En se concentrant davantage sur le désarroi des enquêteurs que sur la résolution du crime, La nuit du 12 s’érige en polar social captivant et humaniste qui ne manque ni de tension, ni de vivacité. Il a remporté 6 César, Meilleur Film, Meilleur réalisateur, Meilleur second rôle masculin, Meilleur espoir masculin, Meilleure adaptation, et Meilleur son.
Synopsis : Dans les couloirs de la Police Judiciaire, il se raconte que chaque enquêteur a un crime qui le hante. Un jour ou l’autre, il tombe sur une affaire qui lui fait plus mal que les autres, sans qu’il sache toujours pourquoi. Elle se met à lui tourner dans la tête jusqu’à l’obsession. Yohan vient d’être nommé chef de groupe à la Brigade Criminelle de Grenoble, c’est le meurtre de Clara. Pour son enquête Yohan fait équipe avec un dénommé Marceau.
Un réalisateur qui vous veut du bien
Critique : Depuis Un ami qui vous veut du bien (2000), Dominik Moll tient une place de choix dans le cœur des amateurs de thrillers haletants. S’il emprunte quelques chemins de traverse en adaptant un roman gothique (Le moine), en signant des séries télévisées ou en se perdant dans une comédie familiale loufoque (Des nouvelles de la planète Mars), il ne se départit jamais de son sens de l’observation, de son habileté narrative et de son goût du suspense qui éclatent particulièrement dans Seules les bêtes (2019). Cette fois, épaulé par son habituel co-scénariste, Gilles Marchand, il adapte partiellement le roman de Pauline Guéna 18-3, une année à la PJ et fait le pari osé de nous priver du nom du coupable. En effet, dès l’ouverture du film, un panneau nous informe qu’à l’instar de milliers d’affaires criminelles, celle-ci ne sera pas résolue. De quoi inquiéter ceux qui comptaient bien se plonger une nouvelle fois dans une ambiance étouffante et dérangeante. Pourtant, le mystère, qui entoure cette énigme policière racontée à hauteur de flics, dépasse bien vite le stade de l’enquête pour dévoiler subrepticement les méandres des fonctionnements institutionnels et humains.
Enquête sur un féminicide effroyable
Tête baissée, mu par une énergie décuplée, un homme enchaîne les tours de vélo sur une piste. Sans transition, les plans suivants nous font partager le retour chez elle d’une jeune femme, heureuse de cette soirée qu’elle vient de passer avec une amie. Un hasard tragique la met sur la route d’un homme encapuchonné qui l’asperge d’essence et craque une allumette.
S’enclenche alors la mécanique narrative qui a fait la réputation de ce réalisateur atypique. Sans esbroufe, avec une efficacité redoutable il décortique la banalité de la violence faite aux femmes dans un monde essentiellement régi par les hommes. Clara, la victime, est une jeune femme libre et jolie. Face à l’inexplicable, il n’en faut pas plus pour la cataloguer volage. Son amie Nanie (Pauline Serieys) s’ingénie à défendre sa mémoire. Son face à face avec Yohan (Bastien Bouillon) fait basculer le film dans une nouvelle dimension. Ce fonctionnaire de police aguerri, cependant de plus en plus déstabilisé par les horreurs auxquelles il est confronté, prisonnier d’un système qui lui offre peu de moyens mais attend beaucoup de lui, prend alors conscience de son incapacité et de celle de ses collègues à mener à bien une affaire et de la détresse qui en découle pour les victimes certes mais aussi pour les enquêteurs.
Des acteurs et des actrices brillants
Avec Marceau (Bouli Lanners), il forme un binôme désaccordé qui, à travers ses contradictions et ses heurts, révèle le mal-être d’hommes usés par la pression et l’indifférence d’une hiérarchie atone. Pendant que Bouli Lanners ruisselle d’humanité, Bastien Bouillon revêt avec courage les habits de meneur d’hommes et dans une même conjugaison de talents, ils transmettent humour et drame. Et quand enserré entre les parois de ces montagnes savoyardes, tout à la fois oppressantes et majestueuses, le récit menace de dangereusement tourner en boucle, l’arrivée d’une juge providentielle (l’impeccable et trop rare Anouk Grinberg) relance l’attention et l’infime espoir d’une fin aboutie.
Outre un casting brillant, des textes forts, une mise en scène construite au cordeau, l’addition d’une multitude d’acteurs (et surtout d’actrices) qui, à tour de rôle, apportent leur pierre à cet édifice remarquablement équilibré font de cette nuit du 12 un plaidoyer captivant et humaniste pour une société meilleure.