Film inégal et très maladroit, Les fauves appartient à la catégorie des nanars sympathiques tant on sent la ferveur de son réalisateur derrière chaque plan. Malheureusement, le résultat final est loin des attentes initiales.
Synopsis : Christopher Bergham et Bela forment un jeune couple qui se produit dans des spectacles de cascades automobiles. Léandro Santini, le frère de Bela, jalouse leur liaison. Après avoir éconduit son frère juste avant le show, Bela annonce à Christopher son intention de le quitter. La cascade tourne au drame et la jeune femme meurt dans les flammes sans que son amant intervienne. Trois ans ont passé, Christopher réapparaît sous le nom de Berg et trouve un emploi de vigile dans une société de police privée, La Veillance. Léandro, quant à lui, n’a qu’un seul but : venger la mort de sa sœur…
Un projet compliqué à monter
Critique : Le réalisateur indépendant Jean-Louis Daniel a mis près de quatre ans pour parvenir à financer son troisième long-métrage, un polar qu’il voulait comme un hommage au film noir des années 40. Il faut dire que ses précédentes réalisations n’ont pas attiré le public et que les portes des maisons de production se sont fermées les unes après les autres. Finalement, Jean-Louis Daniel est parvenu à convaincre une maison de production spécialisée dans la publicité d’investir dans son projet, le tout étant grandement financé par un Français exilé aux États-Unis.
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Les fauves est donc mis en chantier avec un budget cossu et un casting qui comporte quelques vedettes du moment. Ainsi, Jean-Louis Daniel, après avoir envisagé Christophe Lambert, arrête son choix sur Daniel Auteuil qui souhaitait alors sortir du carcan de la comédie dans lequel il était enfermé. Face à lui, Jean-Louis Daniel arrive également à convaincre Philippe Léotard qui venait d’être récompensé d’un César du meilleur acteur pour La balance (Swaim, 1982). Enfin, il complète son casting par la séduisante Gabrielle Lazure (qui sortait de La crime de Philippe Labro en 1983), sa compagne Véronique Delbourg (l’adolescente d’A nous les petites anglaises ! de Michel Lang) et enfin le jeune premier Florent Pagny, alors passablement inconnu.
Un tournage chaotique à cause de problèmes financiers
Si le tournage est marqué dès le début par des problèmes liés aux multiples addictions d’un Philippe Léotard en mode autodestruction, les différentes scènes de cascades sont emballées avec un budget conséquent et les décors parisiens sont bien mis en valeur par des mouvements de grue. Malheureusement, le producteur américain est exécuté à la suite d’un contrat sur sa tête et les finances se tarissent au bout de quinze jours de tournage. Dès lors, une interruption est nécessaire pour tenter de trouver de nouveaux producteurs. Finalement, ce sont des gens de la section distribution de Gaumont qui prennent en charge les frais restants, mais l’enveloppe allouée diminue fortement et Jean-Louis Daniel doit abandonner ses droits sur le film.
La fin du tournage est donc faite à l’économie dans tous les domaines et le long-métrage qui devait initialement être une belle production entre dans la catégorie des films fauchés, ce qui se voit malheureusement à l’écran.
Des acteurs trop souvent en roue libre
Alors que le début du film fait vaguement illusion, Les fauves pâtit assez rapidement de son manque cruel de moyens, ce qui se voit au niveau des décors, mais aussi du nombre de prises dont on sent qu’elles furent peu nombreuses. Autre énorme point noir, l’interprétation n’est guère satisfaisante dans l’ensemble. Daniel Auteuil semble ne pas trop savoir quoi faire à part tirer la tronche durant tout le film. Comme il est talentueux, cela passe malgré tout. Face à lui, Philippe Léotard n’arrive pas à faire oublier qu’il est en état second sur la majorité des plans. Sous l’influence de l’alcool, mais aussi de substances plus dures, le comédien livre une prestation outrancière qui fait davantage peine à voir qu’autre chose.
Même la pauvre Gabrielle Lazure paraît peu à l’aise dans un rôle qui est pourtant très court. Finalement, on préfère ici largement les seconds rôles qui paraissent davantage tenus. Ainsi, Florent Pagny fait un homosexuel très convaincant car il ne force jamais le trait, Farid Chopel est un chef de meute inquiétant à souhait et Jean-François Balmer fait un violeur convaincant.
