L’évadé du bagne : la critique du film (1952)

Drame | 1h37min
Note de la rédaction :
7/10
7
L'évadé du diable, affiche

  • Réalisateur : Riccardo Freda
  • Acteurs : Marcello Mastroianni, Gino Cervi, Valentina Cortese, Gabriele Ferzetti, Ugo Sasso, Cosetta Greco, Hans Hinrich, Luigi Pavese
  • Date de sortie: 13 Juin 1952
  • Année de production : 1948
  • Nationalité : Italien
  • Titre original : I Miserabili - Caccia all'Uomo
  • Titres alternatifs : Samhällets olycksbarn (Suède), Os Miseráveis (Portugal), Kurjat (Finlande), Die Elenden (Allemagne)
  • Scénaristes : Ricardo Freda, Mario Monicelli, Stefano Vanzina, Vittorio Nino Novarese
  • D'après l'œuvre de : Victor Hugo, Les Misérables
  • Directeur de la photographie : Rodolfo Lombardi
  • Monteur : Otello Colangeli
  • Compositeur : Alessandro Cicognini
  • Producteur : Carlo Ponti
  • Sociétés de production : Lux Films (Rome)
  • Distributeur : Lux Film
  • Distributeur reprise :
  • Date de sortie reprise :
  • Editeur vidéo : Studio Canal (combo Blu-ray/DVD, Make My Day)
  • Date de sortie vidéo : 28 octobre 2020
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 953 160 entrées / 84 310 entrées
  • Budget :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.37 : 1 / Noir et Blanc (35mm) / Mono
  • Festivals et récompenses : Sélection officielle Venise 1950
  • Illustrateur / Création graphique : © Vrac et Gigax. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Lux Films. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Envisagé comme un film d’action, L’évadé du bagne, est plutôt réussi, mais l’adaptation des Misérables par Riccardo Freda manque de profondeur et ne garde du roman d’Hugo que sa surface narrative.

Synopsis : Pour avoir volé du pain, Jean Valjean est condamné au bagne où il demeure vingt ans. Il en sort désespéré. Heureusement, il rencontre Monseigneur Myriel; lequel, bien qu’il l’ait volé, lui accorde sa faveur. Par le travail, Valjean est devenu un homme riche. Bienfaiteur d’une ville, ses concitoyens l’ont élu maire. Il s’intéresse au cas de Fantine, pauvre fille séduite, contrainte à la prostitution pour élever sa petite Cosette.

Affiche de Les Misérables (1934) de Raymond Bernard avec Harry Baur

Illustrateur : David Olère © 1934 Pathé-Natan. Tous droits réservés.

Où placer cette adaptation des Misérables de Victor Hugo?

Critique : Certains cinéphiles tiennent Riccardo Freda en haute estime, malgré une carrière en dents de scie qui lui fit tâter d’à peu près tous les genres. Son adaptation du roman de Victor Hugo bénéficie d’une excellente réputation ; Jean-Baptiste Thoret considère même que c’est la meilleure.

A notre sens, si L’évadé du bagne surclasse aisément celles, empesées et académiques, de Le Chanois (1958) ou Hossein (1982), elle ne vaut pas la puissante version de Raymond Bernard avec Harry Baur (1934). Ses atouts sont évidents dès les premières images : les fuites de Jean Valjean, muettes et avec force surimpressions, sont d’une redoutable efficacité ; vers la fin de la première partie, la poursuite de Valjean avec Cosette dans des rues désertes est haletante. On pourrait en dire autant de toutes les scènes d’action, menées tambour battant, avec un sens du montage remarquable. A l’actif du film également, une photo splendide, magnifiée par un noir et blanc tout en dentelle. On n’oubliera pas les intérieurs luxueux ou misérables qu’un jeu d’ombres transforme en véritable tableau, que ce soit pour en souligner la misère (les deux logements des Thénardier), le faste ou le caractère carcéral (l’entrelacs subtil de grilles projetées). Ailleurs, c’est l’utilisation d’un miroir ou la source d’éclairage qui enrichissent constamment une image léchée mais toujours parfaitement lisible.

Les misérables, l'affiche du film de 1958

© 1958 Pathé Films / Affiche : André Bertrand. Tous droits réservés.

Mais l’interprétation de L’évadé du diable appelle déjà quelques réserves : Gino Cervi, le futur Peppone des Don Camillo, est parfait en brute, en homme sûr de lui, il est moins crédible quand il doit exprimer un dilemme ou des remords. Face à lui, Hans Hinrich en Javert a la raideur qui convient au rôle. Les autres sont moins brillantes : Thénardier grimace un peu trop, Cosette minaude, les seconds couteaux sont quasi-inexistants (la présence fantomatique de Marcello Mastroianni n’apporte pas grand-chose à sa gloire).

Un roman-feuilleton sans profondeur

Surtout, en tirant le film vers le roman-feuilleton, ce qui peut après tout se défendre, Freda, adorateur d’Alexandre Dumas, supprime toute la profondeur du texte original, mais en conserve quelques épisodes traités avec une grande maladresse. Dès que le dialogue est un peu long, que la scène s’étire, l’esthétique ne suffit plus. On n’est pas loin du ridicule dans les rencontres avec Sœur Simplice, par exemple, et son regard « habité » ; l’entrevue sentencieuse entre Marius et son père est pareillement des plus pesantes.

