Né en 1944, Alan Parker est un cinéaste britannique qui a soulevé les foules entre 1978 et 1996, avec des films clivants qui ont profondément marqué leur époque, même si la critique élitiste n’a pas suivi l’auteur, pourtant souvent sélectionné à Cannes. Souvent boudé aux Oscars et BAFTA, il réalisa 14 longs métrages en 44 ans. Il décède en 2020, à l’âge de 76 ans, des suites d’une longue maladie.
Issu de la publicité, Alan Parker réussit le pari, pour son premier long métrage, de réaliser un film de gangster musical entièrement incarné par des enfants. Bugsy Malone (Du riffifi chez les mômes, en VF) est aussi l’occasion de retrouver Jodie Foster qui sortait de Taxi Driver. Le film, désormais culte, est sélectionné Cannes, connaît le succès, et se voit nommé aux BAFTA et Oscars.
Midnight Express, le triomphe d’Alan Parker
Alors qu’il est envisagé pour le tournage de The Wiz, musical avec Michael Jackson et Diana Ross reprenant l’histoire du Magicien d’Oz, Alan Parker préfère se tourner sur la mise en scène d’un fait-divers qui défraya la chronique : l’incarcération à Istanbul de Billy Hayes, étudiant américain qui passa plusieurs années dans les geôles turques pour avoir transporté du haschich. Le film est présenté à Cannes en 1978 et connaît un succès phénoménal dans le monde entier, malgré sa dureté inhérente à sa décennie. La musique disco et électronique de Giorgo Moroder demeure l’une des plus vendues pour une bande originale, en 33 tours ou CD.
Un cinéma porté par la musique
En 1980, il pose une nouvelle pierre à l’édifice de sa carrière, avec Fame. Ce nouveau succès planétaire révèle Irene Cara et lui permet de revenir à la comédie musicale, son genre favori ; l’auteur à l’ADN musical pop rock des Britanniques, tourna aussi Les Commitments et Evita, et accordera toujours une part importante à la bande originale dans ses films (Midnight Express, Birdy…). Dans Evita (1996), la star Madonna incarne le rôle éponyme. Pour la petite histoire, alors inconnue, elle avait justement auditionné pour faire partie de la troupe de Fame, mais ne sera pas retenue. Le musical est nommé au César du meilleur film étranger et remporte de nombreux Oscars et BAFTA. Fame est le miroir de son époque.
1982, un doublet à Cannes
Shoot the Moon, sous-titré L’usure du temps, permet à Alan Parker de s’écarter d’un cinéma plus pop, et devient son œuvre la plus intimiste. Pour l’occasion, en 1982, il retrouve doublement le festival de Cannes. On explique…
Dans Shoot the Moon, Alan Parker dirige Albert Finney et Diane Keaton dans une réflexion sur le couple écrite par Bo Goldman, scénariste de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Sorti durant le festival, le drame conjugal avec une musique des Stones ou de The Eagles (oui, encore cet attrait pour la culture musicale populaire), passe relativement inaperçu. Le public lui préfère Pink Floyd: The Wall, l’œuvre animée monumentale avec Roger Waters, mise en image de l’album massif des Floyd, présentée la même à Cannes, mais hors-compétition. L’œuvre virulente, engagée, est du pur Waters, mais s’insinue dans sa thématique et son style, magnifiquement dans la carrière de Parker qui ne cessera d’évoquer l’idée d’emprisonnement et d’aliénation, comme dans son film suivant, le formidable Birdy.
1985, Alan Parker est touché par la grâce
En 1985, touché par la grâce, Birdy obtient le Grand Prix Spécial du Jury à Cannes et récolte des critiques élogieuses. Le succès est une fois de plus au rendez-vous. Le drame est l’adaptation du roman de William Wharton, énième évocation des traumas de la guerre du Vietnam sur la jeunesse américaine. La musique de Peter Gabriel est un classique, et Matthew Modine et Nicolas Cage sont des révélations. Un chef-d’œuvre des années 80.