Un nombre conséquent de scènes bis embarrassantes
Cela n’empêche pas Les fauves d’alterner les séquences plutôt inspirées et les moments plus embarrassants, voire carrément bis. Parmi eux, on peut citer toutes les séquences lors du défilé de lingerie, d’une ringardise typique de l’époque, et l’explosion de violence qui s’ensuit avec un jeu d’acteur outré qui fait bien sourire.
Mais le plus gros problème du long-métrage vient de la faiblesse de son écriture. Le scénario, pourtant structuré par Philippe Setbon, semble ne pas savoir tracer de ligne directrice tandis que les personnages sont tous des caricatures grossièrement brossées. Si l’on ajoute à cela des dialogues écrits à la truelle, on se retrouve avec un ensemble bien pataud qui manque définitivement de subtilité.
Les fauves bénéficie d’un certaine ambiance nocturne agréable
Toutefois, il faut mettre au crédit de Jean-Louis Daniel d’avoir abordé des thématiques plutôt audacieuses qui donnent un cachet un peu spécial à son polar noir. Ainsi, la description de l’inceste qui lie Philippe Léotard et Gabrielle Lazure interpelle le spectateur. On apprécie également la présence d’un personnage homosexuel (Florent Pagny, donc) qui n’est jamais traité de manière outrageante, et qui est même l’un des rares protagonistes à être touchant. Enfin, l’ambiance du Paris noctambule, ainsi que les dernières séquences d’action filmées au cœur du chantier du Palais omnisport de Bercy apportent un certain charme à une œuvre qui claudique de partout, mais qui n’en reste pas moins sympathique à revoir.
Plus proche de Rue barbare (Béhat, 1984) par sa volonté de tourner un polar stylisé que de La balance (Swaim, 1982) qui se veut plus réaliste, Les fauves ne parvient finalement jamais à se débarrasser d’une étiquette nanar liée à ses multiples maladresses et ses outrances bis. Toutefois, l’enthousiasme de son auteur transpire de chaque plan et rend l’ensemble intéressant à redécouvrir.
Les fauves n’a pas fait rugir de plaisir les spectateurs
Sorti dans un parc de salles assez conséquent grâce à la puissance de frappe de Gaumont, Les fauves n’entre qu’à la septième place du box-office parisien de la semaine du 18 avril 1984 (avec 35 282 curieux), très loin derrière Viva la vie de Lelouch (90 289 spectateurs) pourtant présent sur moins de sites. Le film va perdre progressivement des entrées et va finir sa carrière parisienne avec seulement 97 905 noctambules dans les salles obscures.
Sur la France entière, Les fauves n’entre qu’en 10ème position lors de sa sortie avec 71 981 amateurs de film noir. La semaine suivante est stable et grapille même quelques entrées supplémentaires avec 72 063 retardataires. La troisième semaine progresse encore, mais dans un parc de salles plus important. La chute des entrées se confirme à la mi-mai et le film s’éteint fin mai avec un score de 378 371 entrées, ce qui en fait une déception par rapport à son potentiel. Cela restera pourtant le plus gros succès de la carrière de Jean-Louis Daniel.
Une renaissance en 4K UHD chez Le Chat qui Fume
Par la suite, le film a été édité en VHS par Les Films du Diamant et a fait l’objet de plusieurs diffusions télé. Il est surtout réapparu dans une version restaurée chez Le Chat qui Fume par le biais d’un combo blu-ray / UHD 4K. L’image est plutôt convaincante, même si cela ne compense pas les faiblesses stylistiques de l’œuvre. Par contre, on ne peut qu’être satisfait du long entretien avec Jean-Louis Daniel qui revient en détail sur la conception houleuse de ce long-métrage rescapé. Rien que pour cela, Les fauves est un achat indispensable pour les amoureux de cinéma bis français.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 avril 1984
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Les Archives de CinéDweller – Collection Frédéric Mignard © 1984 Accord Productions – Super 7 Productions – Transcontinentale Productions – TF1 Studio / Affiche de Philippe. Tous droits réservés.
Biographies +
Jean-Louis Daniel, Daniel Auteuil, Farid Chopel, Philippe Léotard, Riton Liebman, Louise Portal, Jean-François Balmer, Albert Dray, Gabrielle Lazure, Valérie Mairesse, Macha Méril, Sylvie Joly, Florent Pagny, Véronique Delbourg, Jean-Louis Foulquier