Film fauché qui reprend la trame de Carrie, Ænigma bénéficie toutefois d’une bonne ambiance due à la réalisation experte de Lucio Fulci.
Synopsis : Boston, années 1980 – Au sein du collège Saint Mary’s, Kathy subit les moqueries de la part d’un groupe d’élèves et d’un professeur de gymnastique. À la suite d’une mauvaise plaisanterie, l’adolescente est renversée par une voiture et tombe dans un coma profond. À l’hôpital, victime d’un arrêt cardiaque, elle se décorpore. Un peu plus tard, une nouvelle élève, Eva, arrive dans l’établissement. L’esprit de Kathy la possède. Elle deviendra l’instrument de sa vengeance.
Critique : Spécialiste du budget malingre, le producteur Ettore Spagnuolo (Sangraal, La race des violents, L’enchainé) parvient à convaincre Lucio Fulci, maître du macabre italien, de revenir au genre qui a fait sa gloire après plusieurs années d’abstinence. Effectivement, Fulci n’était pas revenu à l’horreur sur fond d’intrigue surnaturelle depuis 1982 (La malédiction du pharaon). Pour cela, il a recours au talent du scénariste Giorgio Mariuzzo qui ne va pas prendre beaucoup de risques en proposant le script d’Ænigma (1987).
Effectivement, à la manière typique des productions italiennes à bon marché, le scénario ne s’embarrasse pas d’originalité puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’un démarquage de Carrie au bal du diable (Brian De Palma, 1976) avec cette vengeance d’une jeune fille au physique ingrat envers ses camarades qui se moquent d’elle. Toutefois, ici, la blague tourne vraiment mal et la jeune femme se retrouve dans le coma. Dès lors, le spectateur y verra l’influence de Patrick (Richard Franklin, 1978) où un homme dans le coma continuait à agir depuis son lit d’hôpital par télékinésie.
Enfin, la localisation de l’intrigue dans un pensionnat pour jeunes filles nous ramène directement au cinéma de Dario Argento auquel on pense beaucoup durant la projection. Ainsi, certains plans semblent directement inspirés par Suspiria (1977), mais aussi par Phenomena (1985). Comme souvent dans le cinéma d’exploitation italien de l’époque, Ænigma n’est donc qu’un patchwork d’influences diverses et variées, mais qui demeure toutefois cohérent dans sa structure narrative plutôt linéaire et lisible.
Finalement, ce qui distingue véritablement le long métrage de l’ensemble de la production bis de l’époque vient de la présence derrière la caméra de Lucio Fulci. Même si celui-ci est déjà diminué par la maladie, il fait preuve d’une imagination toujours débordante pour trouver des cadrages étranges et octroyer à sa réalisation un dynamisme formidable. Sa caméra continue à survoler des grands espaces (ici une maquette malheureusement un peu trop visible), utilise la plongée pour signifier le point de vue omniscient de la jeune vengeresse et livre quelques belles déambulations dans des couloirs à la manière d’Argento, anticipant les mises à mort. Enfin, on lui doit une dernière scène plutôt réussie située dans une morgue à l’esthétisme très conceptuel qui ravira les amateurs de L’au-delà (1981).
Pour l’aider dans sa mission, il dispose d’une bande-son inégale signée Carlo Maria Cordio. Peu intéressante lorsqu’elle tente de coller à la mode pop rock du moment, elle se révèle plus intéressante lorsqu’elle arpente les terres de la musique gothique, comme dans les meilleurs efforts du maître transalpin. Enfin, on signalera quelques meurtres plutôt bien amenés comme celui opéré par une statue de marbre vivante, ou encore la dévoration du corps de l’amant par sa mante religieuse de maîtresse lors d’un accouplement très charnel.
Enfin, le film est souvent cité par les fans du genre pour sa scène culte de l’étouffement d’une protagoniste par des centaines d’escargots répandus sur son corps et son visage. Outre son caractère saugrenu, cette scène manque clairement de tension puisque le gastéropode est surtout remarquable pour sa lenteur et son absence de danger pour l’homme. En revanche, on plaint sincèrement l’actrice qui a du se soumettre à un tel traitement puisqu’il est évident qu’aucun effet spécial n’a été employé à part quelques fausses coquilles pour augmenter la quantité déversée sur la pauvre comédienne.
