Saint Omer : la critique du film + le test DVD (2022)

Drame | 2h02min
Note de la rédaction :
7.5/10
7.5
Saint Omer, affiche du film

  • Réalisateur : Alice Diop
  • Acteurs : Salimata Kamate, Aurélia Petit, Kayije Kagame, Guslagie Malanda
  • Date de sortie: 23 Nov 2022
  • Année de production : 2022
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Saint Omer
  • Titres alternatifs :
  • Scénaristes : Amrita David, Alice Diop, Marie N'Diaye
  • Autres acteurs : Adama Diallo Tamba, Atillahan Karagedik, Ege Güner, Fatih Sahin, Lionel Top, Mariam Diop, Mustili, Robert Cantarella, Salih Sigirci, Thomas de Pourquery, Valérie Dréville, Xavier Maly
  • Directeur de la photographie : Claire Mathon
  • Monteur : Amrita David
  • Producteurs : Toufik Ayadi, Christophe Barral
  • Sociétés de production : Srab Films, Arte France Cinéma (coproduction), Pictanovo (Coproduction)
  • Distributeur : Les Films du Losange (France), Super LTD (Etats-Unis)
  • Distributeur reprise :
  • Date de sortie reprise :
  • Editeur vidéo : Blaq Out (DVD)
  • Date de sortie vidéo : 4 avril 2023
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 94 449 entrées / 31 483 entrées
  • Box-office nord américain / monde : 213 953$ / 805 022$
  • Budget : 3 500 000 euros
  • Rentabilité :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur (DCP) / Dolby Digital
  • Festivals et récompenses : 3 prix au Festival de Venise 2022 (Lion d'Argent, Meilleur premier film, Edipo Re Award), Sélection au Festival International du Film Indépendant de Bordeaux 2023, Grand Prix aux Ghent International Film Festival (2022), Sélection au London Film Festival 2022, 2 prix au Seville European Film Festival 2022 (Meilleur film, Meilleur scénario), Meilleur réalisatrice au Hainan International Film Festival 2022, Meilleur scénario au Chicago International Film Festival 2022, 2 prix au Palm Springs International Film Festival (dont Meilleur film en langue étrangère, 2023)
  • Récompenses : Prix Jean Vigo 2022, 4 nominations aux César 2023 (Meilleur premier film, Meilleur espoir féminin pour Guslagie Malanda, Meilleure photographie, Meilleur scénario original), Meilleur film au African-American Film Critics Association Awards, 4 nomination aux Lumière Awards, 1 nomination aux European Film Awards (Meilleure réalisation), 1 nomination aux Gotham Awards (Meilleur film international), 1 nomination aux Film Independent Spirit Awards (2023), Prix du Meilleur Film International aux Black Reel Awards (2023),
  • César : Prix du Meilleur Premier Film et de la Meilleure photographie
  • Illustrateur / Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Srab Films, Arte France Cinéma. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Saint Omer n’était sûrement pas, pour la France, le bon film à envoyer aux Oscars. La première fiction d’Alice Diop valait en fait mieux, tant son approche hors des canons du cinéma d’auteur commercial, a permis à sa première fiction de compter parmi les meilleures productions hexagonales de l’année 2022.

Synopsis : Rama, jeune romancière, assiste au procès de Laurence Coly à la cour d’assises de Saint-Omer. Cette dernière est accusée d’avoir tué sa fille de quinze mois en l’abandonnant à la marée montante sur une plage du nord de la France. Mais au cours du procès, la parole de l’accusée, l’écoute des témoignages font vaciller les certitudes de Rama et interrogent notre jugement.

