Cinéaste extrême, Abel Ferrara construit une œuvre cohérente marquée par le péché et la rédemption, loin des studios et d’un cinéma formaté. De nombreux points communs existent entre Abel Ferrara et Martin Scorsese.
Abel Ferrara, cinéaste intransigeant
Tous deux sont nés à New York, le premier en 1952 et l’autre dix ans plus tôt. Les deux hommes ont connu la célébrité en tournant des films indépendants décrivant un univers urbain violent, mais teinté d’un mysticisme lié à leur éducation religieuse. Ils ont tous les deux goûté à la drogue, l’alcool et la débauche. Pourtant, Martin Scorsese est aujourd’hui reconnu dans le monde entier comme un cinéaste majeur, grâce à une œuvre qui a su s’apaiser avec le temps. Dans la cour des grands, ce dernier draine les Oscars et les récompenses dans le monde entier. Dans le même temps, Abel Ferrara n’a jamais capitulé et reste un farouche indépendant, malgré quelques tentatives hollywoodiennes avortées. Son œuvre, intimement liée à sa vie, est trop extrême pour être soluble dans une production de masse standardisée.
Les débuts dans l’underground
Tout commence dans les années 70 où il fait la rencontre au lycée de Nicholas St. John, compagnon de longue date qui deviendra son scénariste attitré. Avec une caméra 8 mm, les deux compères commencent à tourner des courts métrages amateurs avant de se lancer dans la conception d’un film à caractère pornographique en 1976. Nine Lives of a Wet Pussy est signé d’un étrange pseudonyme : Jimmy Boy L. On trouve déjà aux commandes de ce film tous les futurs collaborateurs du cinéaste.
Sa carrière officielle débute vraiment en 1979 avec un thriller underground violent qui devient assez rapidement culte en raison de la fièvre qui l’anime. The Driller Killer est un objet cinématographique non identifié, réalisé avec les moyens du bord, mais qui pose les bases de l’univers de l’auteur. On retrouve ici une violence urbaine incontrôlable, une description terrible du New York des années 80 et une réflexion sur le rôle de l’artiste.
Les œuvres majeures des années 80
Le cinéaste réalise ensuite plusieurs polars très violents où la justice personnelle est mise en avant. L’ange de la vengeance (1981), New York, deux heures du matin (1984) et China girl (1987) connaissent une diffusion confidentielle, mais obtiennent rapidement le statut de films culte pour toute une génération née dans les années 70.
La décennie décisive pour Abel Ferrara commence en 1990 avec la sortie plus remarquée de The King of New York, excellent portrait d’un gangster. Cette fois-ci, le métrage attire l’attention d’une grande partie de la critique car l’ensemble est inégal mais recèle quelques morceaux de bravoure mémorables. Il faut attendre Bad lieutenant (1992) pour avoir une confirmation du réel talent de ce cinéaste hors norme. Il décrit ici le parcours glaçant d’un policier cocaïnomane trouvant la rédemption en violant une religieuse. Ces excès, déjà très présents dans les œuvres précédentes, deviennent un leitmotiv obsédant du cinéaste. Ses films reflètent bien une personnalité incapable de se calmer, attirée par les abysses.
La fièvre retombe le temps d’une incursion à Hollywood pour réaliser Body Snatchers (1993), un efficace remake d’un film de Don Siegel de 1956. Le metteur en scène place l’invasion des extraterrestres dans le cadre particulier d’une base militaire, donnant ainsi une résonance antimilitariste à son propos. Abel Ferrara avait déjà essayé d’intégrer l’univers hollywoodien dans les années 80 en signant quelques épisodes de séries télévisées, mais son tempérament instable l’ont éloigné de l’usine à rêves. Confirmation en 1993 avec l’échec public de ce remake, pourtant réussi.
