La semaine d’un assassin (Cannibal Man) : critique et test blu-ray (1973)

Drame, Thriller | 1h48min
Note de la rédaction :
8,5/10
8,5
The Cannibal Man (La semaine de l'assassin) en VHS chez Scherzo au début des années 80

  • Réalisateur : Eloy de la Iglesia
  • Acteurs : Eusebio Poncela, Charly Bravo, Emma Cohen, Vicente Parra
  • Date de sortie: 27 Sep 1973
  • Nationalité : Espagnol
  • Titre original : La semana del asesino
  • Titres alternatifs : Cannibal Man - la semaine d'un assassin (titre vidéo français) / The Cannibal Man (USA) / A Semana do Assassino (Portugal) / L'appartamento del 13° piano (Italie)
  • Année de production : 1972
  • Scénariste(s) : Antonio Fos, Eloy de la Iglesia
  • Directeur de la photographie : Raúl Artigot
  • Compositeur : Fernando García Morcillo
  • Société(s) de production : Atlas International Film, José Truchado P.C.
  • Distributeur (1ère sortie) : Le film serait sorti uniquement dans quelques villes de province.
  • Distributeur (reprise) : -
  • Date de reprise : -
  • Éditeur(s) vidéo : Scherzo (VHS, 1981), Éditions Lange (VHS, 1991), Artus Films (combo DVD / Blu-ray, 2022), Severin Films (USA)
  • Date de sortie vidéo : 19 avril 2022 (combo DVD / blu-ray)
  • Box-office France / Paris-périphérie : -
  • Budget : -
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie en 1973
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : Cinema Writers Circle Awards 1973 : Prix du meilleur acteur pour Vicente Parra
  • Illustrateur / Création graphique : Benjamin Mazure (jaquette Artus)
  • Crédits : Inconnus
Note des spectateurs :

La semaine d’un assassin (Cannibal Man) est une œuvre étonnante, au réalisme troublant et au discours sociologique pertinent. Ou quand le film de genre rejoint l’art le plus radical et donc le plus jouissif.

Synopsis : Employé dans une usine de découpe de viande, Marcos vit solitaire entre misère et déprime, dans sa cité d’immeubles gris, malgré sa petite amie Paula. Un soir que les deux s’embrassent sur la banquette arrière d’un taxi, le chauffeur les fait sortir et gifle la jeune fille. Marcos le tue involontairement. Paula le poussant à aller voir la police, il la supprime également. Mais chaque nouveau meurtre entraîne un témoin que Marcos doit éliminer. Il va se retrouver ainsi au centre d’une spirale meurtrière à laquelle il ne pourra pas échapper.

Un thriller réaliste proche du cinéma social de Pasolini

Critique : En 1971, Eloy de la Iglesia est un jeune cinéaste d’une vingtaine d’années qui n’a qu’un film pleinement satisfaisant à son actif, le thriller à machination El techo de cristal (1971) qui connaît d’ailleurs un joli succès en salles en Espagne. Pour son œuvre suivante, le cinéaste entend pousser le curseur bien plus loin et livrer au cœur d’un film de genre un commentaire politique sur la société espagnole à l’heure du franquisme. Effectivement, le réalisateur fait partie de la marge rejetée par Franco puisqu’il n’a jamais caché ses accointances avec le communisme, tout en étant un homosexuel obligé de cacher son orientation sexuelle.

Ainsi, La semaine d’un assassin (Cannibal Man) doit être lu comme une tentative de livrer un film engagé, sous couvert d’un thriller gore à l’intrigue osée. En réalité, de la Iglesia ne se conforme aucunement au cahier des charges du thriller à la mode. Loin de chercher l’épate visuelle, de la Iglesia préfère s’orienter vers un naturalisme qui rapproche son cinéma de celui de Pier Paolo Pasolini ou encore de Rainer Werner Fassbinder. Toutefois, le réalisateur n’a jamais caché s’être inspiré de deux films français qui sont Le sang des bêtes (Franju, 1949) et surtout Le boucher (Chabrol, 1970).

Un sous-texte homosexuel dissimulé pour feinter la censure franquiste

Cela commence par un panoramique sur une vaste zone banlieusarde en construction. Au milieu d’un terrain vague où les chiens règnent en maître, des enfants torses nus jouent au foot et sont observés à la jumelle par un personnage trouble incarné par l’androgyne Eusebio Poncela (vu plus tard chez Almodovar dans Matador et La loi du désir).

Au cœur de ce chantier désertique, une unique maison subsiste, habitée par le personnage principal, le mutique Vicente Parra qui joue ici en total contre-emploi puisque l’acteur était connu en Espagne pour ses rôles dans des comédies musicales romantiques. Aussitôt s’établit donc un lien trouble entre ces deux personnages séparés par leur appartenance sociale (le premier habite un appartement luxueux, le second une maison miteuse vouée à la destruction). Pour autant, malgré cet écart social, une entente va se nouer, fortement teintée d’homosexualité latente, bien évidemment jamais déclarée ouvertement – censure franquiste oblige.

The Cannibal Man (La semaine de l'assassin) en blu-ray chez Severin

Blu-ray américain chez Severin Films © Severin Films (Design), José Truchado P.C., Atlas International Film

Eloy de la Iglesia s’y entend pour créer le malaise et un profond sentiment de solitude

La tension sexuelle traverse l’intégralité de ce film hallucinant où le personnage principal va être amené à trucider les différents membres de son entourage, sans qu’il y prenne pour autant plaisir. Ce sont ici les circonstances qui dictent ses actes, au rythme d’un mort par jour, d’où le titre La semaine d’un assassin, bien plus juste que le putassier et faux Cannibal Man. La plupart des meurtres sont gratinés et très graphiques, mais ce qui frappe le spectateur vient de la tristesse générale qui émane du métrage. La musique de Fernando García Morcillo (qui utilise une variation autour d’un thème de Vivaldi) est pour beaucoup dans cette impression terrible de solitude et de décrépitude.

