Vortex de Gaspar Noé est l’œuvre la plus mature et aboutie de l’auteur. Malaisante mais douloureusement humaine, un paroxysme dans une carrière choc.
Synopsis : Un couple de personnes âgés sombre peu à peu dans la sénilité. Leur fils, impuissant, doit répondre à ses propres démons quand la situation dégénère.
Critique : Le synopsis cannois de Vortex en dit long : «La vie est une courte fête qui sera vite oubliée.» Le ton est donné. Funeste, mais réaliste. Cruel, mais philosophe. Amer, mais réaliste.
© 2021 Rectangle Productions – Wild Bunch International – Les Cinémas De La Zone – Knmartemis Productions – Srab Films – Les Films Velvet – Kallouche Cinéma. Tous droits réservés / All rights reserved
Le nouveau vortex d’émotions fortes d’un Gaspar Noé inattendu
Exit le Gaspar Noé des provocations, des trips sous acide légendaires (Enter the Void), des dancefloors cannibales (Climax), du plan-séquence de viol insoutenable qui avait froissé la Croisette (Irréversible), ou des scènes crues et “sexplicites” de Love. Noé approche de la soixantaine. Après des expériences familiales et personnelles qui changent un homme (une hémorragie cérébrale lui a fait frôler la mort), le sujet et la tonalité de son nouvel objet cinématographique est grave, puissant, émouvant. Radical aussi. Son cinéma devient lucide quand son œuvre jusqu’à présent s’était inébranlablement bâtie sur une approche extralucide.
Assister au déclin d’un vieux couple d’intellectuels qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes dans un appartement qui croule sous les souvenirs chargés d’une vie qui n’est plus, est forcément lugubre. D’autant que Vortex n’épargne pas les détails d’un quotidien morne qu’il retrace avec une précision chirurgicale. Il évoque la dégénérescence mentale et corporelle, en balayant d’un revers de main l’originalité de ce qu’il raconte : «C’est juste l’histoire d’un effondrement génétique programmé», lâche-t-il pour résumer son œuvre qui fait suite au film à Oscars The Father ou à la Palme d’or cannoise Amour de Haneke. C’est magnifiquement dit, de façon clinique, mais sans pour autant être désabusé.
L’horreur est humaine
Pour relater la fin de vie du couple magnifique que forment Dario Argento et Françoise Lebrun, deux figures que le cinéaste vénère et qu’il pousse dans des retranchements psychologiques qui forcent le respect, le cinéaste argentin n’a pas abandonné la virtuosité technique. Il utilise la technique narrative du split-screen pour isoler l’errance de ses protagonistes, que l’on suit en parallèle dans leur combat quotidien contre la maladie. Le procédé n’est nullement tape-à-l’œil ou gratuit, il construit toute une psychologie et un sentiment palpable de peur et d’isolement chez ses êtres déclassés de la société, totalement vulnérables, qui ne peuvent plus s’assurer dans un cas de la bienveillance de leur corps ou dans l’autre de leur mental. La déchéance s’installe, mais chacun dans le couple se voit offrir un traitement identique, un poids similaire. Leur déambulation double accentue la détresse et rend la projection lourde, pesante, voire anxiogène. Et pourtant, poétique et poignante, avec des touches de lumière.
© 2021 Rectangle Productions – Wild Bunch International – Les Cinémas De La Zone – Knmartemis Productions – Srab Films – Les Films Velvet – Kallouche Cinéma. Tous droits réservés / All rights reserved
Vortex, une mise en abyme radicale
Dans Vortex, Gaspar Noé remplit doublement l’image par ses personnages sublimes, au sens gothique et romantique de l’adjectif, car au bord du précipice qui va les happer à jamais. La grandeur passée de ces deux êtres, lui critique émérite de cinéma, elle médecin, femme de science, obsédée par les médicaments qu’elle s’autoprescrit encore au risque de sa vie (l’addiction est l’un des grands thèmes de Vortex, comme souvent chez Noé), devient un théâtre absurde, celui d’une fin de vie que l’on prend forcément avec la dévastation de la mise en abyme, tant l’universalité de ce qui est décrit, rend l’expérience cinématographique difficile, mais nécessaire.
La maladie au cinéma
La puissance narrative et la construction du récit ne sont rien sans le mérite des acteurs. Au-delà des deux vétérans qui sont dans une perfection égale, on n’omettra pas de souligner l’incroyable jeu d’Alex Lutz. Le comédien caméléon de Guy et Cinquième set se transforme à l’écran dans sa vulnérabilité ; il s’approprie les angoisses et le désespoir de situations, avec une infinie justesse. Habile dans l’improvisation, physiquement époustouflant dans sa présence, il se pose au bord de son propre précipice et force le respect.
Gaspar Noé et la diversité du talent
Malgré sa thématique (Alzheimer, la dégénérescence, la perte de la dignité dans ses derniers instants, la souffrance du fils quadragénaire incapable de gérer l’insupportable et sa propre déchéance), Vortex n’est pas une œuvre qui suscite le regret. Elle interpelle dans sa capacité cathartique à nous replacer dans notre propre expérience. Elle n’est jamais une épreuve que l’on ne souhaiterait voir qu’une seule fois dans sa vie de cinéphile et ne plus jamais revenir dessus. Gaspar Noé et sa minutie de peintre, sa dextérité de technicien, sa poésie d’allumé, délivre un objet de fascination qui occupe une part importante du spectateur que l’on devient après la projection. La dualité du traitement du récit singularise l’expérience. L’unicité expérimentale nous fait pénétrer dans une famille dont la douleur, la panique et le désarroi devient nôtre.
Et c’est avec incompréhension que l’on constate la présence du film sur la Croisette, dans la sélection “Cannes Première”. Ce monument d’un cinéma de fiction, à la fois personnel et documentaire, atteint les hauteurs de la Compétition 2021 ; il écrase bien des choix plus incongrus. Il aurait probablement mérité une place au palmarès.
Depuis, Wild Bunch a laissé Vortex accomplir un magnifique tour du monde des festivals avant de poser la date de sortie française au 13 avril 2022. Deux mois avant la sortie, l’affiche de Laurent Lufroy (au sein de sa société Couramiaud) épate et donne le ton. Aux César, en 2023, de ne pas oublier cette descente âpre dans les enfers de la maladie.
Sorties de la semaine du 13 avril 2022
Design : Couramiaud / Laurent Lufroy