Même si Lucio Fulci donne tout pour faire d’Ænigma une œuvre valeureuse, il ne peut guère lutter contre un budget que l’on imagine rachitique. Tourné en grande partie en Yougoslavie (Sarajevo, notamment) afin de bénéficier d’une équipe technique payée au rabais, Ænigma crie famine à plusieurs reprises, que ce soit dans ses décors (la chambre d’hôpital un peu rudimentaire, les murs des chambres recouverts de posters de Tom Cruise, David Bowie et Sylvester Stallone pour masquer le vide et coller à l’air du temps, la maquette du quartier vu de nuit) ou dans ses éclairages souvent trop peu contrastés, donnant parfois une texture de téléfilm à l’ensemble.
Enfin, les acteurs ne sont clairement pas des artistes majeurs. Si Lara Lamberti (ici créditée Lara Naszinski) est plutôt correcte en femme possédée par l’âme de la comateuse, on notera l’aspect un brin falot du médecin interprété par Jared Martin. Les autres jeunes actrices sont diversement convaincantes. Agréable à suivre de bout en bout et jamais ennuyeux malgré un scénario plutôt prévisible, Ænigma ne fait assurément pas partie des grands films de son auteur, mais il n’en demeure pas moins appréciable par les efforts souvent fructueux d’un réalisateur toujours inspiré sur le plan visuel.
D’un point de vue purement historique, il convient de signaler qu’il s’agit du tout dernier film de Lucio Fulci à avoir connu une distribution en salles en France à partir du 30 décembre 1987 pour un résultat fort décevant. Il s’agissait bien là des derniers feux d’un cinéma d’exploitation italien à l’agonie. Il fut d’ailleurs présenté lors d’un hommage à Lucio Fulci dans la Section Peur du Festival d’Avoriaz 1988. Une façon plutôt habile de promouvoir le film pour son distributeur AD Diffusion qui était aussi présent au festival avec d’autres œuvres horrifiques (La maison du cauchemar d’Umberto Lenzi et L’Attaque des morts-vivants aka Killing Birds de Claudio Lattanzi)
Par la suite, il a été exploité en VHS chez GCR Distribution, avant d’être redécouvert en DVD chez l’éditeur culte Néo Publishing en 2003. Désormais, il est disponible dans une copie très correcte chez Le Chat qui Fume.
Critique de Virgile Dumez
Proposé dans 9 cinémas Paris-Périphérie, en fin d’année 1987, Aenigma est officiellement l’ultime long métrage de Lucio Fulci à avoir connu une programmation en salle.
Sa première semaine à 9 672 spectateurs démontre une petite curiosité de la part des nostalgiques. Le film réalise 2 759 entrées au Rex, 1 633 à l’UGC Montparnasse, 1 245 à l’UGC Gobelins, 996 à l’UGC Ermitage et 585 à l’UGC Lyon Bastille. Fulci en profite ainsi pour doubler Creepshow 2 qui, pour sa 3e semaine, trouvait encore 8 981 spectateurs.
Pour sa deuxième semaine, Aenigma se retrouve confiné dans 4 salles, dont l’UGC Montparnasse, le Rex et le Galaxie, en intra muros. Désormais le giallo tardif glisse à 3 258 spectateurs.
Sa carrière s’achève sur la capitale à l’issue d’une troisième semaine à 1 803 spectateurs, dans 2 cinémas, dont le Hollywood Boulevard. Bien peu… Creepshow 2, en 5e semaine est au-dessus, avec 2 190 lecteurs de Stephen King.
La série B jugée anachronique dans ce contexte de 1988 aura soulevé l’intérêt de 14 733 spectateurs à Paname et ses environs. En province, sa carrière fut décalée de quelques semaines, sauf à Lyon où il sortit le même jour qu’à Paris pour un total de 1 574 spectateurs en 15 jours, et à Marseille où il agrégea 1 744 envies. A Bordeaux, il parut effectivement le 30 décembre, mais le thriller ne put rester qu’une semaine à l’affiche (901 tickets).
Au gré de copies itinérantes, le film ouvre à Saint-Etienne le 20 janvier 1988, le 27 à Grenoble…
Box-office par Frédéric Mignard
© 1987 Variety Distribution S.r.l. – Rome, Italy / Affiche : Luciano Luca Crovato. Tous droits réservés.
Lucio Fulci, Jared Martin, Lara Lamberti, Sabrina Siani, Ulli Reinthaler, Sophie d’Aulan
Cinéma bis italien, Possession démoniaque, Festival d’Avoriaz 1988, La vengeance au cinéma, La télékinésie au cinéma