Typique d’une certaine production SF des années 80, Philadelphia Experiment est un divertissement fort agréable à suivre, malgré son aspect lisse et familial. L’esthétique très eighties est pour beaucoup dans son charme toujours intact.
Synopsis : En 1943, la marine américaine expérimente à Philadelphie l’innovation du docteur James Longstreet, destinée à faire disparaître les bateaux alliés des radars ennemis. Alors qu’un test est effectué sur l’USS Eldridge un incident survient : deux matelots, David et Jim, sont projetés en 1984.
Retour vers le futur
Critique : Au début des années 80, la thématique du voyage dans le temps est à nouveau plébiscitée par les scénaristes. Ainsi, on peut citer de nombreux longs-métrages qui se servent de ce postulat de départ comme Quelque part dans le temps (Szwarc, 1980), Nimitz, retour vers l’enfer (Taylor, 1980), Terminator (Cameron, 1984), et bien évidemment la saga Retour vers le futur (Zemeckis, 1985). Au cœur de cette vague de fond, on compte également Philadelphia Experiment (1984) dont le scénario inspiré d’un roman de 1979 semble être un démarquage de Nimitz, retour vers l’enfer déjà cité.
Effectivement, le film de SF avec Kirk Douglas envoie un porte-avion américain moderne en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, au moment de l’attaque de Pearl Harbor. Dans Philadelphia Experiment, le transfert temporel s’effectue dans le sens inverse puisque ce sont des Marines américains des années 40 qui se retrouvent projetés en 1984. Cette proximité est peut-être un hasard, mais elle suscite tout de même une interrogation légitime.
Un projet laissé de côté par John Carpenter
Fondé sur une légende urbaine à propos d’expériences menées par l’État-Major américain pour tenter de rendre invisible leurs troupes, le scénario a été proposé à plusieurs cinéastes de renom dont le principal fut John Carpenter. Pourtant celui-ci n’a pas souhaité s’impliquer dans le développement du long-métrage et même son crédit en tant que producteur exécutif semble quelque peu excessif. De nombreux témoignages tendent à prouver son désintérêt total envers le film. Après les refus successifs de Joe Dante ou encore de Jonathan Demme, le scénario tombe dans l’escarcelle du réalisateur britannique Stewart Raffill, plutôt connu pour ses films d’aventures familiaux, ainsi que pour Les guerriers des étoiles (1984) qu’il vient tout juste d’achever pour la MGM.
Cette fois, c’est la compagnie New World Pictures que vient justement de vendre Roger Corman qui décide d’investir un budget conséquent dans ce projet ambitieux. Alors que la compagnie était célèbre pour ses budgets de série B, Philadelphia Experiment peut bénéficier de 21 M$ (57,3 M$ au cours ajusté de 2022) pour tenter de s’imposer sur un marché international de plus en plus concurrentiel. Ils comptent capitaliser sur des effets spéciaux à la pointe de la modernité – quelques passages sont réalisés à l’aide d’ordinateurs – mais aussi sur la popularité naissante du beau gosse Michael Paré et sur la présence de Nancy Allen, alors comédienne en vogue grâce à ses contributions aux œuvres de Brian de Palma.
De la SF inoffensive au charme certain
Afin de ratisser le plus large possible, Stewart Raffill insiste pour modifier le script et y introduire une histoire d’amour entre les deux héros et il ajoute une touche personnelle en rendant l’ensemble du film plus accessible à un large public familial. Sans doute est-ce d’ailleurs le plus gros défaut de ce Philadelphia Experiment qui part d’un postulat passionnant, mais qui s’élève rarement au-dessus du teen-movie plaisant.
Si certains effets spéciaux ont plutôt mal vieillis – notamment les images en surbrillance – le long-métrage possède encore un charme typique des productions commerciales des années 80. On y retrouve notamment une naïveté et une absence totale de second degré qui font plaisir à voir. Pur hommage envers les films de SF inoffensifs des années 50, Philadelphia Experiment a finalement le mérite de ne jamais jouer la carte du postmodernisme, mais au contraire de développer une foi indéfectible envers son récit, pourtant hautement improbable. Grâce à une suspension d’incrédulité qui fonctionne plutôt bien, le spectacle s’avère donc toujours agréable à suivre, que ce soit dans ses développements science fictionnels ou dans son histoire d’amour joliment romantique.
© 1984 Lakeshore International Corp.
Un échec commercial quelque peu injuste
Dopé par une réalisation efficace de Stewart Raffill dont ce fut assurément le meilleur film, Philadelphia Experiment est d’une belle tenue sur le plan esthétique, avec de belles images de Dick Bush (connu pour son travail sur Phase IV ou encore Le convoi de la peur de Friedkin) et une partition musicale chatoyante de Kenneth Wannberg. Il faut également souligner la justesse de l’interprétation, notamment de la part de Michael Paré qui avait décidément tout pour devenir une star, projet que plusieurs choix malheureux viendront contrecarrer. Face à lui, Nancy Allen lui donne la réplique avec autorité. Enfin, Eric Christmas assure en scientifique qui n’a rien appris de ses erreurs passées.
Divertissement éminemment agréable, Philadelphia Experiment est donc une œuvre mineure, mais qui possède un capital sympathie évident par son esthétique et son ton typique des années 80. Malheureusement pour ce programme qui avait tout pour fonctionner, sa sortie américaine a été terriblement décevante avec un score ne dépassant pas les 8,1 M$ (22,1 M$ au cours ajusté de 2022). Afin d’éponger au plus vite la dette, les producteurs américains ont misé sur une sortie en VHS très rapprochée, histoire de surfer sur la petite notoriété acquise par le long-métrage.
Un petit tour au Festival d’Avoriaz et puis s’en va
En France, Philadelphia Experiment a d’abord été présenté en compétition au Festival d’Avoriaz dont il est reparti bredouille. Il faut dire que sur le thème du voyage dans le temps, Terminator frappait cette année-là un grand coup en raflant un Grand Prix largement mérité. Diffusé dans les salles françaises à la mi-janvier 1985, le film de Stewart Raffill n’a pas affolé les compteurs du box-office national. Il a ensuite bénéficié d’une sortie en VHS où le métrage a acquis au fil des ans une réputation plus flatteuse.
On notera d’ailleurs que malgré son échec commercial, le film a eu le droit à une suite tardive judicieusement intitulée Philadelphia Experiment II (Cornwell, 1993) avec Brad Johnson. Cette suite n’a laissé aucune trace dans la mémoire des cinéphiles. Pas davantage d’ailleurs que le reboot télévisuel tourné en 2012. Le Projet Philadelphia, l’expérience interdite (Ziller, 2012) a certes vu le retour de Michael Paré dans un rôle de militaire, mais ce produit télévisuel n’a guère marqué les esprits.
Il faut donc mieux réserver notre nostalgie à l’original de 1984 qui a été édité dans un beau Mediabook chez Bach Films en 2019. Aidé par une copie de très bonne tenue, le métrage tient encore ses promesses de divertissement, par-delà les limites évoquées plus haut.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 janvier 1985
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