Cela est encore renforcé par la photographie volontairement sale de Raúl Artigot et les décors crades de Santiago Ontañón. Avec une insistance sur les odeurs fortes, les sons parasites d’insectes grouillants, et enfin l’idée que des gens vont manger sans le savoir des abats humains (le meurtrier travaille dans un abattoir et se débarrasse des cadavres par morceaux) contribuent au malaise qui s’insinue rapidement dans le cœur du spectateur malmené.

Film choc largement amputé par la censure

En outre, le cinéaste ose démontrer l’horreur de la société franquiste basée sur des interdits moraux bien bourgeois, alors même que la mort suinte de partout. Finalement, cette unique zone n’est-elle pas une Espagne en réduction où tout le monde s’observe, où toutes les pulsions (Eros et Thanatos) ont bien cours, mais où il faut que rien n’affleure ?

Film choc, La semaine d’un assassin a eu de gros problèmes avec la censure franquiste qui a imposé des coupures dès le scénario et qui a ensuite amputé le métrage d’un bon quart d’heure. Si le film a été un échec en Espagne, car confiné à quelques salles, il a été vendu dans le monde entier et notamment aux États-Unis où il a été titré de manière très opportuniste Cannibal Man. En France, le film est sorti dans quelques salles de province au cours du mois de septembre 1974.

Cannibal Man a fait partie de la liste des Video nasties

Toutefois, c’est surtout avec sa VHS éditée par Scherzo sous le titre Cannibal Man, la semaine d’un assassin que le film a marqué une génération avide de films bis. En Angleterre, la censure fut encore plus radicale puisque le film a intégré la fameuse liste des Video nasties, ces bandes bannies du pays pour excès en tous genres. Après une seconde sortie en VHS en France chez Lange, le métrage a longtemps disparu de la circulation, mais il est de retour dans une copie satisfaisante et des bonus passionnants chez Artus Films. L’occasion de redécouvrir cette œuvre majeure du cinéma espagnol.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 26 septembre 1973

Acheter le combo DVD / blu-ray sur le site de l’éditeur

The Cannibal Man (La semaine de l'assassin) en VHS chez Scherzo au début des années 80

The Cannibal Man (La semaine de l’assassin) en VHS chez Scherzo au début des années 80 – Illustrateur inconnu © Tous droits réservés.

Le test du blu-ray :

Artus édite ici une œuvre importante et sans aucun doute l’une des meilleures de son imposant catalogue. On saluera au passage l’effort d’avoir récupéré tout le matériel existant pour l’intégrer au montage, qui est donc le plus complet à ce jour.

Compléments & packaging : 5 / 5

L’éditeur nous fournit ici un joli produit qui est enrobé dans un fourreau luxueux contenant un digipack avec deux disques (un DVD et un blu-ray), ainsi qu’un livre à part signé David Didelot, fort de 60 pages.

Tout d’abord, signalons l’excellence du livre proposé par le non moins passionnant David Didelot (à qui l’on doit déjà l’impressionnante somme sur Bruno Mattei publiée chez Artus). Non seulement le bouquin revient en détail sur la carrière d’Eloy de la Iglesia, cinéaste peu connu en France, mais aussi sur les contextes de création des différentes œuvres. Il en profite évidemment pour détailler la genèse compliquée de La semaine d’un assassin, puis ses nombreux problèmes avec les censures des différents pays. Juste indispensable.

Pour ceux qui préfèrent les bonus vidéo, l’éditeur nous convie à écouter Emmanuel Le Gagne durant 31min. Il dit à peu près la même chose que David Didelot, en insistant parfois sur d’autres détails. Les deux sont donc complémentaires. Ensuite, le cinéaste Gaspar Noé évoque pendant une quinzaine de minutes la carrière d’Eloy de la Iglesia et l’importance de son œuvre, malheureusement trop méconnue en France. On peut ensuite voir le montage américain du film, un diaporama d’affiches et des bandes annonces.

L’image du blu-ray : 4 / 5

La copie proposée a bien été restaurée en 2K, avec notamment un toilettage des impuretés, totalement absentes de l’écran, mais aussi une belle netteté des scènes en plein jour. Les séquences nocturnes sont moins probantes, mais cela vient de la photographie même du long-métrage. Ainsi, la colorimétrie est également terne, mais cela respecte bien entendu les volontés du cinéaste qui tenait à livrer une image sale et vériste. Cet aspect cru renforce d’ailleurs la puissance du film.

Le son du blu-ray : 3 / 5

Une seule version est disponible ici, à savoir dans la langue espagnole – sauf une ou deux séquences en anglais à cause des coupes infligées par la censure franquiste – le tout sous-titré en français. Le mono est plutôt probant et propre, avec une musique qui ne sature pas et des voix bien mises en avant sans empiéter sur les ambiances. Du bon boulot dans la limite du format sonore.

Test du blu-ray : Virgile Dumez

Cannibal Man, détails Artus

© 2022 Artus Films / Conception graphique : Benjamin Mazure. Tous droits réservés.

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Eloy de la Iglesia, Eusebio Poncela, Charly Bravo, Emma Cohen, Vicente Parra

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The Cannibal Man (La semaine de l'assassin) en VHS chez Scherzo au début des années 80

Bande-annonce de La semaine d'un assassin (VA)

Drame, Thriller

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