Une reconnaissance à la Mostra de Venise, une humiliation aux Oscars

Critique : Emportée par l’enthousiasme autour d’un Grand Prix surprise à Venise, l’élan féministe qui s’abat sur le cinéma français, et très certainement la volonté de toucher les Américains par une problématique ethnique forte, la France a envoyé Saint Omer se casser les dents aux Oscars. Le film en ressortira humilié, puisque non sélectionné pour la compétition finale. Il reproduit ainsi la déroute de Titane, un an plus tôt. En 2022, cette expérience trash, violente, underground et queer, réalisée par une femme (Julia Ducournau), palmée dans le plus grand des festivals, avait essuyé le même affront en visant une cérémonie hollywoodienne à laquelle elle n’était tout simplement pas adaptée, notamment dans le ton de ce qui est requis pour l’emporter. La France a fait le choix du symbole pour les Oscars, oubliant la réalité cinématographique des enjeux de cinéma.

Un écho médiatique trompeur

Or, Saint Omer vaut mieux qu’un Oscar du Meilleur film étranger, car ses qualités ne collent pas au diktat d’un académisme ronflant construit sur l’explicite et les poncifs. Ses chiffres au box-office français ont été décevants par rapport à l’écho médiatique énorme qu’il a reçu. Pis, aux USA, l’événement n’a pas eu lieu, avec un cuisant échec dans les cinémas. Le symbole que les médias ont voulu construire autour de Saint Omer ne colle tout simplement pas à la réalité brillante d’une œuvre de subtilité, de rigueur, jamais dans la démonstration, toujours dans l’auscultation.

Saint Omer et le travail chirurgical d’Alice Diop

La réalisatrice Alice Diop est une intellectuelle, formidablement engagée dans les documentaires qu’elle a réalisés jusqu’à maintenant. Elle construit une réflexion complexe sur la société qu’elle tisse comme une toile. Son cinéma est celui d’une thèse qui s’écrit au fil de ses ouvrages filmiques. Sa caméra est comme celle de Frédéric Wiseman, ancrée dans l’observation, le commentaire en filigrane, et le refus de l’émotion immédiate. Ses personnages valent mieux que cela. Sa leçon de cinéma explique précisément son absence aux César, dans la catégorie du meilleur réalisateur, puisqu’à vrai dire, ce n’est pas la réalisation qui brille le plus dans Saint Omer. C’est l’harmonie des talents conjugués qui mène à la grandeur de l’œuvre.

Saint Omer, affiche américaine du film d'Alice Diop

Affiche américaine de Saint Omer – Distributeur Super LTD. All Rights Reserved. / © 2022 SRAB Films, Arte France Cinéma

Un cinéma profondément intellectuel qui valorise l’humain dans sa complexité

Le style filmique d’Alice Diop n’est pas celui de l’épate, il est dans une retenue technique pour coller au plus près de ses sujets. L’autrice valorise l’humain, les lieux dans leurs significations, et accorde une place importante aux mots. On comprend donc que cela soit Les Films du Losange qui ait distribué son premier effort de fiction, de par l’exigence même de cette société fondée par Eric Rohmer et Barbet Schroeder dont beaucoup d’œuvres ont en commun ce délicieux ADN art et essai qui les prive d’un public large. Ce n’est pas pour nous déplaire. Au contraire.

De Rohmer, on retrouve un certain goût pour l’oralité dans Saint Omer. Alice Diop met en scène le procès d’une femme noire pour infanticide. Une femme que l’on aurait imaginée d’une classe défavorisée et donc moins armée dans les mots. Un cliché de classe et de couleur dont la réalité de l’histoire – il s’agit d’un scénario basé sur une histoire vraie – se débarrasse avec un talent manifeste, puisque les dialogues que l’actrice Guslagie Malanda débite, dans ce rôle, avec fluidité, dans un français châtié, renvoient à un cinéma de l’écrit dont Rohmer, dans un genre plus léger, était le chantre délicieux. La rigueur de restitution, quasi documentaire, est épatante. Lors de longues séquences verbales, l’actrice y démontre une magnifique capacité dramatique à captiver, émouvoir, effrayer et manipuler. Elle est déconcertante de talent. Elle restitue bien l’énigmatique affaire Fabienne Kabou, dans son opacité,

L’actrice découverte chez Jean-Paul Civeyrac en 2014, dans Mon amie Victoria est juste brillante.

