Navajeros : la critique du film et le test du blu-ray (1980)

Policier, Drame social | 1h35min
Note de la rédaction :
6,5/10
6,5
Navajeros, affiche VOD

  • Réalisateur : Eloy de la Iglesia
  • Acteurs : José Luis Manzano, Isela Vega, Verónica Castro, José Luis Fernández Eguia dit ‘El Pirri’, Enrique San Francisco, José Manuel Cervino, José Sacristán
  • Date de sortie: 06 Oct 1980
  • Nationalité : Espagnol, Mexicain
  • Titre original : Navajeros
  • Titres alternatifs : Dulces navajas (Mexique)
  • Année de production : 1980
  • Scénariste(s) : Eloy de la Iglesia, Gonzalo Goicoechea
  • Directeur de la photographie : Antonio Cuevas
  • Compositeur : Burning
  • Société(s) de production : Acuarius Films S.A., Fígaro Films, Producciones Fenix
  • Distributeur (1ère sortie) : Film inédit en salles en France. La date ci-dessus est celle de la sortie espagnole.
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Artus Films (DVD et blu-ray)
  • Date de sortie vidéo : 7 mai 2024
  • Box-office France / Paris-périphérie : -
  • Box-office nord-américain : -
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : -
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : -
  • Illustrateur / Création graphique : -
  • Crédits : Acuarius Films S.A., Fígaro Films, Producciones Fenix
Note des spectateurs :

Navajeros est un exemple parfait du cinéma quinqui, sous-genre espagnol qui a triomphé au début des années 80. Osé, parfois radical dans sa démarche, le film est un constat social cinglant qui ne prend pas de gants. A découvrir.

Synopsis : José Manuel Gómez Perales alias “El Jaro” vit avec sa bande de délinquants, également des adolescents et leurs copines. Un jour, il rencontre Mercedes, une prostituée qui veut l’éloigner du mauvais chemin. Apparaît alors Toñi, une toxicomane dont il tombe amoureux…

Un modèle du cinéma quinqui

Critique : Au cours des années 70, l’Espagne postfranquiste est marquée par une insécurité galopante, des problèmes sociaux aggravés par de béantes inégalités et l’émergence d’une jeunesse délinquante avide de liberté, mais aussi en opposition avec le pouvoir en place. Dès lors, les cinéastes se sont emparés de ce sujet brûlant et ont donné naissance à un véritable sous-genre nommé le cinéma quinqui (terme argotique qui signifie marginaux). Le créateur de ce qui va devenir un sous-genre populaire est le cinéaste José Antonio de la Loma avec El último viaje (1974). Toutefois, il est rapidement suivi par Eloy de la Iglesia qui va s’engouffrer dans la brèche avec bonheur.

Pour mémoire, Eloy de la Iglesia était un cinéaste de la marge qui défiait sans cesse la censure franquiste par des œuvres offensives, marquées par une idéologie gauchiste et des connotations homosexuelles liées à sa propre sexualité. Cela est particulièrement visible dans l’excellent et transgressif La semaine d’un assassin (Cannibal Man) (1972). Après plusieurs films chocs qui ont repoussé les limites, il fait la rencontre du jeune délinquant José Luis Manzano en 1978 et établit une relation trouble avec ce gamin de 15 ans dont il devient le mentor.

L’histoire réelle d’un célèbre délinquant espagnol

Fasciné par la figure du célèbre délinquant José Joaquín Sánchez Frutos, surnommé El Jaro, Eloy de la Iglesia compte tourner un biopic qui serait ainsi une porte d’entrée dans le cinéma quinqui. Il écrit donc le scénario de Navajeros (1980) en collaboration avec Gonzalo Goicoechea et propose à son petit protégé José Luis Manzano d’incarner le délinquant. Il n’a donc ici qu’à jouer ce qu’il est dans la vie de tous les jours et s’avère un choix particulièrement pertinent puisque le jeune homme va même devenir la star du cinéma quinqui grâce aux films suivants d’Eloy de la Iglesia.