Son indépendance retrouvée, l’auteur enchaîne avec un film étrange, plongeant Madonna dans une histoire très sombre, aux prises avec un metteur en scène tyrannique. Snake Eyes (1993), à ne pas confondre avec celui de Brian De Palma, est un “film dans le film” inégal mais parcouru de fulgurances. The Addiction (1995), sur le thème du vampirisme, est bien plus maîtrisé et permet au cinéaste de plonger Lili Taylor dans un univers malade, totalement apocalyptique, où le sang est comparé à de la drogue. Œuvre morbide, excessive, sortie tout droit de l’enfer, The Addiction apparaît comme l’un de ses meilleurs films. Toujours marqué par ses interrogations mystiques, l’auteur revient faire un tour du côté des gangsters avec Nos funérailles (1996), film testamentaire sur la fin d’un monde. Son travail, notamment sur la lumière, a été salué par les critiques de l’époque.
Une crise d’inspiration au cours des années 2000
Pourtant, Ferrara entame alors un déclin artistique certain. Les films suivants n’ont pas vraiment trouvé grâce auprès des critiques et du public, tout le monde se lassant des éternelles provocations d’un auteur visiblement en manque d’inspiration. Trop occupé à parfaire son image d’artiste maudit, Ferrara fait son numéro à Cannes et finit par énerver les plus indulgents. D’autant que la qualité des films ne cesse de se détériorer.
S’accordant une pause de plusieurs années, le metteur en scène revient en 2005 avec Mary. Il semble plus apaisé et réalise une synthèse de tous les thèmes qui lui sont chers sur la création artistique, la recherche de la sérénité, tout en y ajoutant les métaphores christiques habituelles. Moins provocateur, mais ne trahissant pas ses ambitions, Abel Ferrara continue son chemin de croix, quelque part entre le Ciel et la Terre, nous invitant à réfléchir sur la condition humaine.
Un cinéaste qui continue sa route en marge au cours des années 2010
Désormais installé en Europe où il parvient à financer ses projets, de plus en plus intimistes, Abel Ferrara ne cesse de tourner. Parmi ses nombreuses œuvres des années 2010, on pourra signaler l’intérêt de l’apocalyptique 4 h 44 Dernier jour sur Terre (2011) ou encore le brio de Pasolini (2014), tous deux menés par Willem Dafoe. Par contre, il rate dans les grandes largeurs son évocation de l’affaire DSK dans Welcome to New York (2014) avec Gérard Depardieu. Après avoir réalisé plusieurs documentaires, Ferrara retrouve Willem Dafoe, désormais son double cinématographique pour Tommaso (2019). La même année, ils enchaînent avec Siberia (2019). Récemment, Abel Ferra a tourné Zeros and Ones (2021) avec Ethan Hawke, présenté au Festival de La Roche-sur-Yon au mois d’octobre 2021.
Filmographie :
Réalisateur (longs-métrages de cinéma uniquement) :
- 1976 : Nine Lives of a Wet Pussy
- 1979 : Driller Killer (The Driller Killer)
- 1981 : L’Ange de la vengeance (Ms. 45)
- 1984 : New York, deux heures du matin (Fear City)
- 1987 : China Girl
- 1989 : Cat Chaser
- 1990 : The King of New York (King of New York)
- 1992 : Bad Lieutenant
- 1993 : Body Snatchers, l’invasion continue (Body Snatchers)
- 1993 : Snake Eyes (Dangerous Game)
- 1995 : The Addiction
- 1996 : Nos funérailles (The Funeral)
- 1997 : The Blackout
- 1998 : New Rose Hotel
- 2001 : Christmas (‘R Xmas)
- 2005 : Mary
- 2007 : Go Go Tales
- 2008 : Chelsea Hotel (Chelsea on the Rocks) (documentaire)
- 2009 : Napoli, Napoli, Napoli (documentaire)
- 2010 : Mulberry St. (documentaire)
- 2011 : 4 h 44 Dernier jour sur terre (4:44 – Last Day on Earth)
- 2014 : Welcome to New York
- 2014 : Pasolini
- 2017 : Alive in France (documentaire)
- 2017 : Piazza Vittorio (documentaire)
- 2019 : Tommasi
- 2019 : The Projectionist (documentaire)
- 2019 : Siberia
- 2020 : Sportin’ Life (documentaire)
- 2021 : Zeros and Ones
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