La femme noire, érigée en un magnifique vecteur d’universalité

A l’écran, bien qu’elle s’en défende, Alice Diop semble se mettre en scène dans l’audience, à travers le personnage de Rama (formidable Kayije Kagame), une romancière noire qui assiste à ce procès de fait divers, et pourtant hors normes. Cette intellectuelle du verbe se retrouve elle-même bouleversée dans ce récit miroir et métaphysique de maternité où s’intensifie un rapport pluriel à la mère. L’homophonie est ambivalente, puisque c’est à la “mer”, sur une plage du Nord, que Fabienne Kabou abandonna son enfant comme si elle avait souhaité qu’il puisse retrouver la matrice originelle.

La réalisatrice dépeint dans ce récit de femme noire une universalité qui dépasse les couleurs et les genres. Alice Diop a souvent évoquée cette ambition, cet argument ne vient pas de nous, mais force est d’admettre qu’elle parvient brillamment à ses fins, manifestant dans l’ambiguïté de l’accusée la complexité de l’être qui ne peut se réduire à une couleur, voire à une action, aussi abominable soit-elle. Aussi, ce film de procès est ainsi l’antithèse de La nuit du 12, de Dominik Moll, film enquête qui menait à la culpabilité de tous les hommes, en abusant parfois de dialogues surlignés d’intentions. Saint Omer, lui, démontre sa grandeur dans sa capacité à faire voler en éclats la binarité des actes et en soustrayant les intentions de son auteure.

Une œuvre unique qui mérite mieux qu’un Oscar

Œuvre puissamment déconcertante, Saint Omer n’a pas le charme immédiat du cinéma d’auteur mainstream vendu par des campagnes de lobbying ennuyeuses. C’est ce qui fait sa force, son unicité, n’en déplaise à ceux qui auraient aimé le voir concourir aux Oscars et aux César dans les plus hautes sphères. Saint Omer mérite encore une fois bien mieux, car il est bien plus que tout cela.

Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 23 novembre 2022

Saint Omer, affiche du film

Photo © Laurent Le Crabe – Design : Le Cercle Noir pour Fidélio

Biographies +

Alice Diop, Kayije Kagame, Guslagie Malanda, Salimata Kamate, Aurélia Petit

Mots clés

Infanticide, Procès, Mères, Venise 2022, César 2023

Box-office :

En raison d’une présence médiatique forte, d’un engouement immodéré de la presse, de prix prestigieux en festival, et d’une ambition pour les Oscars, on peut sans aucun problème considérer Saint Omer comme un échec en France. Ce petit budget que son distributeur espérait voir au-dessus des 250 000 entrées, a dû se contenter de 95 000 spectateurs en bout de course. Certes, sa forme est radicale et il n’y avait pas de vedettes, mais il a tout de même coûté plus de 3 millions d’euros.

Malheureusement, l’attente autour d’un film survendu, a surtout livré un goût d’amertume à tous. On pense au public (le bouche-à-oreille a été mauvais), au distributeur (qui est monté jusqu’à 330 copies) et aux exploitants (les salles ont affiché d’affreuses moyennes). Et évidemment, nous pensons à Alice Diop qui avait toutes les raisons de croire à plus.

Les Français n’y vont pas

En première semaine, sur la France, Saint Omer commence une carrière assez brève dans 199 cinémas, à un niveau très moyen de 39 560 spectateurs. Le Grand Prix du Jury de Venise, pourtant français, rate ainsi le top 10 hebdomadaire. Depuis le Paris 14h (591 spectateurs dans 17 salles), rien ne laissait présager une première semaine performante, mais Les Films du Losange misait surtout sur une stabilité en deuxième semaine. Mais le bouche-à-oreille ne viendra pas.