Afin de bénéficier d’un budget un peu plus conséquent, Eloy de la Iglesia monte une coproduction avec le Mexique. Cela explique la présence de deux actrices qui sont des vedettes mexicaines : Isela Vargas et Verónica Castro. La première est déjà une star internationale vue dans des productions importantes, tandis que la seconde est une vedette de télénovelas très populaire dans son pays. Les deux actrices professionnelles apportent une réelle épaisseur à leurs personnages féminins, ce qui contrebalance l’inexpérience de certains jeunes acteurs, généralement extirpés de la rue pour leur première prestation devant une caméra.

Navajeros, le quinqui cinéma de Eloy de la Iglesia, en blu-ray

© 1980 Acuarius Films S.A. – Fígaro Films – Producciones Fenix. Tous droits réservés.

Un discours en faveur des marginaux

Dans Navajeros, Eloy de la Iglesia continue à explorer les marges de la société espagnole, mais il peut cette fois-ci le faire sans trop craindre la censure puisque la Movida est en train de casser toutes les barrières du cinéma ibérique. Ainsi, le cinéaste n’hésite pas à exposer les corps nus de ses actrices, mais aussi de son acteur à peine majeur. Il évoque sans filtre des thématiques comme la violence sociale, le viol homosexuel, la drogue et la prostitution. En bon communiste qu’il était, il s’empare également de l’extrême violence policière, et notamment celle de la Guardia Civil dont on sent encore la teinture franquiste dans ses agissements.

Cela donne lieu à des séquences chocs où les policiers tirent à la mitraillette sur des délinquants désarmés, avec intention de faire un carton. Certains discours des policiers font également écho au fascisme inhérent au système franquiste, pourtant en voie de disparition. Certes, Eloy de la Iglesia montre les agissements de cette jeunesse folle, mais il ne condamne pas leurs actes et préfère rechercher la source de cette violence dans le système inégalitaire mis en place. Comme à son habitude, le réalisateur prend donc fait et cause pour ses personnages marginaux qui, pourtant, ont aussi leurs défauts.

Navajeros est porté par ses actrices

On adore notamment Isela Vargas, actrice au jeu profond, qui incarne une sorte de figure maternelle auprès du jeune homme dont elle est visiblement entichée. Cette prostituée d’un certain âge nous fait songer aux belles figures féminines d’âge mûr qui peupleront plus tard le cinéma de Pedro Almodovar. A contrario, Verónica Castro joue parfaitement la tête à claque accro aux drogues. Finalement, même si Navajeros est davantage un film centré sur des jeunes hommes, ce sont essentiellement les figures féminines qui s’imposent.

Bien entendu, Eloy de la Iglesia n’est pas un auteur sans références. Il cite ainsi explicitement Orange mécanique (Kubrick, 1971) dans une séquence de baston sur fond de musique classique, mais on peut aussi songer à plusieurs reprises aux Guerriers de la nuit (Hill, 1979). Enfin, le rapprochement avec Pier Paolo Pasolini est particulièrement évident tant Eloy de la Iglesia partage avec le poète italien non seulement le style, mais aussi le goût pour la description des bas-fonds et pour les jeunes éphèbes.

Un beau succès en Espagne et au Mexique

Certes, Navajeros manque parfois de vraie tension dramatique et surtout de séquences mémorables, mais le long-métrage reste un bon exemple de ce cinéma quinqui qui a triomphé dans les pays latins au début des années 80. Là où José Antonio de la Loma aimait le cinéma de genre, on sent qu’Eloy de la Iglesia est davantage un auteur ayant un discours politique à faire passer. Du coup, le film est moins généreux en action, mais sans doute plus profond dans son discours. Reste la séquence finale, véritable provocation puisque le réalisateur utilise le montage alterné pour filmer plein cadre un accouchement bien réel, monté en parallèle avec une exécution particulièrement sanglante.