Des moyens limités

Visiblement, L’Evadé du Bagne n’a pas bénéficié de grands moyens. Pourtant cette pauvreté se transforme plutôt en atouts, tant les décors (toujours magnifiquement éclairés) et leur caractère factice, s’accordent à merveille avec l’aspect feuilletonesque voulu par le réalisateur. D’autant que celui-ci fait montre d’un savoir-faire indéniable, d’un goût de l’image ou du détail impressionnants : le pain qui baigne dans les étoiles, le recadrage sur des verres lavés énergiquement ou les scènes révolutionnaires sont du plus bel effet. Mais quand Freda se désintéresse de ce qu’il filme, ou quand il sabre dans le roman jusqu’à l’incohérence (l’ellipse entre les deux parties), le métrage perd de sa vigueur et de son énergie, quand il ne sombre pas dans la caricature. La belle partition d’Alessandro Cicognini ne suffit pas à masquer le manque d’ambition.

L’Evadé du Bagne date de 1948, soit la même année que Le Voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica ; Freda apparaît comme un contempteur du néo-réalisme auquel il s’oppose dans ce film sur presque tous les aspects : tournage en décor réel, image « grise », acteurs non-professionnels, etc. Si l’histoire du cinéma a surtout retenu le mouvement porté par Rossellini, il serait injuste de bouder l’autre versant, porté par un évident plaisir et une louable volonté de distraction, et dont L’Evadé du Bagne est un honnête représentant.

François Bonini

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Sorties de la semaine du 9 juin 1952

L'évadé du diable, affiche

L’évadé du diable © 1947 Illustrateur Jean Gigax – Lux Films

Biographies+

Riccardo Freda, Marcello Mastroianni, Gino Cervi, Valentina Cortese, Gabriele Ferzetti, Ugo Sasso, Cosetta Greco

Box-office de L’évadé du diable :

Sorti tardivement en France, l’adaptation des Misérables par Riccardo Freda paraît pour la première fois sur les écrans parisiens – ceux de l’Aubert-Palace et du Gaumont-Théâtre, le 6 juin 1952. Le film italien, l’un des 33 de cette nationalité à sortir en 1952, est entièrement doublé en version française.

Lux opte pour un titre alternatif

Le distributeur Lux ne le baptise pas directement dans son titre littéraire d’origine, qui donna d’ailleurs le titre original italien. Néanmoins, il figure bien, sous le titre L’évadé du bagne, la mention d’après “Les Misérables” de Victor Hugo. Après tout, Les Misérables a déjà connu une adaptation prestigieuse par Raymond Bernard, en 1934 (Pathé-Natan).

On notera que quinze jours avant la sortie de L’évadé du bagne, la 20th Century Fox faisait activement la promotion d’une version des Misérables par Lewis Milestone, avec Michael Rennie, Debra Paget, Robert Newton et Edmund Gwenn. Alors intitulée en France Les Misérables, cette version produite par Fred Kohlmar et Darryl-F. Zanuck, sortira finalement en juillet 1953 sous le titre définitif de La vie de Jean Valjean (box-office de 502 104 entrées France).

Un succès convenable en France, mais sans panache

L’évadé du bagne ne sera pas un gros succès français, mais trouvera 953 000 spectateurs, loin du succès de Freda L’aigle noir, en 1947 (2 590 000) ou du Fils de d’Artagnan, en 1951, sorti exactement un an auparavant chez Cocinor (1 380 000).

L’acteur vedette Gino Cerci est ainsi doublement à l’affiche cette semaine du 9 juin puisqu’il était, avec Fernandel, la star du Petit monde de Don Camillo, de Julien Duvivier qui allait tourner au phénomène avec plus de 1 2 791 000 entrées. Cervi, vu dans Fabiola d’Alessadro Blasetti ou L’aigle noir de Freda, a le vent en poupe. La sortie de L’évadé du bagne cette semaine-là peut largement s’expliquer par l’apparition très attendue de la comédie française avec Fernandel.

Des concurrents peu vaillants en salle, dont un Capra

Cette semaine du 9 juin 1952, la concurrence est rude, mais moins du côté des nouveautés qui manqueront de prestige : apparitions en salle de Fortuné de Marseille (total de 849 000 entrées), Ouvert contre X chez Gaumont (1 365 000), Jour de chance de Capra (335 000), Racket avec Robert Mitchum, Symphonie en 6,35 avec Farley Granger et Shelley Winters.

Des adaptations à foison des Misérables d’Hugo

Le plus gros succès de toutes les adaptations des Misérables sera évidemment le film somme de Jean-Paul Le Channois, en 1958 (9 940 000), quand la version de Robert Hossein avec Lino Ventura, en 1982, trouvera près de 4 millions de spectateurs. En 1998, la vision hollywoodienne de Bille August, avec Liam Neeson et Geoffrey Rush, sera un triste échec (596 000). Le bide sera évidemment l’adaptation musicale de Tom Hooper, en 2013, avec Hugh Jackman et Russell Crowe.

Box-office de L’évadé du bagne de Frédéric Mignard

L'évadé du bagne chez Make My Day (StudioCanal)

L’évadé du bagne en bluray, collection Make My Day (StudioCanal). © Tous droits réservés.

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