Comédie policière féérique, L’assassinat du père Noël est un très joli film, tout en étant la première production de la firme Continental. Retour sur l’histoire complexe d’une œuvre splendide.
Synopsis : Le soir de Noël, le père Cornusse s’apprête à jouer comme chaque année le rôle du père Noël. C’est aussi le soir du retour au château du baron Roland. Puis, un homme en habit de Père Noël est retrouvé mort…
La première production de la Continental-Films
Critique : Au cours de l’année 1940, le directeur de la propagande nazie Joseph Goebbels décide de la création d’une firme cinématographique destinée à produire des films dans la France occupée. Ainsi est née la Continental-Films (ou plus simplement Continental) dont le producteur allemand Alfred Greven prend la direction. Celui-ci veut mettre rapidement sur pied des productions et pour cela, passe des contrats avec des artistes qui sont pourtant sur le qui-vive. Il négocie notamment avec le réalisateur Christian-Jaque, ce dernier étant en position de force grâce aux triomphes rencontrés par ses comédies avec Fernandel et par Les disparus de Saint-Agil (1938).
Ainsi, Christian-Jaque parvient à obtenir un contrat limité à deux films dont il peut choisir le sujet. Il impose notamment une nouvelle adaptation d’un roman de Pierre Véry, déjà auteur des Disparus de Saint-Agil, qui s’intitule L’assassinat du père Noël, publié en 1934. Puis, il propose une biographie romancée d’Hector Berlioz avec La symphonie fantastique. Rien de compromettant donc, d’autant que Christian-Jaque inclut une clause dans son contrat (citée dans Continental-Films de Christine Leteux, La tour verte, 2017, p 50 :
11 / Pour le cas où des coupures seraient apportées aux films produits par moi et si ces coupures étaient de nature à diminuer la valeur artistique de mon œuvre […] je me réserve la faculté de vous demander la suppression de mon nom sur le générique, le film-annonce et les affiches.
Un casting de haute volée
Au niveau du casting, Christian-Jaque obtient la participation du grand Harry Baur qui n’est guère enthousiaste, mais est contraint de signer avec la Continental car, son épouse et lui font l’objet d’une enquête sur leur éventuelle judéité. L’acteur pense que signer avec une compagnie allemande peut apporter des gages de bon comportement vis-à-vis des occupants. Tous les autres membres du casting viennent donc à reculons, sauf Robert Le Vigan qui entame une collaboration très active avec les nazis, lui qui était ami de Céline et farouche antisémite.
Après avoir collaboré avec Charles Spaak sur l’adaptation et les dialogues, Christian-Jaque peut donc démarrer le tournage au mois de février 1941, à Chamonix pour les extérieurs. Ensuite, l’équipe se replie aux studios de Neuilly au mois de mars, et le tournage s’achève en avril, faisant de L’assassinat du père Noël la première production officielle de la firme Continental – mais pas la première à sortir sur les écrans car devancée par Premier rendez-vous (Decoin) avec Danielle Darrieux au mois d’août.
Le conte est bon
Christian-Jaque parvient à éviter toute forme de compromission avec cette œuvre qui se veut une comédie policière féérique. Effectivement, pour être certain de ne pas être confronté à une thématique politique, Christian-Jaque s’est penché sur une œuvre poétique qui cherche justement à s’évader de la réalité pour embrasser une forme de conte pour enfants. Ainsi, le long-métrage s’attarde sur des éléments fantastiques comme la présence – non réelle – du père Noël, mais aussi par une intrigue secondaire qui reprend la thématique de La Belle au bois dormant, tandis que les auteurs ont également exploité la chanson traditionnelle de la mère Michel qui a perdu son chat. Autant d’éléments qui déconnectent le long-métrage de toute forme de réalisme.
Cette appétence pour le fantastique est renforcée par la superbe photographie en clair-obscur d’Armand Thirard, ainsi que les décors fabuleux et évocateurs de Guy de Gastyne. L’assassinat du père Noël bénéficie non seulement de techniciens valeureux au service d’une esthétique très travaillée, mais aussi d’acteurs impeccables. Si Harry Baur en fait une fois des tonnes en père Noël porté sur la bouteille, il est secondé par un Raymond Rouleau impérial en baron mystérieux et par un Robert Le Vigan exalté en instituteur frondeur. Du côté des femmes, Renée Faure fait une oie blanche convaincante, tandis que Marie-Hélène Dasté compose une mère Michel inoubliable. Mais il faudrait citer l’ensemble du casting, y compris les enfants qui jouent avec un naturel confondant.
Un message caché ?
Tout ceci permet à la comédie policière, dont l’intrigue tient la route sans être extraordinaire, de se distinguer du tout-venant par une ambiance enfantine et poétique de chaque instant. Pourtant, à revoir de nos jours, on ne peut s’empêcher d’y chercher des notations sur la France occupée. Ainsi, la description de ce petit village isolé rejoint bon nombre de films de l’époque qui insistent sur le caractère lâche et pleutre d’une partie de la population. Le réalisateur cible aussi bien les élites que le petit peuple et trouve le salut auprès des enfants, seuls vrais innocents dans ce marasme.
Christian-Jaque et Charles Spaak ont également ajouté un petit discours final du père Noël qui évoque un futur réveil de sa fille endormie, ce qui peut se lire à mots couverts comme une supplique envers le peuple français qui doit se réveiller de sa torpeur face à l’occupant. Le passage a d’ailleurs valu quelques soucis à Christian-Jaque qui a refusé de l’édulcorer ou de le couper.
Un joli succès en son temps
Sorti au mois d’octobre 1941 par la société de distribution allemande Tobis, L’assassinat du père Noël a été un très gros succès, puisque certaines sources évoquent un chiffre estimé autour de quatre millions de spectateurs. Toutefois, il ne s’agit ici que d’estimations, assez peu fiables et non vérifiables. Le formidable écho autour du long-métrage est en tout cas certain. Aujourd’hui encore, L’assassinat du père Noël fonctionne parfaitement, et sa poésie ne peut que toucher le cœur de ceux qui ont conservé une âme d’enfant. Le film est donc à la fois une date historique importante dans l’histoire chahutée du cinéma français, mais aussi un petit classique à redécouvrir avec les yeux de l’innocence.
Critique de Virgile Dumez