Le Dernier empereur est l’un des films les plus prestigieux de Bernardo Bertolucci. Derrière la grande production oscarisée se cachent une réflexion politique saisissante et un projet esthétique séduisant.
Synopsis : Pékin, 1908. Alors âgé de 3 ans, le jeune Pu Yi est conduit à la Cité Interdite. A la mort de l’impératrice, l’enfant est proclamé Empereur de Chine. Ainsi débute le prodigieux destin du Dernier Empereur, qui, de l’apprentissage du pouvoir au déclin d’un empire face aux bouleversements du monde, connaîtra la guerre, la révolution, la prison et l’exil.
Quand j’étais empereur
Critique : Triomphateur aux Oscars, gros succès public de Bernardo Bertolucci, Le Dernier empereur est un biopic majeur des années 80. Le cinéaste italien a tourné en langue anglaise cette fresque se déroulant en Chine. Curieuse destinée que celle Pu Yi, né en 1906, sacré empereur à l’âge de deux ans, enfermé jusqu’à ses vingt et un ans dans la Cité interdite où il régna symboliquement, la République ayant supprimé ses pouvoirs, puis souverain déchu devenu play boy mondain, avant d’être à nouveau sacré empereur par les Japonais dans l’État fantoche de Mandchoukouo. Capturé par les Soviétiques en 1945, il est remis aux autorités communistes chinoises en 1950 et se voit accusé de crime de guerre. Il est alors emprisonné et entame sa rééducation politique. Libéré en 1959, il termine sa vie comme simple jardinier à Pékin où il meurt en 1967, en pleine Révolution culturelle…
On sait Bernardo Bertolucci intéressé par le parcours idéologique et politique de ses personnages, depuis son traitement de destinées fascistes dans Le Conformiste et 1900. Le Pu Yi qu’il dépeint (interprété par un lumineux John Lone) est pétri de contradictions et offre un caractère contrasté : devenu empereur malgré lui, il est cet enfant qui ne cesse de réclamer le retour chez sa mère, avant de prendre goût au pouvoir et de jouer les petits princes gâtés, pris de colère le jour où il apprend qu’on lui a menti et qu’il n’a son titre d’empereur qu’au sein de la cité. Adolescent, il montre des volontés de réforme et expulse ses eunuques, conservateurs et manipulateurs. L’amitié avec son précepteur, un Anglais (Peter O’Toole) qui lui fait découvrir la culture occidentale, marque à la fois son ouverture au monde mais aussi le début de la trahison tant envers ses valeurs ancestrales que vis-à-vis de la nation chinoise. Alors qu’il aurait pu, à l’instar des Russes blancs, mener une existence confortable en exil, il préfère être le jouet des Japonais dans l’espoir de redevenir un jour empereur de Chine. Arrêté par les communistes, il se comporte comme un aristocrate injustement déchu avant de signer tous les aveux et de se comporter comme un fidèle maoïste décervelé dès sa libération…
Le Dernier empereur est une judicieuse structure en double récit
Le film est construit par une structure en flash-back, découpant le récit en deux volets qui se télescopent : les séquences de sa rééducation alternent ainsi avec la narration de la première partie de sa vie, jusqu’en 1945. Le procédé, initié (de façon plus complexe encore) par Max Ophuls avec Lola Montès (autre histoire d’une déchéance), a depuis été repris par de nombreux biopics, de La Môme à La Dame de fer. Cette juxtaposition de deux sous-récits linéaires est une des forces de l’œuvre, qui excelle à montrer les contrastes de l’existence de Pu Yi, et renforce les séquences d’humiliation que l’ex-empereur doit subir (baisser la tête lorsqu’il entre dans sa cellule, draps et couverture au bras, ou apprendre à uriner dans un seau collectif sans faire de bruit…).
Le film est par ailleurs habile à dépeindre les relations que l’empereur entretient avec son épouse (Joan Chen) et sa concubine. Conformément à une tradition chinoise, cette polygynie est normative mais placera les deux femmes en porte-à-faux dès que le trio se retrouve confronté au gratin mondain américain et européen. La suggestion d’une scène d’amour à trois, un drap de satin recouvrant les acteurs, puis l’évocation d’une liaison saphique permettent de retrouver le Bertolucci des années 70, celui qui filmait Dominique Sanda caressant Stefania Sandrelli, dans Le Conformiste ou être partagée par Robert De Niro et Gérard Depardieu dans 1900. Là s’arrête la comparaison car Le Dernier empereur pourra paraître plus sage, classique sans être académique dans les autres passages. Certaines scènes de foule sont pourtant grandioses, comme le couronnement du petit garçon ou le défilé des jeunesses maoïstes : Bernardo Bertolucci y confirme ses talents d’esthète, bien épaulé par la photo de Vittorio Storaro et la musique de Ryuchi Sakomoto. La splendeur de ces séquences fait rétrospectivement penser aux réussites de Zhang Yimou ou Chen Kaige dans la décennie suivante. L’unique réserve que l’on fera concerne précisément l’absence de la langue chinoise (hormis les chants) au profit de l’anglais, marché américain oblige, alors même que la plupart des acteurs sont chinois… Mais après tout, on parlait bien le français (de surcroît en alexandrin) et non le grec ancien ou le latin chez Racine et Corneille…
Critique : Gérard Crespo
Reprise en salle en version restaurée en 4K la semaine du 10 mai 2023
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Bernardo Bertolucci, Dennis Dun, John Lone, Peter O’Toole, Joan Chen, Ruocheng Ying, Ryuichi Sakamoto, Victor Wong, Vivian Wu