Envisagé comme un film d’action, L’évadé du bagne, est plutôt réussi, mais l’adaptation des Misérables par Riccardo Freda manque de profondeur et ne garde du roman d’Hugo que sa surface narrative.
Synopsis : Pour avoir volé du pain, Jean Valjean est condamné au bagne où il demeure vingt ans. Il en sort désespéré. Heureusement, il rencontre Monseigneur Myriel; lequel, bien qu’il l’ait volé, lui accorde sa faveur. Par le travail, Valjean est devenu un homme riche. Bienfaiteur d’une ville, ses concitoyens l’ont élu maire. Il s’intéresse au cas de Fantine, pauvre fille séduite, contrainte à la prostitution pour élever sa petite Cosette.
Où placer cette adaptation des Misérables de Victor Hugo?
Critique : Certains cinéphiles tiennent Riccardo Freda en haute estime, malgré une carrière en dents de scie qui lui fit tâter d’à peu près tous les genres. Son adaptation du roman de Victor Hugo bénéficie d’une excellente réputation ; Jean-Baptiste Thoret considère même que c’est la meilleure.
A notre sens, si L’évadé du bagne surclasse aisément celles, empesées et académiques, de Le Chanois (1958) ou Hossein (1982), elle ne vaut pas la puissante version de Raymond Bernard avec Harry Baur (1934). Ses atouts sont évidents dès les premières images : les fuites de Jean Valjean, muettes et avec force surimpressions, sont d’une redoutable efficacité ; vers la fin de la première partie, la poursuite de Valjean avec Cosette dans des rues désertes est haletante. On pourrait en dire autant de toutes les scènes d’action, menées tambour battant, avec un sens du montage remarquable. A l’actif du film également, une photo splendide, magnifiée par un noir et blanc tout en dentelle. On n’oubliera pas les intérieurs luxueux ou misérables qu’un jeu d’ombres transforme en véritable tableau, que ce soit pour en souligner la misère (les deux logements des Thénardier), le faste ou le caractère carcéral (l’entrelacs subtil de grilles projetées). Ailleurs, c’est l’utilisation d’un miroir ou la source d’éclairage qui enrichissent constamment une image léchée mais toujours parfaitement lisible.
Mais l’interprétation de L’évadé du diable appelle déjà quelques réserves : Gino Cervi, le futur Peppone des Don Camillo, est parfait en brute, en homme sûr de lui, il est moins crédible quand il doit exprimer un dilemme ou des remords. Face à lui, Hans Hinrich en Javert a la raideur qui convient au rôle. Les autres sont moins brillantes : Thénardier grimace un peu trop, Cosette minaude, les seconds couteaux sont quasi-inexistants (la présence fantomatique de Marcello Mastroianni n’apporte pas grand-chose à sa gloire).
Un roman-feuilleton sans profondeur
Surtout, en tirant le film vers le roman-feuilleton, ce qui peut après tout se défendre, Freda, adorateur d’Alexandre Dumas, supprime toute la profondeur du texte original, mais en conserve quelques épisodes traités avec une grande maladresse. Dès que le dialogue est un peu long, que la scène s’étire, l’esthétique ne suffit plus. On n’est pas loin du ridicule dans les rencontres avec Sœur Simplice, par exemple, et son regard « habité » ; l’entrevue sentencieuse entre Marius et son père est pareillement des plus pesantes.
Des moyens limités
Visiblement, L’Evadé du Bagne n’a pas bénéficié de grands moyens. Pourtant cette pauvreté se transforme plutôt en atouts, tant les décors (toujours magnifiquement éclairés) et leur caractère factice, s’accordent à merveille avec l’aspect feuilletonesque voulu par le réalisateur. D’autant que celui-ci fait montre d’un savoir-faire indéniable, d’un goût de l’image ou du détail impressionnants : le pain qui baigne dans les étoiles, le recadrage sur des verres lavés énergiquement ou les scènes révolutionnaires sont du plus bel effet. Mais quand Freda se désintéresse de ce qu’il filme, ou quand il sabre dans le roman jusqu’à l’incohérence (l’ellipse entre les deux parties), le métrage perd de sa vigueur et de son énergie, quand il ne sombre pas dans la caricature. La belle partition d’Alessandro Cicognini ne suffit pas à masquer le manque d’ambition.
L’Evadé du Bagne date de 1948, soit la même année que Le Voleur de Bicyclette de Vittorio de Sica ; Freda apparaît comme un contempteur du néo-réalisme auquel il s’oppose dans ce film sur presque tous les aspects : tournage en décor réel, image « grise », acteurs non-professionnels, etc. Si l’histoire du cinéma a surtout retenu le mouvement porté par Rossellini, il serait injuste de bouder l’autre versant, porté par un évident plaisir et une louable volonté de distraction, et dont L’Evadé du Bagne est un honnête représentant.
Acheter le film en DVD/Blu-ray
Sorties de la semaine du 9 juin 1952
Biographies+
Riccardo Freda, Marcello Mastroianni, Gino Cervi, Valentina Cortese, Gabriele Ferzetti, Ugo Sasso, Cosetta Greco