Le résultat, inégal, mais plutôt intéressant, a rencontré un franc succès en Espagne et au Mexique, ce qui va pousser Eloy de la Iglesia à poursuivre dans le genre, toujours avec son protégé José Luis Manzano qui va devenir une vraie star du cinéma quinqui. Malheureusement pour lui, il va mal finir puisqu’il a sombré dans la drogue en même temps que son mentor. A la différence d’Eloy de la Iglesia, le jeune homme en mourra en 1992 à l’âge de 28 ans. Un destin finalement aussi sordide que celui du personnage qu’il incarne avec talent dans ce long-métrage resté malheureusement inédit en France, aussi bien au cinéma qu’en vidéo. Il serait temps qu’un éditeur français valeureux et audacieux se penche sur ce pan ignoré de la cinématographie ibérique, qui peut être mis en parallèle avec le poliziottesco italien. Les Américains de Severin ont déjà mis le pied à l’étriller avec deux coffrets consacrés à ce sous-genre, dont l’un incluant Navajeros.

Critique de Virgile Dumez

Navajeros d'Eloy de la Iglesia, affiche cinéma

© 1980 Acuarius Films S.A. – Fígaro Films – Producciones Fenix. Tous droits réservés.

Le cinéma espagnol sur CinéDweller

Le test blu-ray

Artus Films continue son exploration du cinéma quinqui avec ce film fondateur qui méritait bien les honneurs d’une sortie française. Test réalisé à partir du produit définitif.

Navajeros, détails du blu-ray Artus

© Artus Films, design : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.

Packaging & compléments : 4 / 5

Inséré dans un fourreau luxueux qui reprend l’affiche espagnole du film, Navajeros est présenté en digipack contenant les deux galettes (DVD et blu-ray) illustrées par l’affiche originale et une photographie du long métrage. C’est comme toujours très classe.

En ce qui concerne les suppléments vidéo, ils se résument à une intervention conséquente du critique des Cahiers du Cinéma Marcos Uzal (47min) qui revient sur le genre quinqui, mais aussi sur les carrières du cinéaste et de son acteur-amant José Luis Manzano. Toutefois, contrairement à plusieurs intervenants habituels, Marcos Uzal ne s’arrête pas à des informations formelles et propose une analyse générale du film, tout à fait pertinente. Il en montre les influences et insiste également sur le contexte politique et sociale de l’Espagne postfranquiste. Cet entretien est donc parfaitement passionnant et éclairera ceux qui ne maîtrisent pas le contexte de l’Espagne des années 80.

Enfin, l’éditeur propose un très court diaporama avec deux ou trois affiches et une photo. Un peu gadget.

L’image : 4 / 5

Ayant eu les honneurs d’une restauration en 2K, Navajeros est enfin disponible dans une copie de très bonne tenue. Certes, les passages nocturnes laissent apparaître un grain certain, mais cela respecte l’aspect quasiment documentaire des images. Cependant, la profondeur de champ est impressionnante, notamment lors des nombreux plans larges sur des terrains vagues. Le piqué est d’une très belle précision, tandis que la colorimétrie a été rehaussée. Le confort visuel est donc total.

Le son : 4 / 5  

Le film est proposé en VO sous-titrée puisqu’il n’a jamais été diffusé en France, ni en salle, ni en VHS. Le résultat est tout à fait probant puisque le mono n’empêche nullement de profiter des bruits d’ambiance, tandis que les nombreux tubes espagnols qui parsèment la bande son ne saturent et ne grésillent pas. L’équilibre est donc bien respecté, dans les limites de ce format sonore. Du bon boulot.

Test du blu-ray de Virgile Dumez

Navajeros, jaquette blu-ray

© Artus Films, design : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.

Trailers & Vidéos

trailers
x
Navajeros, affiche VOD

Extrait de Navajeros (VO)

Policier, Drame social

x