Edito : En ce jour des César 2023. Etat des lieux du cinéma français.
Le cinéma français affiche un bilan chiffré en demi-teinte pour l’ensemble de l’année 2022. Beaucoup de comédies médiocres, aucune production d’ampleur. Nos films ne sont pas parvenus à se hisser dans le top 10 annuel, démontrant leur incapacité à parler d’une seule voix.
Notre exception française ne fédère pas. Elle divise. Elle n’est pas universaliste, mais parcellaire. Elle provoque même des réactions épidermiques entre gourous du tout inclusif à l’américaine et conservateurs aux relents nauséabonds. Le cinéma français est devenu le théâtre d’une guerre culturelle où l’idéologie de Gauche et de Droite s’écharpe, avant même d’envisager le cinéma comme une œuvre d’ambition cinématographique. Le cas de Rodéo, devenu le parangon du film à haïr, en raison de sa mise en scène des fameux rodéos urbains, est ainsi évocateur. Il a été ainsi la cible obsessionnelle de la chaîne moraliste droitière spécialisée dans les faits divers et les questions d’insécurité en France, CNews.
Les conséquences qualitatives de cette guéguerre sont donc à l’avenant, puisque le cru cinématographique 2022 n’est vraiment pas bon, démontrant un divorce thématique entre les préoccupations quotidiennes des Français, et les leçons de morale du 7e art hexagonal qui n’a vraiment pas fait dans la psychologie et la complexité, se refusant à poser des question pour se contenter d’intentions.
Par ailleurs, l’envie de divertissements de qualité n’a pas été entendue. Le divertissement prend au mieux, dans le cinéma social, la forme de feel-good movies gavés de bons sentiments, à l’occasion de films où l’on retrouve une vraie complaisance envers les pauvres, les migrants, et les jeunes des quartiers défavorisés, la complaisance d’un regard bienveillant finalement assez méprisant, autour des mêmes figures victimisées.
Pour essayer d’empocher de l’argent facile, les producteurs ont surtout misé sur des comédies insipides, vecteurs essentiels de notre cinéma commercial, mais jamais avec le talent d’un Francis Veber des grandes heures. A côté, le cinéma de genre a été rare et peu fructueux. Le polar a même été insuffisamment considéré. En fait, le regard des auteurs français s’est américanisé dans son goût pour la formule. Les louanges que Cédric Klapisch a reçues, après 30 ans de carrière, pour En Corps, en est une illustration patente. Ce poncif qui reprend plus ou moins la même histoire qu’un Sexy dance, avec une réalisation planplan ne nous donne pas forcément envie de l’applaudir et d’en demander encore. On préfèrera revoir Black Swan de Darren Aronofsky qui correspond exactement à ce que l’on souhaiterait voir en France, et en particulier aux César.
La 48e nuit des César a donc pour but d’unir une profession déchirée par les guerres générationnelles, d’ego et de genres. Cela sera difficile. Quelques-uns des meilleurs films de l’année n’ont pas été nommés (l’absence d’Un autre monde de Stéphane Brizé est inexplicable). L’invisibilité des réalisatrices dans la catégorie du Meilleur réalisateur a provoqué une controverse inutile nourrissant une fois de plus une obsession thématique qui s’est rependue jusque dans les films réalisés par des hommes (La nuit du 12) dont on se demande où ils étaient, il y a 20 ans, pour ne pas avoir tenu ces mêmes discours alors, plutôt que de tous les faire en même temps, créant un sentiment de lassitude et de désintérêt. L’absence d’Alice Diop peut néanmoins poser question (voir cet article sur Saint Omer).
Mais si on évoquait réellement la réalisation au lieu de mettre en avant les critères de genre ? Il serait évident que le vrai scandale serait le snobisme de l’académie envers Gaspar Noé, dont Vortex a su démontrer le sens d’une caméra, du cadre au service d’un récit, d’histoires plurielles, et d’une humanité bouleversante. Dans Vortex, le cinéaste argentin n’y parle pas de genre, mais d’un homme et d’une femme en fin de vie. En scindant son écran en deux, pendant tout le film, pour mieux suivre ces deux destinées perdues, il confine tout simplement à l’universel de l’individu et du couple.
Vortex aurait dû être nommé dans de nombreuses catégories comme celle du Meilleur film, réalisateur, acteur (Dario Argento), second rôle masculin (Alex Lutz), et surtout de la Meilleure actrice pour Françoise Lebrun (La maman et la putain d’Eustache). Elle est inoubliable dans son rôle de femme souffrant de démence. Cette grande dame de 78 ans n’a par ailleurs jamais reçu de César et pourtant son parcours mérite qu’on s’attarde sur elle. L’Académie a préféré la sécurité en choisissant Virginie Efira qui, aussi sympathique soit-elle, a plus été omniprésente que vraiment bouleversante. On respecte ce choix. Une nommée en plus ne leur aurait rien coûté.
In fine. A l’issue des César, au lieu de se jeter comme des moutons sur l’heureux couronné de la soirée, il serait pertinent d’accorder à Gaspar Noé, en priorité, le respect qu’il mérite.
