Dernier gros succès commercial de Delon, Parole de flic est une pathétique tentative de rajeunissement de l’image de la star. Clinquant et souvent grotesque. Et pourtant, derrière ce visage de nanar inéluctable la première collaboration entre Delon et José Pinheiro se cache l’un des plus gros succès personnels de l’acteur. Retour en critique mais aussi en analyse précise de la carrière de l’ultime film populaire du mythe Alain Delon.
Synopsis : Daniel Pratt, qui vit en Afrique, aprend l’assassinat de sa fille. Cet ancien policier revient alors en France pour la venger…
Qui veut la peau du flic d’Alain Delon ?
Critique : Depuis le très beau succès remporté par Pour la peau d’un flic (Alain Delon, 1981), la star française Alain Delon connaît quelques contre-performances au box-office français en ce début des années 80. Après les déceptions relatives du Choc et du Battant) ainsi qu’une incursion controversé en alcoolique dans le film d’auteur avec Notre histoire de Bertrand Blier, Delon avait clairement besoin de rajeunir son image afin de conquérir le jeune public qui se ruait en masse voir les aventures de Stallone et consorts. Renouvelant l’intégralité de ses collaborateurs habituels, le producteur avisé s’entoure de jeunes talents comme Philippe Setbon au scénario (par la suite réalisateur de Cross, mémorable nanar avec Michel Sardou et d’un nombre impressionnant de téléfilms) ou encore José Pinheiro à la réalisation. Ce dernier a donc pour délicate mission de remettre Delon au goût du jour et de modifier sensiblement son image. Si sa mission est réussie sur le strict plan commercial puisque Parole de flic fut le dernier polar de Delon à être un très beau succès (tout de même 2 363 700 entrées sur toute la France, très joli score), on ne peut pas en dire autant sur le plan artistique.
Alain Delon, maçon industrieux du tout Delon
Dès les premières images, un fossé s’établit entre les intentions des auteurs et l’effet produit. Influencé par les succès de Stallone, Delon passe la moitié du film torse nu à exhiber une musculature, certes généreuse, mais qui ne dissimule en rien son âge déjà avancé. Les séances d’entrainement au gymnase sont ainsi totalement pathétiques, de même que toutes les tenues d’un Delon tout de jean vêtu. Par ailleurs, les auteurs comptent également surfer sur la vogue du film urbain violent, tendance Rue barbare et multiplient donc les couleurs criardes et clinquantes (très à la mode dans les années 80) afin de décrire un univers de téci où les jeunes sont tous des délinquants en puissance. Souvent grotesque dans sa débauche de violence gratuite, Parole de flic voudrait bien se faire passer pour une critique du racisme et de la montée du fascisme sécuritaire en banlieue, mais le personnage de vigilante incarné par Delon (qui copie ici son pote Charles Bronson) contredit totalement le message du film.
Un nanar incohérent, mais pas sans qualité
Avec ses péripéties absurdes, son scénario incohérent (les policiers sont incapables de mettre la main sur Delon alors qu’ils savent dès le début qu’il est l’auteur des massacres) et son retournement de situation final que l’on pressent vingt bonnes minutes avant sa révélation, Parole de flic fait pitié. Si José Pinheiro emballe le tout avec une certaine maestria formelle (sa caméra fluide singe assez habilement les produits américains), ses différents choix artistiques plombent le spectacle. Que dire, par exemple, de cette improbable partition électronique de Pino Marchese, visiblement composée avec des moufles sur un bon vieux Bontempi. En tout cas, elle participe grandement à faire de ce Parole de flic un sacré nanar.
Critique de Virgile Dumez
Box-office de Parole de flic
Véritable carton du cinéma français, Parole de flic se veut être la réponse commerciale d’Alain Delon au semi-échec de Notre histoire de Bertrand Blier qui lui a valu pourtant un César. Delon est donc revenu sur Lune de fiel qu’il devait tourner chez Alain Téchiné avec Isabelle Adjani, et a finalement dit ‘non’ au projet.
L’adaptation du roman de Bruckner – que Polanski fera au début des années 90 avec des acteurs moins prestigieux (Emmanuelle Seigner, Peter Coyote) – tombe donc à l’eau pour deux raisons. Tout d’abord Adjani et Delon ne s’entendent pas. Puis, l’acteur veut embrasser un projet plus populaire après deux films d’auteur, en 1984, au succès divers. C’est donc au nom de la fameuse alternance que l’acteur et le producteur Delon mettent un point d’honneur à faire Parole de flic.
Commercialement, l’idée est excellente.
Artistiquement, c’est un naufrage.
Le défi UGC/Alain Delon : imposer une star de 50 ans au sommet du box-office
Qu’importe. Alain Delon pare sa filmographie de son plus gros succès des années 80 et rivalise avec les plus grandes stars, bien plus jeunes, de cette décennie qui a fait le ménage d’avec le star système des années 50, 60 et même 70.