Doit-on classer Angel Heart dans la catégorie du cinéma X ?
En 1987, Angel Heart: Aux portes de l’enfer ne sera pas présenté à Cannes. Un camouflet. Le film noir, sulfureux, fait beaucoup parler de lui de par son échec américain où il fut un temps classé X en raison d’une scène torride, de sexe et de sang, entre l’inoffensive Lisa Bonet du Cosby Show et le rebelle Mickey Rourke. Angel Heart sort en France en avril, avant le festival. Rourke, alors au sommet de son éphémère gloire, sera sur la Croisette pour Barfly de Barbet Schroeder, avec Faye Dunaway.
L’échec américain d’Angel Heart est compensé par le succès considérable du film sur notre territoire où le polar diabolique, avec également Robert De Niro, affronte la crise du cinéma la tête haute. Il faut dire que la France adore Mickey Rourke, contrairement aux Américains. Alan Parker semble intouchable, de son côté, au box-office français. Il célèbre son cinquième long métrage à plus d’un million de spectateurs. Ses films comptent ; ils suscitent des curiosités ; l’auteur est celui des événements à répétition, à l’instar de son compatriote Ridley Scott qui prit exemple sur son succès.
L’appel du cinéma académique à Oscars
La roue tourne un peu en 1988. Tournant le dos aux films cannois, Alan Parker semble plus intéressé par les produits dits à Oscars ; il réalise un film à thèse, genre à la mode en cette fin de décennie (La main droite du diable de Costa-Gavras sort en même temps), sur le thème du lynchage des Noirs par le Ku Klu Klan, dans le Sud raciste des Etats-Unis, pendant les années 60. L’œuvre provoque des remous, et obtient de nombreuses nominations aux Oscars, dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur. Très académique, Mississipi Burning est un petit succès pour le réalisateur. Toutefois son sujet très scolaire en fait un favori intergénérationnel et le pamphlet engagé traverse l’épreuve du temps, porté par un véritable attachement du jeune public pour sa thématique.
En 1990, Alan Parker entame la décennie avec un échec évident. Pourtant sélectionné à Cannes, Bienvenue au paradis, avec Dennis Quaid, reprend la forme du film à thèse historique, s’intéressant cette fois-ci aux camps de concentration japonais, aux Etats-Unis, durant la Seconde Guerre mondiale. Un sujet peu connu qui n’est pas à la gloire des Américains, mais le mélodrame sera malmené au box-office, y compris en France. Les Oscars ne voudront pas en entendre parler. Le film sortira très vite des esprits.
Retour aux sources britanniques avec The Commitments
Alan Parker vivra mal la contre-performance de Bienvenue au paradis et ira se ressourcer le temps d’un long métrage au Royaume-Uni. Les Commitments, faux biopic et vraie histoire d’un groupe de pop rock de cinéma, est un petit budget qui fait mouche chez les Britanniques. Ce feel good movie réussit à trouver son public estival en France sans pour autant en égaler le triomphe anglo-saxon où il fait figure de phénomène. La bande originale est néanmoins culte.
En 1994, Aux bons soins du docteur Kellogg, d’après le roman de T.C. Boyle, voit le cinéaste prendre des risques. Ce gros budget avec de nombreuses vedettes (Hopkins, Broderick, Bridget Fonda), est une comédie de flatulence loufoque. La scatologie ne payant pas, l’OVNI s’écrase au box-office. La réception critique est mitigée. Film à redécouvrir ? Peut-être. On a rarement eu l’occasion de le revoir depuis. Il reste du domaine du souvenir.
