Dangereusement vôtre est un James Bond généreux qui nous semble moins raté aujourd’hui qu’il ne le paraissait en son temps. Toutefois l’ultime apparition de Roger Moore en 007 n’en demeure pas moins éventée, l’acteur de 58 ans n’ayant plus la prestance physique pour pareil rôle. Il l’avouera lui-même, il s’agit du James Bond qu’il apprécie le moins…
Synopsis : Les Britanniques s’associent à un riche industriel français, Max Zorin, pour créer un système de micropuces révolutionnaire. Lorsque le MI6 découvre que les Russes détiennent également cette technologie, Bond part en mission et découvre que les ambitions de Zorin sont bien au-delà du raisonnable.
Critique : Dernier James Bond pour Roger Moore. Le charme vieillissant et le corps aux antipodes des cascades requises par son personnage, l’acteur britannique faisait avec Dangereusement vôtre sa révérence après avoir offert à la saga ses plus gros succès (Moonraker, 70M$ aux USA en 79, Octopussy, 67M$ en 1983). Mais le fantaisiste et classieux acteur britannique, malgré un recours à la chirurgie, à une coloration capillaire et à de très nombreuses doublures, n’a plus l’âge pour pareille production emportée par la surenchère d’action inhérente aux années 80. Lui qui avait prévu de se retirer du rôle après Rien que pour vos yeux (1981), poussé par les producteurs, intervient sans conviction au milieu d’un casting qui ne lui sied pas. Entre les tensions de tournage avec Grace Jones et son sentiment de n’avoir aucune alchimie avec la regrettée Tanya Roberts, Dangereusement Vôtre est sûrement le Bond de trop.
Toutefois l’acteur déverse sans trop de mal ses arguments d’époque : humour machiste, drague poussive en série et surenchère de gadgets… Voilà ce qui caractérisait son incarnation de l’espion séducteur, figure devenue cascadeur à la Belmondo (Rémi Julienne chorégraphiera d’ailleurs de nombreuses cascades de Dangereusement vôtre), surhomme de fiction qui avait perdu pied avec toute implantation réaliste psychologique (ce que Timothy Dalton et Daniel Craig corrigeront avec le succès que l’on sait pour ce dernier).
Dangereusement vôtre a ainsi moins marché que ses prédécesseurs : à peine 50M$ aux USA, 2.4M d’entrées en France quand Octopussy frôlait les 3 millions. Il faut dire que l’acharnement des critiques envers cet épisode fut total. Alors oui, le film atteignait un budget record en son temps, notamment à cause de son marketing usant ; oui, ça pétait de partout avec décors urbains grandioses (séquence hallucinante à Paris ou sur le pont de San Francisco mise à disposition par la maire de la ville) et des décors recomposés en studio délirants de démesure (ceux de Pinewood, en Angleterre, après l’incendie sur le tournage de Legend de Ridley Scott qui retarda le tournage de certaines scènes) ; oui, la chanson de Duran Duran (excellente par ailleurs) était un tube – la seule à ce jour à avoir atteint la première place des charts américains – ; oui les James Bond girls avaient du sex-appeal (Tanya Roberts de Dar l’invincible apparaît en poupée parfaite, et l’Amazone Grace Jones, approchée initialement pour Octopussy, est une garce badass sulfureusement noire pour l’époque) ; oui Christopher Walken, tout droit sorti de Dead Zone de Cronenberg, incarnait un sociopathe décoloré à l’excentricité ad hoc pour un Bond (les chanteurs Bowie et Sting déclinèrent tous deux le rôle). Malgré tout cela, James Bond a failli y laisser sa peau, pour de bon !
Quelques décennies plus tard et avec la possibilité de redécouvrir ce semi-échec dans une copie vidéo en haute-définition qui défie les nouveautés du marché, on ne peut qu’atténuer les mauvais papiers publiés en leur temps. On s’y amuse finalement beaucoup et on se surprend à trouver la mise en scène de John Glen d’une grande force. Dangereusement vôtre n’est certainement pas une référence dans l’art de 007, avec des dialogues insipides (les sous-entendus sexuels sont miteux) et un jeu outrancier des comédiens (Grace Jones écarquille beaucoup les yeux ; Roger Moore n’a plus rien d’un séducteur face à des conquêtes qui ont au moins l’âge d’être ses filles). Cependant, c’est l’incroyable efficacité qui saute aux yeux, celle d’un Bond qui court après son époque en s’employant à devenir un blockbuster toujours plus gros que la concurrence, préfigurant les produits des années 90, 2000 et 2010. Très contemporain, effectivement.
Moins ringard à ce niveau que ce que l’on pouvait croire, Dangereusement vôtre dépote toujours, nous coupant le souffle dans l’incroyable alchimie des cascades qui ont rarement paru aussi périlleuses à l’écran. Sans la saturation des mauvaises images de synthèse qui tueront le cinéma d’action dans les années 90, ici, les monumentales reconstructions forcent l’admiration.
Sorti en mai 85 aux USA, en bénéficiant du son Dolby Stéréo, le film réapparaît dans les années 2000 avec un apport audio en 5.1 qui le rattache définitivement au cinéma d’action estival tel que nous le connaissons aujourd’hui, ce qui est un atout formidable pour redécouvrir ce 007 de réputation notoire.
Dangereusement vôtre méritait donc bien son lifting en blu-ray et peut aujourd’hui être découvert sans appréhension. Il vaut bien tous les Bond avec Pierce Brosnan. Mieux, il les écrase tous.