Effectivement, Parole de flic a été un sans faute commercial pour Alain Delon qui démontrait une fois de plus son charisme auprès du public français et européen qui aura aussi la possibilité de le voir au cinéma et en VHS. Et pour cause, ce blockbuster de fin d’été, lancé en grande pompe, comme un film de Belmondo ou une production américaine, est entièrement basé sur une affiche delonesque, très fraiche et lumineuse, aux antipodes du côté sombre de vigilante de son synopsis. Griffé par Landi, le visuel promotionnel est omniprésent à Paris, dans tous ses formats. Delon lui, fait la couverture de Première Magazine, numéro 1 dans la presse cinéma, avec une interview impressionnante, même si le résultat n’a pas été montré à la presse et que l’équipe de Première n’a que peu de chance d’apprécier cet énième Delon avec un flingue. Et, effectivement, ils le flingueront lors du numéro suivant, postérieur à la sortie nationale de Parole de flic.
Sixième film millionnaire d’Alain Delon dans les années 80, son troisième opus à dépasser les 2 millions d’entrées sur la décennie, Parole de flic réalise 2 517 875 entrées.
Pour un acteur de 49 ans (il célèbrera ses 50 ans en novembre de cette même année), c’est un fait rare dans une production hexagonale rajeunie ou portée sur la production américaine. C’est ni plus ni moins le 13e plus gros succès de l’acteur en terme d’entrées, son plus gros depuis Soleil rouge en …1971. Au vu de son interdiction aux moins de 13 ans (l’interdiction de la commission de classification était initialement de 18 ans en France), c’est un exploit. Delon enrage concernant cette interdiction, jusqu’à la bande-annonce, elle-même interdite de diffusion avant un film tous publics. Et pour cause, il y voit un fait politique quand la plupart des polars français, violents, sexuels, malsains, sont “tous publics”, à l’instar du césarisé La Balance. Aussi, avec Terminator de James Cameron (3 055 355 entrées), c’est l’un des deux films du top 40 annuel, à être tombé sous la coupe d’une interdiction qui restreignait son audience.
Parole de flic est en fait le 14e succès de l’année 1985, derrière Mad Max 3, mais devant le James Bond Dangereusement vôtre, Hold-Up avec Jean-Paul Belmondo, qui pourtant était grand public mais seulement à 2 367 294 entrées, Dune, Witness avec Harrison Ford, L’année du dragon avec Mickey Rourke, et Madonna dans Recherche Susan désespérément qui clôt le top 20 annuel à 1 904 000 spectateurs, avec un vrai enthousiasme.
Parole de flic est un succès d’époque que beaucoup aiment voir avec dérision avec le recul, mais dont l’ADN est celle de l’été 1985, pur été d’actioners, avec des Nom de codes : oies sauvages (Lee Van Cleef), Sale temps pour un flic (Chuck Norris), Stick le justicier de Miami (Burt Reynolds), Le retour du Chinois (Jackie Chan)… Durant l’été 1985, le public pouvait découvrir Le dernier dragon, le polar Un été pourri, Spécial Police avec Richard Berry, 5 femmes à abattre… Mieux, le Delon paraissait un an après Sudden Impact, autre récit de vengeance assez glauque, avec le très conservateur Inspecteur Harry. Annie Girardot, ce même été, était dans Liste noire, autre film de vengeance tenace, cette fois-ci celui d’une mère armée de rage à la mort de son fiston.
C’est l’époque qui le voulait et Parole de flic reflète une tendance à la légèreté du burger-flick récréatif et bourratif qui lui vaut malgré tout un capital de sympathie des uns et une certaine jalousie des autres. On adore ou on hait Delon, mais lui, reste énorme au-dessus de la mêlée.
Film de Gauche ou de Droite ? La politique n’arrêtera pas Alain Delon
Il faut dire que l’époque était politique et Delon, acteur de droite, était reçu par la presse de façon différente en fonction des thématiques dites progressistes ou conservatrices. Qu’importe, Delon offrait au public un éventail large qui dépassait la critique de l’époque qu’il égratignait à chaque interview.
D’ailleurs, pied de nez au parisianisme, Parole de flic sortira d’abord en province, quinze jours avant Paris. Pour être plus précis, le film est proposé à partir du 7 août sur les plages de France, dans les très puissants cinémas de stations balnéaires qui, jusqu’à la fin des années 90, vont aller chercher le public citadin dans un contexte de vacances et de décontraction pour aider à bâtir un bouche-à-oreille, par la suite. Le succès sera alors au rendez-vous pour le distributeur UGC, avec 20 000 entrées dès le premier jour estival sur 80 copies.
Quand on n’est pas Première Magazine, la seule conférence de presse pour approcher Delon a lieu à Bordeaux, à l’hôtel de Cheverus. Outre la presse vedette, beaucoup de locaux, une presse régionale, davantage acquise à la cause de l’acteur qui va bénéficier de papiers contrastés, mais très loin d’être totalement médiocres. Parole de flic n’est pas entièrement détesté, ni raillé. Loin de là.