Evita, l’ultime monument à la musique d’Alan Parker
En 1996, Alan Parker revient donc à la musique avec l’adaptation d’une comédie musicale de Broadway, à une époque où le genre n’avait pas encore été ressuscité à Hollywood, notamment par les télé-crochets des années 2000 et les productions Disney comme High School Musical ou la série Glee. Il faut voir que dans les années 90, même Disney abandonnait la chansonnette dans ses longs métrages d’animation. Pari couteux osé, audacieux, Evita est entièrement chanté ; il est surtout réalisé autour du culte de l’idole des années 80-90, Madonna, qui livre une impressionnante performance récompensée aux Golden Globes. La star sulfureuse sort notamment de son triptyque soft porn autour de la thématique sexuelle (le livre Sex, l’album Erotica, et le film Body of Evidence). Elle y casse son image et s’achète une respectabilité, à l’instar d’une Lady Gaga avec A Star is born vingt ans plus tard.
Evita est rentable, la B.O. caracole au sommet des hits-parades ; le travail de Tim Rice et Andrew Lloyd Webber sur le grand écran est épatant. Mais les critiques cyniques n’aiment pas le genre. Des années plus tard, Broadway inondera les grands écrans américains, avec Mamma Mia!, Les Misérables, Moulin Rouge, Chicago, Into the Woods, The Phantom of the Opera, Sweeney Todd, Fame, Rent, Cats, et plus récemment la nouvelle version de West Side Story par Steven Spielberg.
La chute inévitable d’Alan Parker
L’aventure Evita fut très fatigante pour Alan Parker, et il se souviendra longtemps du tournage épique avec des centaines de figurants et des paparazzi pour couvrir le moindre geste de la madone. En réaction, il réalise donc une œuvre sans star en 1999, une adaptation littéraire pleurnicheuse des Cendres d’Angela, d’après les mémoires de Frank McCourt. De par son sujet (l’émigration irlandaise vers les Etats-Unis), l’Irlande et le Royaume-Uni répondront présents. Aux USA, l’échec est impitoyable. En France, il s’agira du seul film du cinéaste à ne pas dépasser les 100 000 entrées sur l’ensemble du territoire.
L’échec artistique des Cendres d’Angela donnera à Alan Parker l’idée de se réfugier une fois de plus dans le film à thèse destiné à mouiller les mouchoirs des votants de l’Académie des Oscars. En 2003, il propose La vie de David Gale, un plaidoyer peu subtil contre la peine de mort, avec pourtant des stars du début des années 2000 au talent indéniable, Kevin Spacey et Kate Winslet. Le film réalise un score moyen au B.O. américain et français. Parker prend alors sa retraite cinématographique, mais demeurera très actif dans la protection de la production britannique, jusqu’à sa mort, en 2020.
Quid de l’héritage d’un auteur oublié ?
Alan Parker, cinéaste adulé dans les années 1980, majeur jusqu’au milieu des années 90, a été victime de l’étiquette eighties de cinéaste clippeur au style trop visuel qui a sûrement trop collé à la peau. Une injustice quant à l’aspect novateur de nombre de ses films qui ont suscité la passion, l’émotion, conjuguant 7e art exigeant et amour de la culture populaire, celle de ses racines anglaises dont il sera toujours fier. Un grand monsieur, un peu précipité dans l’oubli quand, dans les années 90, apparaîtra le cinéma référentiel, mais plus irrévérencieux et donc moins académique, de Quentin Tarantino, qui allait poignarder cette culture d’un cinéma de papa, marqué par le seau du producteur David Puttnam. Ses compatriotes Roland Joffé (La déchirure, Mission) et Terry Gilliam connaîtront un déclin encore plus prononcé. Et même Ridley Scott, issu de la même promo, avec Lame de Fond ou GI Jane, sera alors qualifié de has been, avant d’être sauvé par l’imposant Gladiator.
Alan Parker a de son côté préféré prendre sa retraite la cinquantaine à peine franchie, au risque de perdre tout ancrage chez les cinéphiles de l’ère d’Internet.
En se plongeant dans son œuvre, ces jeunes sauront retrouver l’envie d’aimer un cinéma XXL, celui d’une emphase musicale qui transcende l’image par le pouvoir des arts entrelacés.
L’on peut déjà s’en rendre compte en se rendant sur le site officiel du défunt artiste.