Razorback fourre son groin dans l’extase d’un cinéma australien déviant, à la beauté surréaliste. Ce film d’épouvante, parangon d’un cinéma sauvage, avait marqué la 14e édition du festival d’Avoriaz en 1985.
Synopsis : Au fin fond du désert australien vit une créature indestructible capable de déchiqueter un homme en deux et de détruire une maison en quelques secondes. Plus de 400 kilos de défenses et de muscles avec pour unique objectif de terroriser la petite communauté isolée de Gamulla, une ville tout aussi violente et primitive que la bête qui la menace…
Razorback, de 200 clips à un 1 film d’horreur
Janvier 1985. Robert de Niro est président du festival d’Avoriaz. En sélection officielle, Element of Crime de Lars Von Trier, Terminator de James Cameron, Les Griffes de la nuit de Wes Craven, Body Double de Brian de Palma, La compagnie des loups de Neil Jordan, et un certain Razorback de Russell Mulcahy. Un cru comme cela, on s’en souvient des décennies après…
Si Mulcahy est peut-être le moins reconnu de ces auteurs aujourd’hui, c’est que le cinéaste n’a pas tenu les promesses sur la durée. Le monsieur, alors trentenaire, était déjà clippeur de plusieurs centaines de clips au début des années 80, pour Billy Joel, Duran Duran, Kim Carnes, Bonnie Tyler, Culture Club, les Stones, notre Sheila nationale, Elton John, The Buggles, Ultravox, Fleetwood Mac… Excusez du peu.
Une exception magnifique dans la carrière de Mulcahy
Après le choc frontal de son second long, Razorback, lui qui était courtisé par tous, y compris par Spielberg et De Palma, n’aura réalisé qu’un seul film éminent, Highlander, l’année suivante, en 1986, avec la star montante du moment qui sortait de Greystoke et Subway, Christophe Lambert. Le reste ne fut que flops (le film de super-héros The Shadow), séries B périlleuses (Resident Evil Extinction, Le Roi Scorpion 2, La malédiction de la momie), polars nanardesques (Résurrection, avec Lambert)… A part Ricochet avec Denzel Wahsington, et le sympathique L’Affaire Karen McCoy mettant en scène le couple Wal Kilmer / Kim Basinger, le clippeur a filé un sacré mauvais coton pour finir par filmer en série les corps d’ados de Teen Wolf, comme une ultime agonie artistique.
Un pur film d’Ozploitation
Pourtant avec Razorback, le jeune créateur livre une œuvre de vision de cinéma, ce que l’on appelle plus communément une œuvre visionnaire. Ses Dents de la mer du bush est un long trip mythique et psychédélique au cœur des décors arides d’une Australie de rednecks, oubliés d’une civilisation représentée lors d’une séquence américaine et une scène de procès, au début du métrage.
Le lien à dresser avec le dingo Wake in Fright de Ted Kotcheff (1971), s’impose, et le résultat a mis toutes les critiques d’accord. La série B est hargneuse ; elle met en scène la chasse au sanglier local, le dit razorback, créature gargantuesque absolument flippante. La traque nocturne sous des cieux de menace magnifiquement éclairés par le chef op Deam Semler (Mad Max II), est fascinante et nous permet de voir le cinéma sous un angle nouveau, celui d’une beauté tribale envoûtante, où les compositions de plans sont surréalistes, et alimentées par une démence contagieuse de chaque instant. De quoi imposer l’artiste Mulcahy, capable de plans dantesques, comme l’un des noms à suivre, pour les décennies à venir.
Une esthétique foudroyante que n’aurait pas reniée George Miller
Indéniablement australien dans l’ADN, Mulcahy faisait son Mad Max à poil de yack dans la poussière d’un désert de menace animale, où la transgression renvoie l’humain à ses pires instincts. Esthétiquement foudroyant, d’autant que désormais, c’est en HD que l’on peut redécouvrir ce parangon de l’esthétique eighties, proche des premiers films de Carax ou Beineix, le survival peut paraître chétif sur un plan narratif. Sur Highlander, le réalisateur australien, conscient de ce manquement, corrigera la donne pour étoffer les combats épiques.
Pourtant, dans ce désert de barbaque décharnée que n’aurait pas renié George Miller ou Tobe Hooper – on pense beaucoup à la bestialité de Massacre à la tronçonneuse -, Mulcahy livre un trip de fureur, qui demeure parmi les plus importants de la décade 80.
Une expérience cinéma parmi les plus importantes de son époque
Le succès fut plus important en VHS, chez Thorn Emi, qu’en salle (aux USA la série B est à peine sortie en salle, sacrifiée par Warner qui ne savait pas quoi faire de cet objet de contemplation sensorielle, difficilement vendable au public adolescent accro aux frasques de Jason dans Vendredi 13 et Freddy dans Les griffes de la nuit…
Trois décennies après sa sortie, Razorback tranche dans le lard, éblouit de ses lumières de beauté, transfigure notre approche du cinéma, et nous laisse pantois. Une expérience de cinéma parmi les plus importantes de son époque.
Les sorties de la semaine du 30 janvier 1985
LE TEST BLU RAY
Compléments & Packaging : 4.5/5
Une profusion de bonus accompagne cette édition culte. Le commentaire audio du cinéaste, en compagnie d’un critique de cinéma visiblement fan du film, permet l’approfondissement contemporain d’une oeuvre qui mérite des éclaircissements.
Requins sur pattes propose en 74min un making-of d’époque complet, incluant de nombreuses interviews. C’est un bonus exclusif au blu-ray.
On apprécie les quelques scènes coupées, la bande-annonce VHS, celle du cinéma, et, cerise sur le gâteau, la présence intégrale du VHS Cut du film, qualifiée d’uncut. On en a regardé quelques scènes, dont pas de comparaison possible sur les différents montages, en revanche, c’est un bain de nostalgie pour tous ceux qui, comme moi, ont découvert le film en VHS à l’époque. On était conscient de la claque visuelle, et pourtant, le transfert VHS pique les yeux !
On notera un packaging steelbook sublime, reprenant un visuel VHS rare. Pour l’édition DVD, l’éditeur a privilégié un visuel plus connu, mais tout aussi remarquable. Mais quelles belles éditions !
Image : 4.5 / 5
Magnifique restauration 4K : elle permet au film de retrouver des couleurs et donne de l’intensité aux filtres. Un tel décrassage de l’image approfondit les décors les plus sombres, les couloirs, et donne un caractère d’autant plus mythique à la séquence cauchemardesque du désert… Evidemment, elle donne encore plus de caractère à la gueule de lard du cochon géant. C’est impressionnant, et un rêve qui s’accomplit pour tous les amoureux du cinéma de la grande esthétique des années 80.
Son : 4 / 5
La piste 5.1 DTS HD Master Audio donne de l’écho à la musique, et permet donc de bien habiller la projection. Elle sera limitée dans les effets arrières, le film ayant été tourné en stéréo et donc conçu pour un visionnage frontal.
Le format sonore le plus naturel restera donc le DTS HD MA, que l’on retrouve également sur la piste française. Avec des voix claires et une bonne appréhension de l’environnement spatial, la VOSTF 2.0 pourrait donc être la piste à privilégier.
Critique et test vidéo : Frédéric Mignard