Après Elle, Paul Verhoeven confirme sa capacité à renouveler son inspiration dans le cadre du cinéma français. Benedetta est un récit historique passionnant, teinté de fantastique et fidèle à l’univers sulfureux du cinéaste.
Synopsis : Au XVe siècle, alors que la peste se propage en Italie, la très jeune Benedetta Carlini rejoint le couvent de Pescia en Toscane. Dès son plus jeune âge, Benedetta est capable de faire des miracles et sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des sœurs.
Les anges du péché
Critique : Adapté du livre de Judith C. Brown, Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne, Benedetta ne saurait être assimilé à un biopic ordinaire, en raison des incertitudes qui existent sur le parcours précis de cette religieuse hors norme, et de la volonté du réalisateur de s’affranchir de la simple reconstitution historique. On citera à cet égard une scène d’émeute, essentielle à l’écran, mais que Paul Verhoeven et son coscénariste David Birke déclarent avoir purement inventée. Et c’est tant mieux. La vie de Benedetta Carlini (1590-1661) est pourtant un cas d’école. Entrée à l’âge de neuf ans au monastère des Théatines de Pescia, elle se fait vite remarquer par ses délires mystiques et son charisme qui poussent les autorités ecclésiastiques à la nommer abbesse, jusqu’à ce qu’un procès pour imposture et lesbianisme ne la fasse descendre de son piédestal.
Le grand mérite de Verhoeven est d’être parti des grandes lignes de sa biographie pour bâtir un récit fidèle à son propre univers de réalisateur. Benedetta ne pourrait-elle pas être une lointaine parente des (anti)-héroïnes de Basic Instinct, Showgirl, Black Book ou Elle ? Car toute l’ambiguïté du film réside dans la possibilité pour le spectateur d’interpréter à sa guise les faits qui se déroulent sous ses yeux. Verhoeven a d’ailleurs précisé dans le dossier de presse : « Je pense que dans la vie, il y a plusieurs façons de regarder les choses et que chacun a sa propre réalité subjective. C’est pour cela que je ne veux pas dire au public si Benedetta est à coup sûr une mystique ou à coup sûr une menteuse, c’est à chaque spectateur d’en juger. On peut voir un bon exemple de ces deux réalités plus tard dans le film quand frappe l’épidémie de peste : Benedetta dit à la foule de Pescia que Jésus va les protéger, puis elle dit à un soldat de fermer les portes de la ville, comme un confinement ! Là aussi, on voit sa double nature de croyante et de femme politique ».
Benedetta, faux film à scandale et authentique œuvre d’auteur
D’aucuns verront à ce sujet de troublantes résonances avec l’actualité, des débats autour de la domination masculine aux problématiques sur la gestion des crises sanitaires… Toujours est-il que Benedetta est passionnant dans sa narration, Verhoeven n’hésitant pas de surcroît à brasser les genres, du film historique en costumes au fantastique (on songe parfois à L’exorciste de Friedkin), en passant par le thriller, le fantastique, la comédie et le film d’exploitation érotique. Sur les plans artistique et technique, il faut souligner l’apport essentiel de ses collaborateurs dont la directrice de la photo Jeanne Lapoirie qui a effectué un éclairage à la bougie en hommage à Barry Lyndon. Et le casting est impérial, de Charlotte Rampling en abbesse déclassée à Lambert Wilson (aux antipodes de son personnage dans Des hommes et des dieux), en nonce pas très catholique, en passant par Louise Chevillotte et Guilaine Londez. sans oublier la jeune Daphné Patakia et bien sûr Virginie Éfira dans le rôle-titre.
Il faut toutefois préciser que cette œuvre sulfureuse n’est aucunement un film à scandale, contrairement à ce que suggère la promotion du long métrage dans un contexte de sélection pour un grand festival. On est loin du temps de La grande bouffe ou La dernière tentation du Christ. Le public de 2021 en a vu d’autres et, à l’exception de nostalgiques des commissions de censure des années 50 ou d’intégristes, personne ne sera offusqué par des scènes de violence extrême ou la vue d’une statuette de la Vierge détournée de son usage religieux. Toujours est-il que Benedetta est pleinement cohérent avec la filmographie de Paul Verhoven. Et l’œuvre a tout d’un futur film culte sur la thématique qu’elle déploie, dans la lignée de Les anges du péché (Bresson, 1943), Le narcisse noir (Powell & Pressburger, 1947), Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot (Rivette, 1967), Dans les ténèbres (Almodóvar, 1983) et Thérèse (Cavalier, 1986). Ce qui revient à dire que Benedetta est fondamental et doit absolument être vu.
Critique de Gérard Crespo