Le premier jour parisien de Parole de flic sonne comme la confirmation du succès provincial : 27 031 entrées pour le blockbuster d’Alain Delon qui compte 56 écrans, un circuit record pour la star. A côté, Florent Pagny, qui n’a pas encore fait ‘N’importe quoi’, trouve 684 enthousiastes pour Blessure, le polar de Michel Gérard (21 écrans). Le réalisateur de Cannibal Holocaust, Ruggero Deodato plonge 2 250 spectateurs dans son Amazonia (23 écrans) ; Lucio Fulci est ringardisé devant 295 spectateurs (2072, les mercenaires du futur) ; Pierre Jolivet suscitait la curiosité de 1 468 spectateurs dans 11 salles, avec Strictement personnel.
Parole de flic est le blockbuster français de l’été 1985
En fait, aucun distributeur n’a souhaité rivaliser avec ce Delon-là, en cette semaine du 21 août 1985.
L’acteur s’octroie largement la meilleure position, avec 211 546 entrées, ce qui marque un léger déclin par rapport à Pour la peau d’un flic (225 889), mais ce dernier n’avait pas connu les nombreuses previews en province. Derrière Delon, Clint Eastwood, déjà de retour, voit son western se contenter de 70 851 entrées en 2e semaine. La deuxième nouveauté, Amazonia la jungle blanche est surtout verte de rage avec seulement 20 131 cocaïnés dans ses mailles.
A Paris, le taux de remplissage par salle joue largement en faveur d’Alain Delon qui compte 12 des 15 meilleurs scores hebdomadaires par écran. Au Rex, ce sont 14 559 fans de l’idole qui l’ont vu sur le grand écran, à l’UGC Normandie, ils sont 11 315 spectateurs, plus bas sur les Champs Elysées, à l’Ambassade, c’est un public de 8 666 têtes qui s’y rend. Suivent l’UGC Boulevard, le Pathé Wepler… Sur 56 écrans, seul l’Artel Villeneuve ne dépasse pas les 1 000 spectateurs en première semaine.
Parole de flic ouvre partout en France avec de beaux scores. Montpellier est en fait la seule grande ville française à lui accorder la deuxième place, puisque le polar en est en fait à sa troisième semaine d’exploitation dans le Languedoc, paradis des touristes par excellence.
Lyon se classe derrière Paris (24 931), suivi de Marseille (14 670), Bordeaux (9 914)…
En deuxième semaine, à Paris, le vétéran Alain Delon barre la route de la première place à un certain Tom Cruise (138 844 entrées contre 116 274 pour Legend), avant d’être à son tour être dégommé du sommet par la jeune garde : Police de Maurice Pialat, avec Gérard Depardieu, s’approprie la première position (230 648).
Alain Delon, vétéran dans un box-office de jeunes stars : Mickey Rourke, Stallone, Schwarzenegger et Madonna !
Parole de flic restera 14 semaines à l’affiche à Paris, avec un total remarquable de 546 533 spectateurs, face à des Rambo II, Hold Up, L’année du dragon, Retour vers le futur, On ne meurt que deux fois, et les comédies Recherche Susan désespérément et Trois hommes et un couffin. La rentrée 1985 avait été chargée en succès qui rend la belle carrière de Parole de flic d’autant plus remarquable.
Alain Delon ne connaîtra plus jamais cet engouement au box-office, même si Le passage sera un bel essai dans le fantastique mélodramatique en 1986, avec près de deux millions d’entrées. En fait, Ne réveillez pas un flic qui dort (802 000, 1988) et Dancing Machine (583 000, 1990) marqueront les faiblesses de la vedette qui n’a pas su raccrocher assez tôt dans le domaine du polar.
Le succès de Parole de flic se reproduira en vidéocassette. En août 1986, le polar urbain ouvre en 2e place du top 40 de Vidéo 7. Edité par Carrère, il se trouve à peine ébranlé, lors du mois de septembre 1986 par l’arrivée en première place, d’un autre titre Carrère : Trois hommes et un couffin, phénomène de société à plus de 10 millions d’entrées, mais aussi Rambo 2, Mad Max 3, American Warrior, Cocoon ou Legend. Alain Delon est une super star française atypique dans un top 10 où il coiffe au poteau, en 7e place, le numéro 1 du mois d’août, Terminator ! Et oui, en 1985-86, la star Delon figurait dans des classements face à Sylvester Stallone, Mel Gibson, Arnold Schwarzenegger ou Tom Cruise. Historique pour la gloire des années 60 et 70, l’un des ultimes survivants, avec Jean-Paul Belmondo, d’un star-système à l’ancienne.
Box-office de Frédéric Mignard
Sorties de la semaine du 21 août 1985
Biographie +
José Pinheiro, Alain Delon, Jacques Perrin, Vincent Lindon, Eva Darlan, Jean-François Stévenin, Anne Roussel, Fiona Gélin