La deuxième semaine est rude avec une baisse de 45% alors que le drame récupère 81 copies supplémentaires (21 811 entrées dans 280 salles).

En semaine 3, la chute s’accentue (-48%), malgré un apport de 40 écrans. Désormais à 11 318 spectateurs dans 330 cinémas, la première fiction d’Alice Diop est en souffrance. Le public semble la rejeter alors que tout semblait lui préparer un avenir radieux : un succès commercial, une nomination aux César comme Meilleur film, et une nomination certaine aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère. Rien ne se passera comme cela.

Ainsi, en 5e semaine, Saint Omer en est réduit à des miettes (2 191 spectateurs).

Quatorze semaines après sa sortie, la veille des César où Diop voit son film nommé dans la section Meilleur premier film, le distributeur n’a toujours pas recensé 100 000 spectateurs. Une déconvenue aigre car inattendue.

Les Américains non plus

Aux USA, où le drame français a largement fait le tour des festivals et où Alice Diop s’est laissé aller au jeu de la promotion, l’échec est foudroyant. Proposé avec beaucoup d’espoirs dans les grandes villes progressistes, sur 245 écrans, le film ne rassemble que 69 000$ sur ses 3 premiers jours, affichant une moyenne catastrophique de 282$ par salle.

Le week-end précédant l’annonce des nominations aux Oscars, Saint Omer s’effondre à 28 000$ (-59%). Les salles l’ont massivement abandonné (-220 cinémas). En 3e semaine, Saint Omer a vu son exposition réduite à 12 salles sur tout le continent nord-américain. Un échec qui interpelle puisqu’à la fin du mois de février 2023, le film d’Alice Diop n’a engrangé que 213 000$ aux USA, et à peine le double en France.

Frédéric Mignard

Le test du DVD

Pas de sortie HD pour ce très beau film qui n’a pas connu le succès escompté en salles. En compensation, l’éditeur Blaq Out propose une copie SD d’excellente tenue. Test réalisé à partir du produit finalisé.

Packaging & Compléments : 2.5 / 5

Si le boitier est un classique Amaray, il est toutefois inséré dans un fourreau cartonné qui reprend l’affiche très sobre du long-métrage. En termes de suppléments, l’éditeur s’est concentré sur un court entretien de 9 minutes avec la réalisatrice Alice Diop accordée à l’association “De la suite dans les images”. La cinéaste au débit de parole fluide parvient en très peu de temps à expliquer sa démarche artistique, ce qui vient confirmer les sentiments qui nous habitent durant la projection. Si son intervention est donc très courte, elle est suffisante pour bien comprendre le but recherché.

L’image : 4.5 / 5

Il s’agit assurément du gros point fort de cette édition qui met particulièrement en valeur la très jolie photographie du film. Les couleurs sont parfaitement retranscrites, tandis que les images sont d’une belle précision faisant quasiment oublier l’absence de galette blu-ray sur le marché. De quoi constater une réelle démarche artistique, et non naturaliste comme on a pu trop souvent le lire, de la part d’une réalisatrice au point de vue artistique très affirmé.

Le son : 4 / 5

Ce n’est pas avec Saint Omer que vous assourdirez vos voisins puisque le film est volontairement intimiste. Toutefois, le choix de la piste 5.1 s’impose de lui-même afin de mieux faire ressortir l’ambiance feutrée du tribunal, ainsi que les quelques éclats musicaux, même rares. L’ensemble est parfaitement mixé et les voix sont judicieusement mises en avant. On notera les présences de pistes pour malentendants et une piste en audiodescription.

Test du DVD :  Virgile Dumez

Saint Omer, jaquette DVD

Photo © Laurent Le Crabe – Design : Le Cercle Noir pour Fidélio / Graphisme : L’Atelier d’Images. Tous droits réservés.

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Saint Omer, affiche du film

Bande annonce de Saint Omer

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