Les César de la rédaction
Les coups de cœur de Frédéric Mignard
César du meilleur film
- Vortex, de Gaspar Noé
César de la meilleure réalisation
- Gaspar Noé pour Vortex
César du meilleur premier film
- Saint Omer , d’Alice Diop
César du meilleur film étranger
- Eo, de Jerzy Skolimowski
César du meilleur documentaire
- Lynx de Laurent Geslin
César du meilleur acteur
- Bastien Bouillon dans La nuit du 12
César de la meilleure actrice
- Françoise Lebrun dans Vortex
César de la meilleure actrice dans un second rôle
- Melissa Olexa dans Petite nature
César du meilleur acteur dans un second rôle
- Bouli Lanners dans La nuit du 12
César du meilleur espoir masculin
- Aliocha Reinert dans Petite nature
César du meilleur espoir féminin
- Guslagie Malanda dans Saint Omer
César du meilleur scénario original
- Alice Diop, Amrita David, Marie Ndiaye pour Saint Omer
César de la meilleure musique originale
- Irène Drésel pour A plein temps
César du meilleur son
- Indochine : Central Tour au cinéma
César de la meilleure photo
- Sébastien Buchman pour Les passagers de la nuit
César du meilleur montage
- Denis Bedlow et Gaspar Noé pour Vortex
César des meilleurs décors
- Arnaud Lucas pour Bruno Reidal, confession d’un meurtrier
Les coups de cœur de Virgile Dumez
César du meilleur film
- Vortex , de Gaspar Noé
César de la meilleure réalisation
- Gaspar Noé pour Vortex
César du meilleur premier film
Bruno Reidal, confession d’un meurtrier, de Vincent Le Port
César du meilleur film étranger
- Eo, de Jerzy Skolimowski
César du meilleur acteur
- Vincent Macaigne dans Chronique d’une liaison passagère
César de la meilleure actrice
- Françoise Lebrun dans Vortex
César de la meilleure actrice dans un second rôle
- Melissa Olexa dans Petite nature
César du meilleur acteur dans un second rôle
- Quito Rayon Richter pour Les Passagers de la nuit
César du meilleur espoir masculin
- Aliocha Reinert dans Petite nature
César du meilleur espoir féminin
- Guslagie Malanda dans Saint Omer
César du meilleur scénario original
- Emmanuel Mouret et Pierre Giraud pour Chronique d’une liaison passagère
César de la meilleure musique originale
- Anton Sanko pour Les passagers de la nuit
César du meilleur son
- Cédric Deloche, Alexis Place, Gwennolé Le Borgne, Marc Doisne pour Novembre
César de la meilleure photo
- Sébastien Buchman pour Les passagers de la nuit
César du meilleur montage
- Denis Bedlow et Gaspar Noé pour Vortex
César des meilleurs décors
- Arnaud Lucas pour Bruno Reidal, confession d’un meurtrier
César des meilleurs effets visuels :
- Laurens Ehrmann pour Notre-Dame brûle
César des meilleurs costumes
- Véronique Gély pour Bruno Reidal, confession d’un meurtrier
Les coups de cœur de Gérard Crespo
César du meilleur film
- Le lycéen, de Christophe Honoré
César de la meilleure réalisation
- François Ozon, pour Peter von Kant
César du meilleur premier film
- Le sixième enfant, de Léopold Legrand
César du meilleur film étranger
- Sans filtre , réalisé par Ruben Ostlund
César du meilleur documentaire
- Jane par Charlotte, de Charlotte Gainsbourg
César du meilleur acteur
- Denis Ménochet dans Peter von Kant
César de la meilleure actrice
- Virginie Efira dans Revoir Paris
César de la meilleure actrice dans un second rôle
- Isabelle Adjani dans Peter von Kant
César du meilleur acteur dans un second rôle
- Bouli Lanners dans La nuit du 12
César du meilleur espoir masculin
- Paul Kircher dans Le lycéen
César du meilleur espoir féminin
- Rebecca Marder dans Une jeune fille qui va bien
César du meilleur scénario original
- Christophe Honoré pour Le lycéen
César de la meilleure adaptation
- François Ozon pour Peter von Kant
César de la meilleure musique originale
- Yoshihiro Hanno pour Le lycéen
César du meilleur son
- Cédric Deloche, Alexis Place, Gwennolé Le Borgne, Marc Doisne pour Novembre
César de la meilleure photo
- Manuel Dacosse pour Peter von Kant
César du meilleur montage
- Denis Bedlow pour Vortex
César des meilleurs costumes
- Pascaline Chavanne pour Peter von Kant
César des meilleurs décors
- Katia Wyszkop pour Peter von Kant
César des meilleurs effets visuels
- Mikaël Tanguy pour Novembre
Les coups de cœur de Claudine Levanneur
César du meilleur film
- La nuit du 12, de Dominik Moll
César de la meilleure réalisation
- Cédric Jimenez pour Novembre
César du meilleur premier film
- Le sixième enfant, de Léopold Legrand
César du meilleur film étranger
- La conspiration du Caire, de Tarik Saleh
César du meilleur documentaire
- Jane par Charlotte, de Charlotte Gainsbourg, produit par Mathieu Ageron, Maxime Delauney, Romain Rousseau, Charlotte Gainsbourg
César du meilleur film d’animation
- Ma famille afghane, de Michaela Pavlatova, produit par Ron Dyens
César du meilleur acteur
- Louis Garrel dans L’innocent
César de la meilleure actrice
- Laure Calamy dans A plein temps
César de la meilleure actrice dans un second rôle
- Judith Chemla dans Le sixième enfant
César du meilleur acteur dans un second rôle
- Pio Marmaï dans En corps
César du meilleur espoir masculin
- Bastien Bouillon dans La nuit du 12
César du meilleur espoir féminin
- Rebecca Marder dans Une jeune fille qui va bien