant et une interdiction aux moins de 16 ans parfaitement justifiée, Dobermann a trouvé son public en salles à sa sortie en juin 1997. Pour sa première semaine, il débarque en deuxième position du classement parisien derrière Le Saint (Noyce) qui lui passe devant, mais qui est proposé dans davantage de salles. Les 89 420 chiens enragés sont donc encourageants pour Dobermann. La semaine suivante est stable avec un parc de salles identique et des résultats corrects de 81 930 spectateurs, motivés par la Fête du cinéma. La chute est bien plus rude la septaine suivante avec seulement 20 027 retardataires. Même constat au bout d’un mois avec 8 653 candidats au massacre supplémentaires. Le métrage ne survit pas au mois de juillet à Paris et reste scotché à 188 240 entrées.
Dobermann, un film de niche
En France, les résultats sont plus motivants car Dobermann démarre troisième la semaine de son investiture avec 231 999 curieux. Grâce à la Fête du cinéma, Dobermann profite d’une deuxième semaine gratifiante avec 386 317 clébards en plus. C’est donc logiquement la septaine suivante qui est fatale avec seulement 90 943 entrées supplémentaires. La chute se confirme ensuite avec 33 727 clients (semaine 4), 22 676 (semaine 5) et 10 696 (semaine 6). Au final, Dobermann rentre à la niche fin juillet après avoir dévoré 792 424 tickets.
De toute façon, le long-métrage est d’emblée un gros succès car il a été vendu non seulement dans toute l’Europe, mais également aux États-Unis où il a été distribué par Dimension Films. Plusieurs fois édité au cours des années 2000, le film semble quelque peu oublié de nos jours, sans doute à cause des espoirs déçus quant à la carrière de Jan Kounen dont il s’agit d’un des meilleurs films – qui a dit le meilleur ?
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 juin 1997
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